N°1 / Communication, information et savoir : quel management pour une organisation durable?

La durabilité à l’Université et dans le monde économique : le regard des étudiants

Jacques Kerneis, Michelle Hentic-Giliberto, Patrick Le Roux, Arnaud Diemer, Florence Thiault

Résumé

Dans ce texte, nous nous interrogeons sur la manière de mesurer la durabilité d’une organisation et « l’actionnabilité » des savoirs, savoir-faire, savoir être. Nous proposons un essai de réponse via la représentation qu’en ont les étudiants à partir du monde économique et de l’Université. 
Cette recherche exploratoire est centrée sur les représentations d’étudiants de premier cycle en Administration Économique et Sociale (AES). Ces étudiants en première année de licence AES participent à une formation intitulée « Dynamique de l’entreprise » à l’Université de Bretagne Occidentale. Dans ce cadre, ils ont mené des entretiens avec des professionnels travaillant dans des organisations (entreprises, associations et administrations diverses). Ils interrogent ainsi le rapport qu’elles entretiennent avec l’idée de développement durable.

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Abstract: In this text, we question how to measure the sustainability of an organization and actionability of knowledge, expertise and live skills. We offer a response via representation of students from the business world and the University. This exploratory research is centered on representation of students of Economic and Social Administration (AES) cursus. These students in first year license AES participate in a training course entitled " Dynamic undertake" at the University of Western Brittany. In this context, they conducted interviews with professionals working in organizations (companies, associations and various administrations). They thus question the relationship they have with the idea of sustainable development.

Keywords: Durability, actionability, professionnalisation, representations, students, research and training, University, Organizations, Digital University Teaching.

 

INTRODUCTION

Si le développement durable a une historiographie riche et importante depuis la parution du Rapport Brundtland (1987), il n’en est pas de même du concept de durabilité, en particulier, appliqué à une organisation. Il existe une littérature sur la responsabilité sociétale des entreprises (Aggeri et al., 2005 ; Bodin et al., 2014) et plus récemment sur la responsabilité sociétale des organisations (norme ISO 26000), toutefois l’évaluation de la durabilité ne porte généralement que sur les dimensions économique, sociale et environnementale du développement durable[i]. Or, la question de la durabilité ouvre un champ beaucoup plus vaste qui renvoie à la fois à l’émergence, à la croissance, au développement et à la survie d’une organisation. La durabilité interpelle sa gouvernance (logique des parties prenantes), son style de management (manager responsable), son système d’information (logique de l’action collective et processus cognitif), sa politique des ressources humaines (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences), sa stratégie (prospective)...

Si l’on souhaite qu’elle soit comprise, cette approche globale de la durabilité doit être le fondement de la formation “tout au long de la vie” et être présentée dès la formation initiale. À l’université de Bretagne Occidentale (Brest, Quimper), la formation universitaire d’Administration Économique et Sociale (AES) propose, dans sa maquette actuelle (2012-2015), aux étudiants de 1ère année de licence (L1) une unité d’enseignement (UE) intitulée « Dynamique d’entreprise ». Cet enseignement s’inscrit dans le mouvement de l’innovation pédagogique de l’enseignement supérieur français sous l’intitulé « plan pluri-annuel pour la réussite en licence ». Boudreault (2015) évoque cette mission contemporaine qui consiste, pour l’université à réussir la synthèse entre l’excellence académique liée au métier de chercheur, qui relève de son savoir-faire traditionnel, d’une part, et le besoin de développer des compétences pour l’insertion professionnelle des étudiants d’autre part. Ce deuxième aspect du « métier » de l’enseignement supérieur est apparu dans un contexte qui se caractérise par l’augmentation des effectifs étudiants depuis les années 80, avec la persistance d’un chômage structurel élevé en France, autour de 10% de la population active, 20 à 25% pour les jeunes de moins de 25 ans (Insee, 2015) mais aussi par le changement de rapport au savoir des nouvelles générations, « digital native » ayant un accès facile à l’information mais ayant besoin de méthodologie pour organiser ses recherches et sa construction de projet (Serres, 2012). L’enjeu de cette UE est de confronter les étudiants à la complexité et l’incertitude liées à la conduite d’un projet entrepreneurial pour qu’il devienne robuste, viable, et lui aussi durable. Les étudiants font l’expérience du passage de l’idée au projet réalisable. Cette expérience est souvent l’occasion d’un engagement personnel et collectif intense.

