N°11 / Préservation de la mémoire du Web en temps de crise

La science (dé)confinée

Clara Galliano

Résumé

Plusieurs pays d’Asie, d’Afrique, d’Europe, d’Amérique latine et certains états américains ont mis en place des mesures de confinement pour lutter contre la propagation du virus et l’arrivée de nouveaux variants. En France comme ailleurs, ces mesures ont provoqué de lourdes conséquences sur l’économie du pays, ainsi que sur le moral des populations. Cet article propose d’évaluer, à partir de plusieurs méthodes, les impacts du confinement sur la recherche en étudiant plusieurs éléments comme : les collaborations internationales, les efforts des éditeurs sur l’accessibilité aux ressources numériques et les différentes enquêtes menées au sein des communautés scientifiques. La Science Ouverte, entre mouvement et norme, a été un point clé stratégique et libérateur pendant la crise sanitaire afin d'accéder aux résultats pour faire avancer les recherches sur le vaccin, mais aussi pour continuer à maintenir l'activité scientifique quand tout la contraignait.

Mots-clés

Plan de l'article

Télécharger l'article

Introduction

Le 17 mars 2020 marque le début du premier confinement national en France[1]. La population française s’est alors retrouvée privée de toute activité, de lien social, de liberté concernant les déplacements sur le territoire et cela jusqu’au 11 mai 2020 (soit un mois et 23 jours). Outre les privations quotidiennes, cette mesure sanitaire a provoqué bien des conséquences sur le moral, la santé mentale et physique des habitants, sur les conditions de travail et sur le suivi de l’enseignement pendant cette période. Cet évènement, pour la plupart « inédit », a permis de questionner la notion de nécessité et cela a permis de soulever de nouvelles questions de recherche.

Pendant toute la durée de la crise, la scientificité des résultats a été remis en question et cette conséquence était presque inévitable en fonction de l’urgence de cette ouverture (notamment pour l’évaluation accélérée des articles et la publication des pré-publications) et de la transparence demandée par les autorités[2]. Le sujet de l’utilisation de l’information scientifique (déformée et mal interprétée) est intéressant et il serait utile de revenir dessus avec prudence, car cela ne définit en rien le principe même du mouvement de la Science Ouverte, mais cela pose question sur le fonctionnement du processus de publication des revues (Frammery, 2020). La Science Ouverte, qui est né d'un mouvement militant de contestation de la part des institutionnels et des scientifiques, est aujourd'hui une norme adoptée par de nombreux pays dont la France. Elle vise à rendre accessible les résultats de la recherche scientifique sans barrière tarifaire pour contrer le monopole excessif des éditeurs scientifiques. Depuis plusieurs années (avec les appels à signature des initiatives comme DORA, Jussieu, Berlin) et ce jusqu'en 2018 (avec la loi pour une république numérique de 2016 et la Plan National pour la Science Ouverte en 2018), ce mouvement a considérablement modifié les pratiques de recherche et de diffusion de la communauté scientifique, notamment avec la réduction de la durée d'embargo et la demande (voire l'injonction) de déposer une version de son papier dans une archive ouverte. Cette Science Ouverte peut-elle s'ouvrir davantage en période de crise mondiale ?

Dans ce texte, nous mettons l’accent sur l’ouverture de la science et son évolution à travers trois parties. Le but est dans un premier temps de comprendre les conséquences du confinement sur la recherche, puis de passer en revue les principales initiatives et décisions qui ont été prises à la suite de cette crise sanitaire. Ensuite, nous avons choisi d'étudier l’évolution des plateformes numériques et leurs accès sur les résultats de la recherche depuis le début des mesures sanitaires. Et enfin, nous avons interrogé une communauté scientifique bien spécifique sur les conditions de travail et l’accessibilité numérique des enseignants-chercheurs de l'Université Paris-Saclay.[3].

En quoi la recherche scientifique, créatrice de connaissances scientifiques et facteur de développement par définition, se distingue-t-elle des autres activités pendant la crise sanitaire, de par son caractère nécessaire et primordial ? Pour répondre à cette question, plusieurs éléments sont à prendre en compte. Nous le savons, tous les pays du tiers-monde ont besoin d’une recherche scientifique afin d’atteindre leurs objectifs. Les séquelles du confinement sur la recherche ont également été abordées dans une émission sur France Culture (Martin, 2020). L’objectif de cet article n’est pas de répondre explicitement à la question.

I. De la prise de conscience à l’action

La pandémie du COVID-19 a amené les pays du monde entier à se mobiliser pour favoriser une circulation des connaissances accélérée, un partage des résultats sans attente, une ouverture totale et une prise de conscience majeure.

Dans cette partie, nous souhaitons retracer les principales décisions et les évènements qui ont permis de lutter progressivement contre le virus, grâce aux mobilisations répétitives de certains organismes et associations. Au-delà des collaborations, de longues négociations ont également permis un meilleur partage et une réutilisation poussée des résultats de la recherche. Ces actions ont provoqué la création de nouvelles initiatives, tout en servant les communautés scientifiques et permettant le soutien de la population aux différents projets, puis aux sciences participatives.

Mobilisations mondiales

Les mobilisations n’ont pas attendu la mise en place des restrictions dans certains pays pour se faire. En effet, dès le 28 janvier 2020, Anthony Fauci (directeur du NIH) et Alex Azar (secrétaire à la santé et aux services sociaux des Etats-Unis) demandaient aux scientifiques chinois d’ouvrir et de partager les données de recherche afin de travailler sur le développement d’un vaccin (AFP, 2020).

Le 31 janvier 2020, le Wellcome Trust appelait les chercheurs, les revues et les bailleurs de fonds à partager rapidement et ouvertement les résultats de recherche et les données relatives à la pandémie[4]. A l’issue de cette déclaration, plus de 30 éditeurs comme Elsevier, Springer Nature, Taylor & Francis se sont engagés à rendre leurs publications disponibles, notamment les prépublications et les articles déjà examinés[5]. Dans les signataires, nous comptons également des acteurs de la recherche française comme l’ANR, l’Inserm et l'Institut Pasteur.

Au même moment, le Journal de l'Association médicale chinoise, la Société chinoise de médecine préventive, l'Association des médecins chinois, la Société pharmaceutique chinoise, la Société chinoise de médecine traditionnelle chinoise et le Journal électronique des revues académiques chinoises (version CD-ROM) Ltd. ont convenu de lancer une initiative conjointe pour mobiliser les revues appartenant à chaque société et toutes les revues académiques exceptionnelles de médecine et de santé en Chine[6] à déposer leurs résultats sur le site gratuit China Knowledge Network. Le pays a également offert un accès gratuit à l’ensemble de ses 14 000 revues à partir de la base de données CQVIP, et ce, pendant toute la durée de l’épidémie.