Dans le cadre de cette communication nous nous centrerons sur le regard que portent les étudiants sur le concept de durabilité. Nous le ferons en nous appuyant sur la professionnalité telle qu’elle est appréhendée par Lang (2001, p.110) quand il en examine les rhétoriques. Il la perçoit en définitive comme « une figure de la tension entre l’acteur et le système ». Selon l’auteur, dans l’enseignement secondaire, « la formation suit plus qu’elle n’anticipe un ordre nouveau » (Ibid., p. 117). Nous considérons qu’il en est de même quinze ans plus tard dans l’enseignement supérieur et qu’il est nécessaire, comme le fait Wittorski (2011), de distinguer le projet de l’organisation, qu’il nomme « professionnalisation » et celui qui concerne la personne, qu’il nomme « le développement professionnel ». On peut d’ailleurs considérer dès à présent qu’une durabilité effective, de la formation et de l’organisation elle-même ne peut s’envisager sans une concordance, au moins relative, entre ces deux dimensions de la professionnalisation. Nous nous demandons d’une part si le dispositif de formation mis en œuvre correspond à une organisation apprenante ? D’autre part, comment les étudiants appréhendent la notion de durabilité associée à l’organisation (entreprise, association…) ? Nous le faisons, tout d’abord en resituant le concept de durabilité dans un domaine mis au jour par une revue de littérature. Nous présentons ensuite le dispositif méthodologique que nous avons mis en place tout en précisant ses fondements épistémologiques. Nous poursuivons par une présentation des grandes tendances que cette approche plurielle a permis de faire apparaître. Dans une dernière partie, nous discutons ces résultats et nous proposons quelques perspectives.

REVUE DE LITTERATURE

De la littérature émergent plusieurs concepts susceptibles de proposer une lecture transversale de la durabilité au niveau organisationnel et éducatif. Le premier concept est celui d’accompagnement. C’est un terme générique qui apparaît souvent comme multiple et protéiforme. Il s’agit en effet d’accompagner quelqu’un ou quelque chose. Certains auteurs utilisent les mots de « nébuleuse » ou « maquis » pour le qualifier (Paul, 2009). La démarche préconisée dans « le plan pour la réussite en licence » lancé en 2008 est clairement de cet ordre. L’accompagnement consiste à amener quelqu’un à découvrir qui il est et à réaliser son potentiel dans l’action qu’il effectue (Hentic-Giliberto, 2015). Le rôle du sachant n’est alors pas limité au transfert des savoirs, il est invité à ne pas se contenter de la mémorisation des savoirs, en créant des conditions favorables à l’apprentissage, c’est-à-dire en tentant d’amener l’étudiant à s’interroger. Se poser des questions est le fondement de tout apprentissage, « y parvenir implique de manifester les comportements adéquats, c’est l’essence même du savoir-être » (Boudreault, 2015).

Le concept d’« actionnabilité » (actionability : existe uniquement en langue anglaise) s’articule naturellement avec cette démarche. Il concerne la capacité de l’individu (et des institutions) à faire en sorte que les savoirs acquis puissent être directement mis en action, prêt à l'emploi. Pour souligner la tension qui existe entre le rôle de l’organisation et celui de l’acteur individuel (ou collectif), Wittorski (2011) distingue la professionnalisation qui relève d’une intention organisationnelle et le développement professionnel, qui est un processus de transformation du sujet, par le développement de compétences et par des négociations de nature identitaire. Cet amalgame qui mêle les transactions entre « identité pour soi » et « identité pour autrui », constitue l’identité professionnelle (Thiault et al., 2013) vue comme les « manières socialement reconnues pour les individus de s’identifier les uns, les autres, dans le champ du travail et de l’emploi » (Dubar, 2001).