Le 13 mars 2020, les conseillers nationaux pour les sciences et la technologique de 12 pays ont lancé un appel aux éditeurs afin de rendre accessible les publications et les données relatives au coronavirus, de manière immédiate dans PubMed Central[7]. Cinq jours plus tard en France, c’est autour du Consortium Couperin, de l’ADBU et de l’EPRIST de rejoindre l’appel de l’ICOLC du 13 mars 2020 demandant aux éditeurs d’ouvrir l’accès aux publications scientifiques[8].

Le 25 mars 2020, la National Library of Medicine (NLM) des National Institutes of Health annonçait une ouverture plus large aux articles sur le coronavirus grâce à la plateforme PubMed Central. En effet, cette annonce s’inscrit dans une poursuite de mise à disposition, après une première ouverture de 10 000 articles scientifiques en texte intégral via PubMed Central[9].

Le 30 mars 2020, l’UNESCO organisait une réunion virtuelle avec des représentants des ministères en charge des sciences du monde entier, dans le but d’échanger sur l’importance de la coopération internationale et d’un investissement plus important dans le contexte de la crise. La question de la Science Ouverte a également été évoquée afin de préparer la recommandation[10] internationale prévue depuis le mois de novembre[11], et la France y apporte sa contribution. Ces recommandations viennent en supplément des cinq demandes initiales formulées par trois experts internationaux concernant la protection de l’accès et la libre circulation des informations[12].

Le 03 avril 2020, l’Unesco lançait un appel aux institutions de mémoire afin de s’engager pendant la crise sanitaire pour lutter contre le coronavirus[13] et soutenir davantage le patrimoine documentaire.

Le 07 avril 2020, c’était au tour du gouvernement français de demander l’ouverture complète des publications et des données scientifiques issues de la recherche française. Une semaine avant, Frédérique Vidal (ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation) débloquait à cet effet un fonds d’urgence de 50 millions d’euros[14].  Cette demande sera complétée quelques semaines plus tard par l’annonce d’Olivier Véran (ministre des Solidarités et de la Santé) concernant le financement de 45 nouveaux projets de recherche appliquée sur le Coronavirus, pour près de 22 millions d’euros[15].

Le 20 avril 2020, la Commission européenne lançait une plateforme européenne de données sur la COVID-19 afin de recueillir et de partager rapidement les données de recherche disponibles[16]. La plateforme s’inscrit dans le plan d’action ERAvsCorona et les 10 actions qui en découlent.

Le 23 avril 2020, l’éditeur scientifique Springer Nature annonçait la signature d’un accord-cadre avec l’Unesco, visant à promouvoir la publication en libre accès de livres mis à disposition gratuitement sur la plateforme SpringerLink et sur Unesdoc (Carré, 2020).

Le 28 avril 2020, Fekrije Selimi lance la pétition “La recherche scientifique a besoin d’un plan d’urgence” sur la plateforme Change.org, récoltant 7 512 signatures. Le 31 octobre 2020, c’est au tour de Laurent Coste, professeur d'histoire moderne à l’Université Bordeaux Montaigne, de lancer la pétition “Laissez accessibles les archives aux étudiants et aux chercheurs !”[17] atteignant près de 1 259 signatures. Le 05 novembre 2020, c’est Véronique Stenger en Suisse qui a lancé la pétition “Access to archival documents during and in the aftermath of the Covid 19 pandemic” avec près de 1 404 signataires.

De nombreuses pétitions adressées en priorité aux autorités ont vu le jour afin de dénoncer les restrictions sur l’accès aux archives et aux bibliothèques, tout en soulignant leur importance en Sciences Humaines et Sociales, et les conséquences des conditions de télétravail sur la recherche (impossibilités liées aux activités expérimentales, aux missions de terrain, à l’accès aux bases de données et aux logiciels).

La recherche continue

Comme le sous-titre l’indique, la recherche se devait de continuer ses activités pour permettre le développement d’un traitement et d’un vaccin anti-Covid qui est resté jusqu’à présent l’une des priorités chez les scientifiques. En amont, la recherche a été saisie dans un premier temps par le Président de la République et le Premier Ministre également, pour la constitution du Conseil Scientifique composé de 11 membres reconnus internationalement dans leur domaine d’expertise. Le 24 mars 2020, le gouvernement a installé le CARE : Comité analyse, recherche et expertise, composé de 12 chercheurs et médecin, en lien étroit avec le Conseil scientifique déjà en place.

Du côté des programmes de recherche, les appels à projet ont été lancés très tôt. Le 30 janvier 2021, la Commission Européenne a lancée l’AAP SC1-PHE-CORONAVIRUS-2020[18], suivi par un nouvel appel avec des thématiques cette fois différentes le 19 mai 2020. L’ANR a lancé dans l’urgence un appel Flash Covid-19 en mars 2020, un appel à projets RA-Covid-19 en avril 2020 puis un appel Résilience Covid-19 en décembre 2020[19]. Les propositions de projets avec approches pluridisciplinaires constituent une aide à la décision dans le domaine sanitaire et contribuent ainsi à la gestion, au contrôle et aux effets de l’épidémie. Le 11 mars 2020, l’Aviesan, via l’action du consortium REACTing coordonnée par l’Inserm, s’est également mobilisé afin de proposer 20 initiatives scientifiques portant sur des thématiques diverses liées à l’épidémie de coronavirus Sars-CoV2[20]. Des chercheurs, autres que du milieu médical, se sont mobilisés autour de la recherche. Le développement des projets de recherche dans la région Auvergne-Rhône-Alpes depuis le mois de mars en sont le témoin (Gallo Triouleyre, 2020). Le 12 mai 2020, l’ Innovative Medicines Initiatives (IMI à Bruxelles) avait reçu 144 propositions en réponse à leur appel à projets[21]. De son côté, la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM) a engagé plus de 5 millions d’euros pour soutenir 31 projets porteurs d’espoir[22].

Dans une toute autre perspective, les archives de prépublications ont travaillé leur interface afin de mettre en avant, pour une diffusion plus rapide, les publications scientifiques validées ou non par les pairs, concernant le SARS-CoV2. Ici, nous donnerons les exemples de : bioRxiv[23], IDEAS/ RePec[24], SSRN[25] et HAL[26].

S’il est nécessaire d’évoquer la situation de la recherche, nous n’oublions pas celle de l’enseignement. En effet, la continuité pédagogique s’est maintenue par le biais du numérique et des efforts fournis par le corps enseignant. Plusieurs articles de presse se sont saisis de ce sujet pour informer des difficultés et de la détresse des étudiants (notamment avec l’hashtag #etudiantsfantomes), de la saturation des enseignants avec les cours à distance, des demandes et des incompréhensions sur la reprise des cours[27], du maintien des partiels en présentiel. Des enquêtes ont également été réalisées par des universitaires et des enseignants du secondaire, pour étudier le passage à l’enseignement en ligne et la continuité pédagogique[28]. Du côté des plateformes de cours en ligne ouvert, la plateforme FUN-MOOC a décidé d’ouvrir de nouveau 15 cours qui avaient été fermés après leur période d’activité[29].

Le 12 mars 2020, et pour faire suite à la volonté de Jean-Michel Blanquer, les éditeurs scolaires membres de l’association « Les Editeurs d’Education » annonçaient la mise à disposition gratuite de la consultation de manuels numériques via leurs sites ou plateformes, à destination des élèves et des enseignants concernés par les mesures de confinement[30].

Si nous nous intéressons aux éditeurs, nous devons évoquer également la place des bibliothèques dans cette chronologie. Depuis leurs fermetures, le rôle des bibliothèques publiques et universitaires en tant qu’institution culturelle permet de repenser la nécessité de l’accès aux ressources numériques en temps de crise et de donner de l’importance aux partages, aux échanges, à la rencontre. Les bibliothèques ne servent plus uniquement au prêt d’ouvrage mais doivent se positionner sur un développement renforcé du numérique au service de ses usagers. La crise sanitaire liée au coronavirus a été un bel exemple pour se rendre compte des nombreuses possibilités, sans la prendre comme une évidente conséquence de ces changements car ce n’est pas la première crise que nous traversons.

Créativité et participation collective

Grâce aux mobilisations précédemment citées, aux motivations des communautés universitaires d’étudiants et de chercheurs, et au soutien de la population dans son ensemble, certaines initiatives locales et d’autres plus généralistes ont vu le jour afin d’aider les pays à mettre fin à la pandémie de Covid-19 et ainsi minimiser l’impact de la maladie.

Créé à partir d’un groupe Facebook « Bibliothèque solidaire du confinement[31] », des étudiants et des chercheurs se sont rassemblés pour partager leurs ressources documentaires. Avec un total de 60 000 membres, ce groupe est devenu une « vaste agora universitaire » mais avec certaines failles (dont celui du droit d’auteur et de la censure de Facebook).

Dans une même logique et afin d’aider les universités à faire la transition vers l’enseignement à distance, les organisateurs d’Internet Archive ont créé le portail National Emergency Library regroupant plus d’1,4 millions d’ebooks gratuits (Bender, 2020).

L’association Science Ouverte a également mis en place des ressources et des aides méthodologiques permettant la continuité des activités à la maison depuis la fermeture des établissements scolaires et universitaires[32].

En partenariat avec l’ADBS, la professeure Ghislaine Chartron a ouvert un wiki réservé aux adhérents afin de réaliser un inventaire des ressources qualifiées sur le Covid-19[33].

Une trentaine de personnes, soutenues par des organisations, ont contribué à la rédaction d’un mémorandum afin de tirer 6 enseignements de cette crise et mettre en place « des impulsions futures » (soit 7 mesures envisageables)[34].

L’Open COVID Pledge[35] est un comité regroupant chercheurs, scientifiques, universitaires et avocats appelant les organisations du monde entier à rendre leurs brevets et droits d’auteur librement accessibles dans le cadre de la lutte contre la pandémie. Du côté médical, le projet Open Source Pharma[36] propose un système pharmaceutique alternatif, complet et à code source ouvert, fondé sur des principes d'ouverture, de besoins des patients et d'accessibilité financière. Certains sites n’hésitent pas à lister des projets appliquant les principes de l’open source à la R&D pour la crise du COVID-19[37].

Du côté des citoyens, la plateforme Covid-Initiatives[38] permet de recenser les actions collectives de la société civile pour faire face à la pandémie. L’entraide et l’auto-organisation sont les valeurs mises en avant sur cette plateforme au sein du mouvement des « makers ». Ces initiatives nous prouvent que l’ouverture de la science ne se limite pas uniquement les données de la recherche et la publication d’articles scientifiques, mais concerne bel et bien les autres volets de ce mouvement, comme l’Open Data et l’Open Source.

De plus, le rapport entre science-société est une évidence pour la recherche et d’autant plus pour les enseignants-chercheurs de par leur obligation de service : transmettre du savoir. La participation des citoyens motivés aux actions (comme la collecte des données) constitue l’étape suivante à une science « hors les murs » avec et pour la société (Mercier, 2020). Ce nouveau rapport entre chercheurs et citoyens est traduit par une demande de la part de la société civile pour instaurer un dialogue bilatéral et le respect des 4 valeurs : coopération, ouverture, citoyenneté, partage (Bocquet, 2019). L’accessibilité aux publications et la vulgarisation scientifique ne suffisent pas à la société. Le confinement a été dans un sens une opportunité de réinventer la vulgarisation tout en prônant le divertissement, les activités ludiques et familiales, et démontrant l’universalité de la science (Bobroff, 2020). Aujourd’hui, universitaires, médiateurs, professeurs, musées, associations et Youtubeurs (Chambru, 2019) deviennent acteurs de la culture scientifique.

II. Ouverture de l'accès aux revues : quelles conséquences sur la fréquentation des plateformes ?

Afin de réaliser cette étude, nous nous sommes basés sur l’ouverture des accès aux revues grâce aux listes fournies par le gouvernement et les bibliothèques universitaires[39]. Le consortium Couperin a également dressé un recueil d’initiatives des éditeurs, mis à jour régulièrement, pour aider la population en général[40].

Notre hypothèse de départ est de démontrer que la visibilité des plateformes a augmenté du fait de l’accessibilité et de l’ouverture exceptionnelle aux ressources numériques pour certaines d’entre elles depuis le premier confinement. Même si nous n’avons pas collecté les données d’usage (dont la lecture ou le téléchargement d’articles), nous pouvons tout de même étudier les tendances liées à la fréquentation de ces plateformes, du fait de leur ouverture inédite pendant la crise, en réponse aux demandes des autorités et des regroupements.

Méthodologie

Pour la faisabilité de l’étude, nous avons choisi de nous consacrer à la fréquentation en ligne des usagers sur différentes plateformes numériques. L’intérêt ici est de mesurer l’évolution de la fréquentation des sites choisis pendant une période donnée (12 mois, de janvier 2020 à janvier 2021).

Aujourd’hui, plusieurs outils existent afin d’analyser l’audience (le trafic) des sites web : Myposeo, Alexa, SimilarWeb, SEMRush, Yooda Insight, Google Analytics, Webtrends, Matomo. Nous avons décidé d’utiliser l’outil de marketing digital SEMRush, reconnu notamment pour ses compétences SEO et sa possibilité de comparaison de plusieurs domaines simultanément.

Les résultats enregistrés par SEMRush présentent le trafic organique, payant et les liens retour (backlinks). Dans notre cas, nous nous sommes contentés des données concernant le trafic organique.