Nous relions cette approche avec le « faire communicationnel » que décrit Jeanneret (2006) et qui implique un feed-back, des inférences et suppose une réelle activité du récepteur. Cette conception nous amène à explorer ce que sont, pour les étudiants, des pratiques communicationnelles durables et les rapports qu’elles entretiennent avec la définition exploratoire qu’en propose Marcon (2013). Il s’agit, pour lui, de « pratiques qui n’épuisent pas les possibilités et promesses d’une relation future pérenne par un frénétique trop plein (technologique, informationnel, passionnel, visuel, conversationnel, persuasif, etc.) de la relation actuelle, risquant de conduire à ce qu’il conviendrait peut-être de nommer une saturation, un écœurement, un burnout communicationnel ».

La notion de développement durable interpelle notre sens du « bien commun ». C’est dans notre interaction au collectif que celui-ci peut prendre vie. Une conscience du durable se constitue d’une identité et d’une adhésion volontaire et partagée. C’est pourquoi la formation, l’éducation, l’enseignement se doivent d’intégrer comme mission fondamentale une nécessaire contribution à une prise de conscience de la finitude de la planète. Il est de leur responsabilité de permettre une construction citoyenne terrienne. Comme le spécifie Morin (2000) dans sa présentation des « sept savoirs à l’éducation du futur » il s’agit de repenser l’éducation en termes de durabilité. Le développement durable, s’il requiert des connaissances, s’inscrit dans une philosophie pour l’action dont les enjeux sont multiples et interdépendants. La réussite d’une éducation au développement durable est donc la clé d’un développement harmonieux entre « l’homme, ses activités, les modalités d’organisation sociale et l’environnement » (Brégeon, Faucheux, Rochet et Valantin, 2008). Lorsque l’on examine du point de vue entrepreneurial les conditions d’un développement durable, Acquier (2008) considère l’activité des entreprises, l’ingénierie de production, le concept d’offre et de création de valeur. Il propose d’aborder la notion de développement durable via l’approche processuelle qui, des valeurs sociales incorporées au jeu économique, qualifie, voire modèle, la stratégie d’entreprise et donc l’environnement. A l’instar de Porter et Kramer (2006, 2011), il met en œuvre une déclinaison selon les trois axes que sont les « enjeux sociaux génériques », indirectement liés aux domaines d’activité métier de l’entreprise, les « impacts associés à la chaîne de valeur », relatifs à l’organisation opérationnelle de l’entreprise, et « les dimensions sociétales du contexte concurrentiel » qui renvoient aux enjeux sociaux directement articulés à la stratégie de l’entreprise. Interroger chacune de ces notions à l’aune de la notion de valeur, au sens de valeur partagée (shared value), permet d’identifier l’articulation du développement durable autour des valeurs sociales, économiques et politico-environnementales. Tout d’abord d’un point de vue social, le comportement individuel mais aussi collectif est considéré selon l’approche culturelle et les principes moraux. Au niveau économique, l’examen des marchés et la posture du client-citoyen en relation aux caractéristiques produits (et à la structure des coûts) et à la génération du profit. Enfin, d’un point de vue politique et environnemental, la conformité aux lois et standards éthiques ainsi que la préservation de notre monde sont interpellées.