Afin de couvrir un large éventail des ressources permettant la recherche d’informations scientifiques, nous avons souhaité analyser plusieurs types de plateforme :

  • les archives ouvertes (disciplinaires et pluridisciplinaires) : ArXiv, Earth-Prints, RePec, E-LIS, Organic Eprints, HAL ;
  • les portails d’accès (STM, SHS et générique) : WorldWideScience, BibCnrs, ScienceDirect, Scopus, OpenEdition, Cairn, Persée, Erudit, JSTOR, Scielo, ISTEX, IEEE, PubMed, Base, Google Scholar ;
  • les entrepôts de données (les plus connus et les plus utilisés) : Zenodo, Figshare, Nakala.

La diversité de ces plateformes, à la fois gratuites et payantes, nous permet de pouvoir comparer et constater les différences en fonction des disciplines d’une part, et de la couverture géographique d’autre part. Les archives ouvertes et les entrepôts de données reposent sur un accès gratuit via un compte utilisateur ; leur modèle économique est resté inchangé pendant la crise sanitaire. Pour les portails, certains ont ouvert de manière inédite leur accès sur une partie ou sur la totalité de leur contenu pendant une période bien déterminée par rapport au confinement. Parmi eux, nous citons : OpenEdition, JSTOR, ISTEX, IEEE, Erudit, ScienceDirect et Cairn.

Nous aurions pu également étudier l’évolution de la fréquentation du WoS, des presses universitaires (Cambridge, California) ou encore des revues américaines de renom (AIP, APA, ASBMB). La liste peut varier autant que les résultats de cette étude.

Résultats

Les graphiques ci-contre représentent les résultats enregistrés à partir de l’outil SEMRush, sur la période donnée (janvier 2020 – janvier 2021). Nous avons utilisé le « domaine racine » dans chaque cas.

Dans un premier temps, pour comparer la fréquentation des archives ouvertes, nous avons d'abord analysé l'évolution de l'archive HAL (qui est pluridisciplinaire et française), puis nous avons comparé les cinq autres archives disciplinaires.

Graphique 1 : Evolution du nombre de visiteurs sur l’archive ouverte HAL (source : SEMRush)

 

Graphique 2 : Comparaison de l’évolution du nombre de visiteurs sur cinq archives différentes (source : SEMRush)

Les résultats concernant les archives ouvertes montrent qu’il n’y a pas eu d’évolution conséquente, ni de pic de fréquentation, sur la période étudiée. En effet, le confinement n’a pas plus encouragé les internautes à se rendre sur les archives ouvertes pour accéder à la littérature scientifique. Concernant l’archive ouverte HAL (graphique 1), on remarque une légère hausse du trafic à la fin du mois d’avril 2020 (500 000 visiteurs). Et une progression constante à partir du mois d’août 2020. Idem pour les 5 archives que nous avons comparées (graphique 2). Nous remarquons cependant que le trafic de l’archive ArXiv est nettement plus important que celui des autres (2,2 millions de visiteurs). Ce résultat peut s’expliquer ici au regard des domaines scientifiques qui composent l’archive (physique, mathématiques, informatique, finance quantitative, économie, statistique, ingénierie électrique et des systèmes).

Graphique 3 : Comparaison de l’évolution du nombre de visiteurs sur un premier échantillonnage de cinq portails d’accès différents (source : SEMRush)

Graphique 4 : Comparaison de l’évolution du nombre de visiteurs sur un deuxième échantillonnage de cinq portails d’accès différents (source : SEMRush)

Graphique 5 : Comparaison de l’évolution du nombre de visiteurs sur un troisième échantillonnage de cinq portails d’accès différents (source : SEMRush)

Comme pour les archives, ces 3 comparaisons successives de 5 portails d’accès nous informent une nouvelle fois qu’il n’y a pas eu d’évolution marquante concernant le nombre de visiteurs. Sur les 15 portails d’accès à la littérature scientifique, trois d’entre eux se démarquent : Google Scholar (4,43 billions de visiteurs), JSTOR (10,5 millions de visiteurs) et Science Direct (60 millions de visiteurs). Sur ces trois graphiques, nous remarquons une légère hausse constante, d’avril 2020 à janvier 2021.

Graphique 6 : Comparaison de l’évolution du nombre de visiteurs sur trois entrepôts de données différents (source : SEMRush)

En conclusion de cette étude, ce graphique nous apporte de nouveaux éléments concernant l’évolution du nombre de visiteurs sur les entrepôts de données. En effet, nous constatons une hausse évidente pour Zenodo et FighShare entre juillet 2020 et octobre 2020, atteignant respectivement 600 milles visiteurs, s’accompagnant d’une chute nette à 150 milles visiteurs, voire beaucoup moins pour FigShare.

Cette première étude à partir des données web nous permet de répondre à notre première hypothèse et de constater que finalement, malgré une ouverture exceptionnelle et rapide de certaines plateformes pour la documentation scientifique, le niveau de fréquentation n'a pas évolué considérablement comme on pouvait le prétendre. Pour compléter cette première hypothèse, la troisième partie de cet article tente d'apporter un nouvel éclairage en questionnant directement la communauté scientifique à partir d'un questionnaire exploratoire.

III. Pratiques de recherche, accessibilité numérique et Covid-19 : enquête à l’Université Paris-Saclay

De nombreuses études ont été réalisées dès les premières mesures sanitaires, visant à comprendre les conséquences du confinement sur la santé psychologique des Français, sur les conditions de travail et de vie en général. Le passage de l’enseignement au numérique a également suscité l’intérêt des chercheurs. Certains récits et témoignages sont aujourd’hui livrés dans des blogs de recherche ou encore sur des sites dédiés à cette documentation[41]. Une série de 9 épisodes proposés par La Recherche permet de comprendre les conséquences de la pandémie sur la vie des chercheurs français et sur leurs travaux[42]. Ensuite, nous avons identifié 4 études intéressantes qui nous ont inspiré dans la rédaction de notre propre questionnaire : celle de l’UNESCO sur la Science Ouverte[43], celle de « Generation Phd[44] » , celle de « Université Ouverte[45] » sur les conditions de vie et de travail des doctorants/docteurs et dernièrement l'enquête portée par le laboratoire LERASS sur les incidences de la crise Covid sur le travail et la santé des enseignant.es chercheur.es en information-communication.

Dans notre cas, ce sont les conditions de travail des chercheurs eux-mêmes qui nous ont intéressé, toute discipline confondue. Cette partie présente les résultats obtenus depuis la création, l’administration et jusqu’à la clôture de l’enquête.

Choix de la cible

Les objectifs de cette enquête sont multiples :

  • connaître les conditions de travail du personnel de la recherche ;
  • évaluer l'évolution des pratiques de recherche ;
  • déterminer l’accessibilité numérique de la communauté scientifique pendant le confinement.