DEMARCHE METHODOLOGIQUE

La population prise en compte par notre recherche est de 150 étudiants de première année de licence AES de l’Université de Bretagne Occidentale du module « Dynamique d’entreprise »inscrits en 2014-2015. La cohorte est divisée en 5 groupes de Travaux Dirigés. Chaque groupe bénéficie d’un accompagnement par une équipe de trois professeurs de compétences et d’expériences différentes (entrepreneuriat, secteur public, communication et méthodologie). Ce module permet aux étudiants, lors des projets entrepreneuriaux qu’ils ont à réaliser, d’actionner les différents savoirs et connaissances au sens « d’actionnable knowledge » (Argyris, 1993) cité par Martinet (2005), qu’ils ont pu acquérir. En ce sens les étudiants sont invités à s’inscrire dans une démarche apprenante. En effet, le module « Dynamique d’Entreprise » propose une formation entrepreneuriale qui s’appuie sur l’« action-ability » (ou actionnabilité) des savoirs détenus (voire développés) par les étudiants. L’intérêt est de permettre aux étudiants d’expérimenter la démarche entrepreneuriale dans la visée de l’acquisition de compétences selon trois dimensions : savoir, savoir-faire et savoir-être. Les étudiants devaient choisir entre deux projets : la création fictive d’une entreprise ou la réalisation d’une action répondant à un besoin exprimé par une organisation (administration-université, entreprise ou association). Cette mission devait être réalisée en équipe (de trois à cinq personnes) selon un choix libre des étudiants. Dans ce cadre, les étudiants ont été sollicités pour définir leur notion du durable. L’accompagnement des enseignants consistait à suggérer une méthodologie d’action (proposition de démarche, exemples de projet à réaliser, réponses aux questions des étudiants…). L’action essentielle des professeurs par l’interaction de type « questions – réponses » avec les étudiants consistait à lever les freins techniques ou psychologiques et àfaciliter la définition d’une « feuille de route » qui n’avait pas été imaginée au préalable par l’équipe d’étudiants. Les obligations des étudiants « se limitaient » à la rencontre d’un acteur du monde de l’entrepreneuriat pour renforcer la solidité de leur projet. La restitution finale de leurs travaux a été réalisée à travers un rapport écrit et une soutenance devant un jury.  

Le but premier de cette étude est de comprendre les représentations que se font les étudiants de la notion de durabilité quand elle est associée aux structures organisationnelles. Une meilleure compréhension de leurs représentations nous intéresse pour construire des formations plus adaptées, et pour donner à voir, à tous ceux qui s’intéressent à ces questions, une image plus précise de l’engagement de cette population jeune. De nombreux responsables des ressources humaines soulignent une difficulté à bien cerner leurs profils et leurs aspirations profondes. Il s’agit en quelque sorte d’évaluer la diversité et la complexité de leurs représentations et de leur permettre d’en prendre eux-mêmes conscience.

Notre approche s’inscrit dans une démarche sémio-pragmatique. A la suite de Morgan (1989), nous considérons que l’organisation est souvent perçue de manière fragmentaire à travers des métaphores, soit comme une machine, un organisme, une culture, un système politique ou un instrument de domination. Ces perceptions, souvent inconscientes, ont des répercussions concrètes sur la compréhension de la vie organisationnelle. Il s’agit pour nous d’essayer de les décoder, mais elles peuvent être plusieurs choses à la fois et l’usage du « voir… comme » Wittgensteinien peut nous aider à comprendre les représentations des étudiants.

Pour mener à bien ce travail, nous mixerons plusieurs types de données recueillies dans le contexte du cours « Dynamique de l’entreprise ». Le corpus principal est constitué des dossiers que les étudiants ont réalisés par groupes au cours du semestre. Nous disposons de 36 dossiers au format numérique qui nous permettent de mener des investigations à propos de la durabilité. Nous précisons que ce thème n’était pas l’objet central attendu dans les dossiers, mais que nous avons pu en trouver des traces. Nous les avons classés en plusieurs catégories en fonction de leur proximité thématique avec la durabilité mais aussi en fonction des liens avec la thématique de la formation. Les soutenances orales sont également source d’enseignements, dans la mesure où nous avons été particulièrement à l’écoute des propos ayant un rapport évident avec une approche liée à la durabilité. Les formules employées à l’oral par les étudiants sont également parfois sédimentées dans les diaporamas qu’ils ont réalisés. Nous avons mené une analyse du discours sur ces deux éléments. Un questionnaire très court a également été administré par groupe de projet sur la notion de la durabilité. Nous avons agrégé l’ensemble de ces données pour mettre en évidence plusieurs grandes tendances qui ressortent de nos analyses. Elles sont exposées et exemplifiées dans la partie suivante.