Nous avons voulu observer une université regroupant un très grand nombre de personnel afin d’obtenir un maximum de réponses. Notre choix s’est tourné dans un premier temps sur la ComUE de Lyon[46] et sur l’Université Paris-Saclay[47]. Le 24 juin 2020, un premier contact a été établi auprès des vice-présidents du côté parisien et lyonnais pour demander la diffusion de l’enquête auprès des laboratoires rattachés aux deux universités respectives. L’enquête est restée en ligne jusqu’au début du mois de juillet, avec une relance envoyée au bout d’une semaine. Au total, nous avons reçu seulement les réponses de l’Université de Paris Saclay[48].

L’université Paris-Saclay remplace l’Université Paris-Sud, créée en novembre 2019 par décret paru au Journal officiel en tant qu’établissement expérimental public à caractère scientifique, culturel et professionnel. Jusqu’alors, l’université était une communauté d’université et d’établissements (ComUE).

Au 1er janvier 2020, l’université regroupe les établissements composantes tels que : AgroParisTech, CentraleSupélec, ENS Paris Saclay et l’Institut d’optique Graduate School. Ainsi que des universités membres associés comme : l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) et l’Université d'Evry-Val-d’Essonne.

L’UPS propose une offre de formation complète et variée avec 36 licences professionnelles, 7 diplômes universitaires de technologie (DUT), des Masters et Doctorats. Les composantes universitaires sont devenues une ligne de force pour l’établissement, en comptant : 5 facultés (Sciences, Médecine, Pharmacie, Droit-Economie-Gestion, Sciences du Sport) ; 3 Instituts universitaires technologiques (à Cachan et Orsay et dans le tertiaire à Sceaux) ; et une école d'ingénieur universitaire.

Du côté de la recherche, l’Université Paris-Saclay regroupe près de 300 laboratoires (275 partagés avec le CEA, CNRS, l’IHES, INRAE, INRIA, INSERM et l’ONERA), dont 23 laboratoires d’excellence. Au total, elle est composée de 48 000 étudiants ; 15 000 chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et doctorants ; 11 000 personnels techniques et administratifs.

Construction de l'enquête

Notre questionnaire est divisé en 6 parties distinctes, dont 4 principales :

  • Qualification du répondant (critères socio-démographiques)
  • Pratiques de recherche avant le confinement
  • Conditions et accessibilité numérique pendant le confinement
  • Evolution des pratiques après le confinement
  • Obtenir l’avis du répondant sur la Science Ouverte
  • Connaître l’intérêt du répondant sur l’enquête.

L’enquête comprend 36 questions, regroupant des questions fermées et des questions à choix multiples dont 2 questions ouvertes et 15 questions facultatives. Nous avons fait le choix de laisser la liberté aux répondants et ne pas imposer « l’obligation de réponse » aux questions. Enfin, nous avons opté pour l’outil LimeSurvey afin d’éditer et mettre en ligne le questionnaire.

Explication des données

Avant d’analyser les résultats du sondage, il est nécessaire de donner des explications sur les données récoltées, avant et après traitement.

A la clôture du questionnaire, nous avons obtenu les résultats suivants :

Graphique 7 : répartition des réponses issues du questionnaire

Nous avons récolté au total 101 réponses (tout type confondu) à partir de l’ouverture du questionnaire. Sur les 101 répondants, seulement 57 ont répondu aux 35 questions majeures et sont allés au bout du questionnaire. 22 répondants ont répondu partiellement et 22 utilisateurs n’ont pas répondu au questionnaire. Ce dernier chiffre correspond au nombre de personnes ayant simplement ouvert le questionnaire, et à ceux qui l’ont ouvert en passant la première étape sans poursuivre par la suite. Dans ce cas, les réponses sont automatiques (« N/A » dès l’ouverture du questionnaire et « non » par défaut pour les réponses sautées). Nous avons également remarqué que sur ces 101 répondants, il y avait 3 doublons concernant les adresses IP. Après comparaison, nous avons supprimé ces données car elles représentaient des situations particulières dues à un problème de connexion au questionnaire ou un problème d’affichage.

Pour les résultats détaillés plus bas, nous avons effectué un tri à plat. Le tri croisé peut être intéressant dans notre étude si nous souhaitons établir des profils « type » (en fonction de l’âge, du genre et des pratiques, ou encore par discipline).

Résultats

Grâce aux explications précédentes, nous pouvons présenter les résultats en se basant sur la nouvelle proportion : 79 réponses en comptant celles qui sont complètes et partielles. Nous avons choisi de ne pas comptabiliser les 22 répondants (N/A) par manque d’informations permettant leur qualification. Les analyses suivantes ne présentent pas toutes les réponses mais uniquement les tendances qui en ressortent, en fonction des réponses obtenues. Ces résultats sont une synthèse et non une description détaillée.

La majorité des répondants concerne des enseignants-chercheurs (24), des chercheurs (19) et des doctorants (18). Ils appartiennent principalement aux établissements de type faculté des sciences (11) et font partie des laboratoires : UMR 9197 Institut des Neurosciences Paris-Saclay (15), UMR 9001 Centre de Nanosciences et de Nanotechnologies (9) et UMR 8000 Institut de Chimie Physique (9). Les tutelles principales de ces derniers sont l’Université Paris-Saclay et le CNRS.  Les départements thématiques ciblés sont davantage liés aux sciences dures : Sciences De la Vie (35). Concernant les responsabilités des répondants, elles sont multiples : encadrement de thèse (28) et enseignement (25). Ils sont âgés majoritairement entre 50 et 59 ans (27), entre 40 et 49 ans (20) et ont moins de 30 ans (20). Nous comptons un nombre plus important de femmes (48) que d’hommes (31 répondants) parmi les répondants. 

Le format privilégié par notre cible pour lire des publications est double : numérique et imprimé (48). Pour effectuer une recherche documentaire, les moteurs de recherche (Google Scholar, Base, 1findr, Google Books, Isidore) sont davantage utilisés (57), suivis par les archives ouvertes comme ArXiv ou HAL (36) et les bases de données bibliographiques (35). 47 répondants reconnaissent avoir « quelques fois » rencontré des difficultés pour obtenir les publications nécessaires pour leur recherche. Majoritairement, les répondants n’utilisent pas : ni les extensions de navigateur pour faciliter le téléchargement d’articles (51), ni les plateformes de partage pour la méthodologie et les codes sources (52), ni les entrepôts de données (61), ni les ressources éducatives libres (54).

Pour faire une veille informationnelle, les moteurs de recherche (Qwant, Yahoo, Bing, Google) sont utilisés en premier (43), suivis par les portails scientifiques (18) et les réseaux sociaux (15).

Pour la visioconférence, c’est Skype (39) qui est davantage utilisé, devant Zoom (37) et Microsoft Teams (19). Pour entretenir le lien social et élargir sa communauté, les répondants se servent dans un premier temps des réseaux sociaux professionnels (26) puis des réseaux sociaux généralistes (22) et académiques (22).