RESULTATS

Nous débutons cette analyse par celle du questionnaire collectif. Les réponses des étudiants quant au vocable qu’ils associent au mot « durable », nous permettent de recueillir des termes courants. Les termes « développement » et « environnement » viennent en tête, suivis de près par des unités syntaxiques traduisant l’idée de temporalité (long terme, pérennité, viable…). Nous trouvons également une cinquantaine d’autres possibilités aussi différentes que « inépuisable », « changement » ou « socialement constructif ».

En ce qui concerne les éléments de définition qu’ils associent à la nature d’une formation durable, leurs réponses se situent majoritairement du côté du développement personnel. Ils mettent massivement l’accent sur les « compétences acquises et utiles tout au long de sa carrière (ou de sa vie) ». En complément, et de manière partielle, un lien apparaît avec l’organisation comme dans un verbatim où il s’agit « d’acquérir des connaissances pour la pérennité de l’entreprise ». La distinction proposée dans le questionnaire entre « organisation durable » et « entreprise durable » est assez difficile à établir pour les étudiants. Il ressort tout de même de leurs réponses que l’organisation est surtout associée à l’idée de durée, de transmission, d’intérêts communs et à un dialogue constructif. Le terme « entreprise durable », quant à lui, se rapporte surtout à l’idée de stabilité économique : « une entreprise qui ne tombe pas en faillite ».

L’étude des 36 dossiers réalisés par les groupes d’étudiants met en évidence que le développement durable est une préoccupation présente mais peu explicite. En effet, les vocables de « durable » ou « développement durable » ne se présentent pas littéralement dans leurs travaux. Cependant, le regard des étudiants fait apparaître différents éléments relevant directement du concept de durabilité. Nous les recensons, ci-après, par fréquence d’apparition dans notre corpus. De plus, l’examen des productions entrepreneuriales des étudiants a permis de faire ressortir cinq éléments saillants traduisant les domaines d’intérêt des étudiants. Nous les représentons sous la forme d’un pentagone de la durabilité (Figure 1, ci-dessous).

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Figure n°1 : Le pentagone de la durabilité

  • La création d’ambiance (soit le tiers des dossiers). L’élément principal qui ressort du regard des étudiants concerne l’art et la décoration. La création d’ambiance apparaît ainsi comme une préoccupation majeure. Les étudiants veulent créer des univers dans lesquels ils se sentent bien et qui font référence à un imaginaire qui leur est familier et qu’ils semblent idéaliser : l’art Geek et les comics notamment. De plus, lorsqu’ils développent un concept de restauration (ex. le Black Pearl), c’est avec l’idée de créer une congruence entre les produits vendus, la thématique du lieu et la décoration. Les étudiants ont intégré l’idée de faire vivre une expérience globale à leurs clients en sollicitant les cinq sens.
  • La mutualisation des moyens (près d’un quart des dossiers). L’élément dominant est l’entraide gratuite en faisant profiter les autres de l’expérience ou des compétences de l’individu. La motivation des apprentis entrepreneurs est de nature intrinsèque, c’est-à-dire que le passage à l’action valorise l’estime de soi par l’utilisation de ses compétences et par le sentiment d’être utile. Cet élément trouve sa place dans le mouvement de fond de ce début du XXIème siècle, celui de l’open source, du copyleft, de l’économie collaborative et du gratuit.
  • La santé alimentaire et le sport (5 dossiers sur 36). Cet élément constitue une représentation hygiéniste du durable (en lien avec une dimension environnementale ainsi qu’avec le mode de vie), correspondant à une préoccupation de longévité physique. Il se rattache à une évolution séculaire de l’homme dans la société, passant de l’homme classique partie intégrante de la société (vision holiste traditionnelle), à l’homme moderne des lumières qui, avec la démocratie et la passion de l’égalité bouleverse les valeurs pour faire émerger l’individualisme et pour aboutir aujourd’hui à l’homme narcissique (Lipovetsky, 1983). Cette préoccupation du durable est en lien avec un hédonisme personnel, le bien être, l’expression de soi, l’image de soi par rapport aux canons de la mode véhiculés par les médias. Ce durable narcissique se manifeste dans une démarche mimétique (Girard, 1972) propre à la nature humaine, et qui conduit à une représentation commune dominante de ce qui a de la valeur et qui mérite d’être durable.
  • La location de voitures, de vélo, de vêtements (4 dossiers). Cet élément vise à concilier la rentabilité économique et la préservation de l’environnement. Il s’inscrit dans la dynamique croissante de l’économie de la fonctionnalité (Bourg, 2012). Pourquoi vendre un bien pour lequel il est possible en le louant de bénéficier d’un chiffre d’affaires supérieur ? Cette conception du rapport à l’objet marque une rupture culturelle des pratiques (louer plutôt que d’être propriétaire, la notion d’usage prime sur l’idée de propriété) qui semble bien acceptée par les étudiants, puisqu’elle suscite un enthousiasme sans doute lié à l’impression qu’ils sont en train de construire un autre monde.
  • Le regroupement, négociation et achat collectif (3 dossiers). La finalité perçue dans ces projets est la défense de l’intérêt du groupe d’appartenance (jeune et étudiant) en utilisant le potentiel des technologies de l’information et de la communication (TIC) et la force du collectif. Le durable est ici considéré comme une manière d’accéder à un bénéfice matériel et économique comme obtenir une réduction de 20% sur l’achat d’une Polo Volkswagen (dossier 4).