Pour la majorité des répondants (66), le confinement lié à cette pandémie est une nouveauté et une situation semblable n’a jamais été vécue. Pendant le premier confinement, 65 répondants étaient en télétravail. Parmi eux, 38 ont rencontré des difficultés pour effectuer le travail, causées par la non-évidence du droit à la déconnexion (14) et par des connexions Internet mauvaises (12). Dans la majorité des cas, aucune aide n’a été perçue (64), ni aucune offre (63).

Généralement, les services utilisés (outils, logiciels, base de données) sont gratuits (53), Open Source (32) ou sous licences (31).

En ce qui concerne la saturation, les répondants l’ont ressenti principalement pour les médias (33) et le numérique (36).

Le confinement a bouleversé la manière de travailler de 32 répondants. En effet, 40 répondants ont développé de nouvelles habitudes dans le cadre de leur travail ou de leur recherche. Certains pensent les conserver (32). La découverte de nouveaux outils (logiciel, application) concerne 36 répondants. D’autres outils de visioconférence ont également été utilisés (51) comme : Big Blue Button, Collaborate, Jitsi, Tixeo, RenaVisio.

Concernant les pratiques de veille informationnelle (60) et de recherche documentaire (59), elles restent inchangées. De plus, le confinement n’a pas poussé le personnel de la recherche à utiliser davantage les REL (55). Pour ce qui est de l’évolution du temps de connexion sur les réseaux sociaux, il a stagné (44). Le rapport au numérique n’a pas évolué non plus (41).

Notre cible est majoritairement d’accord avec les 5 propositions :

  • Les mesures scientifiques ouvertes mises en place pendant les crises sanitaires mondiales comme celle causé par la COVID-19 devraient devenir la norme et non l’exception (37) ;
  • Avec les leçons tirées de la pandémie du Coronavirus, les pays devraient engager davantage de pourcentage le PIB pour la recherche scientifique, le partage des données et des connaissances (55) ;
  • La pandémie de la COVID-19 a démontré la nécessité d’une collaboration scientifique internationale renforcée (46) ;
  • Le confinement a permis de se rendre compte de la place du numérique dans notre quotidien (travail et vie personnelle) (44) ;
  • L’adaptation au numérique pour les tâches quotidiennes (enseignement, loisir…) a été une nécessité pendant la période de confinement (53).

 

Enfin, les avis concernant la Science Ouverte sont nombreux à être positifs, mais certains répondants ont montré des réticences et des avis partagés. Voici quelques extraits :

  • « oui mais... ce n'est pas la panacée tout au moins en France ou les outils et ressources libres sont des usines à gaz ! Bons nombres des alternatives open sources sont d'une qualité nettement inférieure (tant du point de vue de l'ergonomie, de l'intuitivité que de la performance) à l’équivalent sous licence... » ;
  • « C'est bien de manière générale, mais je ne vois pas de rapport direct avec la crise sanitaire » ;
  • « J'aimerais bien que les scientifiques reconnaissent le rôle de la science dans les multiples crises actuelles et qu'ils reconnaissent qu'ils n'ont pas été plus capables que la majorité de la population de prévoir quoi que ce soit […] » ;
  • « La science ouverte ne sera promue que si les instances d'évaluation les considèrent pour l'évaluation et la promotion des chercheurs / des enseignants-chercheurs » ;
  • « Utopique puisque trop d'intérêts individuels (pays, organismes, instituts etc..) ».

     

     Tout comme dans la deuxième partie de cet article, nous avons remarqué que notre hypothèse n'a pas pu être vérifiée car les résultats sont peu significatifs par rapport à la représentativité de l'échantillon. Notre hypothèse initiale, de savoir si les pratiques avaient évolué à cause du confinement, est donc nulle à ce stade de notre recherche. Néanmoins, les résultats exploratoires intéressant afin de poursuivre cette étude avec de nouvelles perspectives.

Les enseignants-chercheurs sont favorables à la Science Ouverte malgré les critiques qui peuvent être relevées. Les pratiques n'ayant pas évoluées (mise à part l'utilisation de la visioconférence dans le contexte du confinement), la Science Ouverte a concerné davantage le domaine de la médecine pour la course aux vaccins, plutôt que les universitaires.

Conclusion

Le confinement de la société peut-il déconfiner la science ? Nous avons tenté de répondre à cette question à partir des éléments présentés dans cet article, et il est de toute évidence difficile de croire que le confinement imposé à la recherche soit comparable au confinement national des populations. Les scientifiques, même confinés, ont été en première ligne sur le front du combat scientifique de par leur défi de développer le vaccin anti-covid, mais également de par leur urgence à soigner les malades ayant contracté le virus. Outre le personnel médical et hospitalier, d’autres chercheurs issus de différentes disciplines scientifiques se sont emparés de sujets liés au vécu de la population pour étudier des phénomènes sociaux, environnementaux et psychologiques.

À travers cet article, nous soulignons que la pandémie provoquée par le coronavirus a permis de donner une plus grande importance au mouvement de la Science Ouverte et que l’ouverture de la science ne doit pas être une problématique saisie uniquement en temps de crise. De même pour les efforts fournis par les éditeurs scientifiques privés, même si certains ont joué le jeu, il est primordial de contester l’accessibilité aux ressources numériques uniquement dans le seul but de répondre aux demandes liées à cette crise sanitaire. L’ouverture doit se faire de manière constante, et sans qu’une catastrophe mondiale en soit l’origine. En effet, la période de confinement devait traduire une intention d’intensifier la participation des Etats et des communautés pour ouvrir la recherche, mais ne devait pas se reposer sur celle-ci pour justifier la non-ouverture en dehors des crises (Maurel, 2020). Pendant que les frontières des villes se fermaient, la science s’ouvrait de plus en plus (Xu, 2020). S’ouvrir au monde, c’est s’ouvrir aux personnes (David, 2020). Dans un article publié dans Le Monde, Marin Dacos soulignait l’effort et les avancées, mais restent insuffisants au regard des besoins (Bonneau, 2020). Dans un entretien avec News Tank publié le 07 avril 2020, il avait également déclaré que cette crise était dans un sens un test « grandeur nature » pour le Plan National de la Science Ouverte (PNSO). Quant aux efforts déployés par les gouvernements, certains chercheurs reviennent sur la nécessité de réévaluer la manière dont les systèmes de recherche et de communication savante servent le bien public (Larivière, Shu & Sugimoto, 2020).