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Figure n°2 : répartition des thématiques des projets des étudiants

La durabilité est abordée dans une visée téléologique semblant “naturelle” aux étudiants, c’est-à-dire qu’elle est intégrée dans leur patrimoine culturel. Cette génération dite native du numérique apparaît également comme “durable native”. Les étudiants essentiellement nés entre 1990 et 1997 semblent animés par les valeurs suivantes : le bien être plus que la performance économique, le souci de soi et l’engagement solidaire librement consenti et désintéressé.

DISCUSSION

Cette discussion va revenir sur trois points : la présentation des résultats, les limites de cette recherche et les perspectives qu’elle ouvre concernant ce cursus universitaire, qui pourrait d’ailleurs être élargi à d’autres formations du même type. A l’issue de ce travail, on peut constater que nous avons surtout mis l’accent sur une présentation analytique des résultats en fonction des différents corpus dont nous disposions (les réponses aux questionnaires d’une part et les dossiers réalisés, d’autre part). Un certain pragmatisme des étudiants peut cependant être relevé dans ces deux ensembles de données. Les étudiants considèrent principalement les formations durables comme « pouvant leur servir pendant une longue période » et les organisations durables « en tant que lieux où ils se sentent bien ».

Cette étude sur la durabilité est bien sûr partielle. Le fait de se centrer sur le regard que portent les étudiants sur cette notion apporte un point de vue particulier. D’autres études, complémentaires, seraient nécessaires et pourraient concerner par exemple les entrepreneurs et les enseignants. Nous pouvons d’ailleurs nous poser la question de savoir si la formation universitaire que nous avons investigué s’inscrit réellement dans la perspective d’une organisation apprenante ? En effet, la question se pose puisque cette formation se déroule dans le cadre du « plan pour la réussite en licence » lancé en 2008. Elle est questionnée du point de vue de l’« apprendre » comme moteur du développement (Carré, 2000). Le sachant est invité à ne pas se contenter de simple transfert ou mémorisation de savoirs, mais à créer les conditions d’un apprentissage, c’est-à-dire d’amener l’étudiant à se poser des questions. Ce questionnement est en effet le fondement de tout apprentissage. Y parvenir implique de manifester les comportements adéquats, c’est l’essence même du savoir-être (Boudreault, 2015). Le pédagogue est conduit à resituer dans sa pratique professionnelle les trois perspectives de l’acte d’apprendre pour l’apprenant que sont vouloir apprendre, savoir apprendre et pouvoir apprendre et est amené à les favoriser.

Dans une certaine mesure, le module « Dynamique d’entreprise » propose une formation entrepreneuriale qui s’appuie sur « l’action-ability » (ou actionnabilité) des savoirs détenus par les étudiants. En ce sens elle s’inscrit dans le cadre des formations apprenantes. Auteurs de leur formation plus qu’acteurs les étudiants participent d’une co-construction de leurs savoirs. L’idée d’apprenance renvoie à une représentation positive de l’acquisition de connaissances, a un mode de traitement efficace de l’information de même qu’à un rapport intentionnel du fait d’apprendre (Carré, 2000). Les étudiants sont amenés à l’auto questionnement afin de faire émerger un « gap bridging » permettant de combler le manque (Dervin, 1992). L’action est alors conception d’expériences collectives où les potentiels de proposition de valeur se construisent (Weick, 2005). La co-conception par les étudiants d’un projet entrepreneurial est particulièrement pertinente pour travailler la dimension de l’engagement collectif et interroger leurs valeurs du monde.

D’une manière plus globale, des « jeux d’entreprise[ii] » et un stage de 6 semaines en entreprise ponctuent ainsi l’ensemble du cursus de la licence AES. Ils permettent aux étudiants d’aller au-delà d’une connaissance construite par l’acquisition proactive de connaissances et de faire soi le savoir par l’expérimentation au sens de Dewey (1939). Cependant des progrès pourraient être réalisés en vue de renforcer la durabilité de la formation au sens des étudiants comme « pouvant leur servir pendant une longue période ». Une mise en perspective des différents enseignements de première année au regard du projet « Dynamique d’entreprise » des étudiants donnerait ainsi à voir une cohésion d’ensemble. Par exemple les éléments financiers du projet entrepreneurial pourraient-être validés lors d’une cession de comptabilité, de même les questionnaires réalisés auprès de professionnels du monde de l’entreprise lors d’un cours de sociologie ou la création de pages internet en informatique, etc. Ainsi à la question « Que reste-t-il quelques mois ou quelques années plus tard, des savoirs et savoir-faire enseignés à l’université dans la mémoire des étudiants ? ».Ilsauront probablement compris par l’expérience que la construction d’un projet implique de créer les conditions nécessaires pour passer de l’idée à sa réalisation, c'est-à-dire à sa naissance, à sa viabilité, à sa pérennité ; tous éléments qui caractérisent la durabilité organisationnelle, non pour elle-même à la manière d’une organisation bureaucratique obsolète, mais pour servir les besoins de la population. De cette manière, comme le potier modelant l’argile sur la tournette, les étudiants auront réinventé ce qui constitue la relation durable de l’humanité à la terre combinant les trois éléments éternels : un matériau, des instruments, des compétences.

Le défi de l’université du XXIème siècle reste de maintenir et conserver un haut niveau de connaissances et de culture à offrir aux étudiants, tout en renforçant la pédagogie facilitant l’agrégation des savoirs actionnables constitutifs des compétences durables. La finalité de cette définition qui nous semble nouvelle, du métier de l’université est d’amener les étudiants à conquérir une autonomie source de satisfaction humaine et valorisable dans le monde du travail.

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[i]L’ouvrage de F.D Vivien, Evaluation de la durabilité, paru aux éditions Quae en 2013, a cependant le mérite de proposer une approche interdisciplinaire de celle-ci.

[ii]Ces outils pédagogiques s’appuient sur des logiciels qui modélisent un environnement concurrentiel virtuel. Les entreprises sont gérées par les étudiants regroupés en équipes concurrentes les unes les autres. Les apprenants, gestionnaires de leur entreprise ont à prendre des décisions au cours de plusieurs cycles. Ils décident, constatent et analysent leurs résultats. Ils « apprennent en faisant ». 

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Quelle durabilité de la littéracie du document technique en organisation ?

Angèle Stalder

L’analyse des pratiques informationnelles mobilisant le document technique dans une communauté de pratiques de la construction, révèle une littéracie propre dudit document développée en organisation par un double processus d’apprentissage : acquisition en cours d’activité et acquisition par affiliation. Se pose alors la question de la durabilité de cette littéracie qui n’est pas toujours consciente chez les acteurs mais qui constitue un élément structurant du fait organisationnel dans le domaine du bâtiment. Le paradigme hologrammatique permet de penser la gouvernance de compétences qui lui sont liées, individuelles,...

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