Concernant l’étude relative à l’évolution de la fréquentation des portails, archives et entrepôts de données, il nous est difficile de prendre ces chiffres pour acquis, car nous ne pouvons pas certifier avec exactitude ces données brutes. Même si l’outil SEMRush est compétent et efficace par rapport aux outils concurrents, nous gardons une marge d’erreur sur nos résultats. Les données pertinentes et utiles dans ce cas d’étude sont avant tout des données d’usage (dont le téléchargement des articles, par exemple). Or, ces informations sont détenues par les plateformes elles-mêmes. Ici, à défaut d’avoir obtenu les données utilisateur, nous avons choisi d’étudier l’évolution de la fréquentation tout en tentant de comparer nos résultats avec les annonces concernant l’explosion des téléchargements provoquée par l’ouverture inédite de certains éditeurs de revues scientifiques. Notre travail n’est qu’une proposition d’éléments étudiés visant à répondre aux interrogations de départ.

Enfin, notre enquête menée au sein de l’Université Paris Saclay reste un exemple parmi tant d’autres de ce que la recherche a pu vivre tout au long des mesures sanitaires. Dans notre cas, nous avons mis l’accent sur les pratiques de recherche (habitudes, conditions et évolution) et sur l’accessibilité numérique des chercheurs pendant le confinement. Les résultats de cette étude montrent que la prise de conscience autour du sujet de l’ouverture des publications s’est aussi faite au sein de la communauté scientifique. Mais en ce qui concerne les pratiques de recherche, il n’y a pas eu de changements conséquents ni de modifications importantes dans les conditions de travail des personnes interrogées. Les taux de participation (0,67%) et de réponses (0,52%) au questionnaire constituent une limite importante à l’étude et ne nous permettent donc pas de tirer de conclusion générale sur nos premières hypothèses. Cependant, nous pouvons tout de même confirmer que la recherche, même confinée et freinée par les mesures sanitaires, maintient ses activités grâce à l’engagement des enseignants-chercheurs pendant toute la période de cette crise sanitaire mondiale. Dans une perspective complémentaire, s’inscrivant dans la poursuite du travail effectué, il serait intéressant d’approfondir certaines questions avec des entretiens semi-directifs.

Bibliographie

AFP. (2020). Contre le coronavirus, les Américains tentent de créer un vaccin. Huffpost. En ligne sur : https://www.huffingtonpost.fr/entry/contre-le-coronavirus-les-americains-tentent-de-creer-un-vaccin_fr_5e306c4fc5b625d32f440e6c

Bender, M. (2020). You can now access 1,4 million bookfs for free thanks to the Internet Archive. Vice. En ligne sur : https://www.vice.com/en/article/wxeya5/you-can-now-access-14-million-books-for-free-thanks-to-the-internet-archive

Bobroff, J. (2020). Débat : En confinement, réinventons la vulgarisation scientifique !. The Conversation. En ligne sur : https://theconversation.com/debat-en-confinement-reinventons-la-vulgarisation-scientifique-135236

Bocquet, B. (2019). Quand chercheurs et citoyens coopèrent. The Conversation. En ligne sur : https://theconversation.com/quand-chercheurs-et-citoyens-cooperent-109892

Bonneau, C. (2020). Marin Dacos, la science en partage. Le Monde. En ligne sur : https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/03/27/marin-dacos-la-science-en-partage_6034640_4500055.html

Carré, F. (2020). Plus de livres en libre accès grâce à la signature d’un accord-cadre entre Springer Nature et l’Unesco. Archimag. En ligne sur : https://www.archimag.com/vie-numerique/2020/04/27/livres-libre-acces-signature-accord-cadre-springer-nature-unesco

Chambru, M. (2019). Youtubeurs et institutions : de nouveaux formats pour la médiation scientifique. The Conversation. En ligne sur : https://theconversation.com/youtubeurs-et-institutions-de-nouveaux-formats-pour-la-mediation-scientifique-107587

Dacos, M. (2020). Covid-19 : « un bon test grandeur nature pour la Plan national de la science ouverte ». News Tank. En ligne sur : https://education.newstank.fr/fr/tour/news/180040/covid-19-bon-test-grandeur-nature-plan-national-science-ouverte-marin-dacos.html

David, B. (2020). La science ouverte : refaire circuler le savoir librement. The Conversation. En ligne sur : https://theconversation.com/la-science-ouverte-refaire-circuler-le-savoir-librement-133408

Frammery, C. (2020). Le coronavirus met les revues scientifiques sous pression. Le Temps. En ligne sur : https://www.letemps.ch/sciences/coronavirus-met-revues-scientifiques-pression

Gallo Triouleyre, S. (2020). Covid-19 : toutes les disciplines universitaires se mobilisent autour de la recherche. La Tribune Auvergne-Rhône-Alpes. En ligne sur : https://region-aura.latribune.fr/innovation/2020-05-11/covid-19-toutes-les-disciplines-universitaires-se-mobilisent-autour-de-la-recherche-846505.html?fbclid=IwAR1njxuty9kwqerQYZN9kjj_tFDUUW2tF9ulQ7J9OrbGvUUebd-YOfxhvBI 

Larivière, V., Shu, F., Sugimoto, C. (2020). The Coronavirus (COVID-19) outbreak highlights serious deficiencies in scholarly communication. LSE Impact Blog. En ligne sur : https://blogs.lse.ac.uk/impactofsocialsciences/2020/03/05/the-coronavirus-covid-19-outbreak-highlights-serious-deficiencies-in-scholarly-communication/

Martin, N. (2020). Épidémie, confinement : quelles séquelles sur la recherche ? France Culture – Emission La méthode scientifique. En ligne sur : https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/la-methode-scientifique-emission-du-jeudi-14-mai-2020

Maurel, L. (2020). Crise ou pas crise, nous avons besoin tout le temps d’un savoir ouvert !. S.I.Lex. En ligne sur : https://scinfolex.com/2020/04/04/crise-ou-pas-crise-nous-avons-besoin-tout-le-temps-dun-savoir-ouvert/

Mercier, A. (2020). Chercheurs : quels services rendus à la cité ? The Conversation. En ligne sur : https://theconversation.com/chercheurs-quels-services-rendus-a-la-cite-132406

Xu, X. (2020). La menace du Covid-19 force les chercheurs à partager leurs découvertes, et c’est une révolution pour la science ! The Conversation. En ligne sur : https://theconversation.com/la-menace-du-covid-19-force-les-chercheurs-a-partager-leurs-decouvertes-et-cest-une-revolution-pour-la-science-132401

 


[1] Allocution du Président de la République, Emmanuel Macron, diffusée le 16 mars 2020 à 20h sur la chaîne de télévision TF1

[2] Nous faisons ici référence au buzz médiatique autour de l’affaire The Lancet concernant un article publié le 02 février dans bioRxiv, puis retiré par la suite

[3] Nous entendons ici la mise à disposition des ressources numériques, de l’accès aux contenus et services du Web

[4] Appel en ligne sur le site : https://wellcome.org/coronavirus-covid-19/open-data

[5] Communiqué de presse du 16 mars 2020 en ligne : https://wellcome.org/press-release/publishers-make-coronavirus-covid-19-content-freely-available-and-reusable

[6] Annonce faite sur le site : https://piccache.cnki.net/index/images2009/other/2020/proposal.html

[7] Appel en ligne : https://wellcome.org/sites/default/files/covid19-open-access-letter.pdf

[8] Appel disponible en ligne : https://adbu.fr/competplug/uploads/2020/03/COVID-19-APPEL-AUX-E%CC%81DITEURS-DEF-2020-03-19.pdf

[9] Informations disponibles sur le site : https://www.nlm.nih.gov/news/Expanding_Access_Coronavirus_Literature.html

[10] Rapport préliminaire sur l’avant-projet de recommandation, en ligne : https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000374409_fre.page=11

[11] Nouvelle disponible en ligne sur le site de l’ONU : https://news.un.org/fr/story/2020/03/1065492

[12] Nouvelle disponible en ligne sur le site des Nations unies : https://news.un.org/fr/story/2020/03/1064522

[13] Déclaration disponible en ligne : https://en.unesco.org/sites/default/files/dhe-covid-19-unesco_statement_fr.pdf

[14] Communiqué de presse en ligne : https://recherchecovid.enseignementsup-recherche.gouv.fr/covid-19-le-gouvernement-demande-l-ouverture-complete-des-publications-et-donnees-scientifiques

[15] Communiqué de presse en ligne : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/200515-cp_recherche_covid_vague2.pdf

[16] Communiqué de presse en ligne : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_20_680

[17] Pétition en ligne : https://www.change.org/p/emmanuel-macron-nous-d%C3%A9non%C3%A7ons-une-restriction-sans-pr%C3%A9c%C3%A9dent-de-l-acc%C3%A8s-aux-archives-contemporaines

[18] Liste des 18 projets retenus : https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/research_and_innovation/research_by_area/documents/ec_rtd_cv-projects.pdf

[19] Plan d’action 2021 de l’ANR dans un contexte sanitaire lié à la pandémie de Covid-19 : https://anr.fr/fr/plan-daction-2021/

[20] Communiqué de presse en ligne : https://www.ird.fr/sites/ird_fr/files/2020-03/2020_03_11_CP_RechercheCOVID19.pdf 

[21] Résultats disponibles sur le site : https://www.imi.europa.eu/news-events/press-releases/imi-announces-covid-projects-boosts-funding-pot-eur-72-million

[22] Liste des projets sur le site :  https://www.frm.org/nos-publications/actualites/covid-19-projetsdexcellence

[23] Au total, 15 434 articles recensés et en ligne sur : https://connect.biorxiv.org/relate/content/181          

[24] Soit plus de 13 921 résultats, en ligne sur : https://ideas.repec.org/cgi-bin/htsearch?form=extended&wm=wrd&dt=range&ul=&q=coronavirus%7Ccovid%7C%28corona+virus%29&cmd=Search%21&wf=4BFF&s=A&db=&de=

[25] Liste de prépublications disponible sur : https://www.ssrn.com/index.cfm/en/coronavirus/

[26] Pres de 2 320 résultats en comptant tout type de dépôts (article, pré-publication, rapport…), disponibles sur : https://hal.archives-ouvertes.fr/search/index/?q=text:(covid-19+OR+SARS-CoV-2+OR+coronavirus)+AND+openAccess_bool:true&sort=producedDate_tdate+desc

[27] Voir également la pétition en ligne : https://www.change.org/p/mme-fr%C3%A9d%C3%A9rique-vidal-reprise-des-cours-%C3%A0-l-universit%C3%A9

[28] Nous faisons référence aux enquêtes SynLab et Eucor-Le (universités de Strasbourg, Haute-Alsace, Bâle)

[29] Nouvelle disponible sur leur site : https://www.fun-mooc.fr/fr/news/fun-re-ouvre-15-mooc-en-mode-archive-ouvert-pour-a/

[30] Communiqué de presse en ligne : https://www.sne.fr/app/uploads/sites/2/2020/03/CP_COVID-19_12032020.pdf

[31] Groupe privé : https://www.facebook.com/groups/bibliothequesolidaire/?epa=SEARCH_BOX

[32] Liste disponible sur le site de l’association : https://scienceouverte.fr/category/science-ouverte-a-la-maison/

[33] Wiki accessible en ligne : https://www.adbs.fr/groupes/adbs-info/covid19-professionnels-de-287213

[34] Texte complet et autres informations sur le site : https://covid19-open.frama.io/memo/

[35] Site du projet : https://opencovidpledge.org/

[36] Site du projet : https://www.opensourcepharma.net/

[37] Liste non exhaustive disponible sur les sites: https://www.ospfound.org/open-research-platform.html ; https://code.etalab.gouv.fr/fr/repos?q=covid ; https://oecd-opsi.org/covid-response/?_countries=france&_search=france ; https://naos-cluster.com/covid-19-biens-communs/ ; http://www.fablab.fr/coronavirus/ ; https://www.opendatafrance.net/2020/03/23/le-covid19-et-les-donnees/ ; https://inno3.fr/actualite/veille-covid-19-pour-de-lopen-en-conscience

[38] Plateforme en ligne : https://covid-initiatives.org/

[39] Dans notre cas, la bibliothèque universitaire de Toulon a mis en accès les accès exceptionnels à la documentation. Une liste est disponible sur leur site : https://bu.univ-tln.fr/covid-19-collections-numeriques-des-acces-exceptionnels.html

[40] Recueil disponible sur le site de Couperin : https://www.couperin.org/breves/1413-covid19-recensement-des-facilites-offertes-par-les-editeurs-du-fait-de-la-pandemie


[41] Nous citons par exemple CODE-VIRUS (https://ds.hypotheses.org/7901) et Confinements (https://confinements.hypotheses.org/) qui sont des initiatives de chercheurs en SHS

[42] Témoignages en ligne sur le site : https://www.larecherche.fr/covid-19-coronavirus-vie-de-labo/pand%C3%A9mie%C2%A0du-covid-19-quelles-cons%C3%A9quences-pour-la-recherche

[43] Questionnaire en ligne : https://en.unesco.org/sites/default/files/questionnaire_unesco_open_science_fr.pdf

[44] Enquête disponible en ligne : https://www.generationphd.com/

[45] Enquête militante en ligne : https://universiteouverte.org/2020/04/21/enquete-militante-sur-les-conditions-de-vie-et-de-travail-des-doctorant%c2%b7es-et-docteur%c2%b7es-face-a-letat-durgence-sanitaire/

[46] https://www.universite-lyon.fr/version-francaise/

[47] https://www.universite-paris-saclay.fr/

[48] Nous tenions à remercier Thierry Doré, Vice-Président Recherche et Valorisation de l’Université Paris-Saclay, pour la diffusion de notre enquête

Du même auteur

Tous les articles

Aucune autre publication à afficher.