Introduction
L'objectif de l’accord de Paris (COP 21), adopté par plus de 170 pays en 2015, est de contraindre le réchauffement climatique à des niveaux bien inférieurs à 2°C, voire 1,5°C, par rapport aux niveaux préindustriels (CCNUCC, 2015 ; Rogelj et al., 2019). Dans le cadre de cet accord, de nombreuses régions du monde ont proposé des objectifs spécifiques pour l'atténuation des gaz à effet de serre (GES) et des politiques environnementales plus strictes (Liobikiene et Butkus, 2017 ; Sobrinho et al., 2020 ; Zhou et al., 2021) mais beaucoup reste à faire (UNEP, 2020 ; GIEC 2022).
Le rôle des villes et de leurs acteurs dans la création d'une société durable à faible émission de carbone est essentiel (Georgeson et al., 2016 ; Sun et al., 2016). Les villes couvrent 3 % de la surface de la Terre, accueillent la moitié de la population mondiale, sont responsables de plus de 70 % des émissions de GES et de près de 80% de la consommation mondiale d’énergie (IEA, 2012 ; IIASA, 2012 ; Wei et al. 2021). On s'attend à ce que, d'ici 2050, 70% de la population mondiale vive dans des zones urbaines.
Avec le Green Deal, l’Union européenne (UE) s’engage de manière contraignante à ce que les États membres réduisent fortement les émissions de GES à l’horizon de 2030 (Drysdale et al., 2020). Dans de cadre, de nombreuses villes de l'UE se sont engagées à réduire leurs émissions de GES, voire atteindre la neutralité carbone (Reckien et al., 2018). Cependant Salvia et al. (2021), après avoir évalué les plans de 327 villes de l'UE, ont montré que beaucoup de villes devraient doubler leurs ambitions pour atteindre les objectifs fixés par l'Accord de Paris.
Pour s’engager dans une politique de décarbonation et agir en faveur du changement climatique, les villes doivent disposer d’information, de données et d’indicateurs afin d’établir des bilans comparés des émissions de GES et d’identifier les grandes lignes des actions menées par les villes.
L’objectif de cet article est d’analyser l’information durable (Nolin 2010) sur laquelle les villes adossent leur stratégie de décarbonation. Notre recherche questionne les méthodes de comptabilisation des émissions carbone mais aussi les enjeux info-communicationnels de la production de ces indicateurs. Ces indicateurs sont-ils suffisants et pertinents ; permettent-ils d’évaluer l’efficacité des politiques de réductions des émissions de GES ; permettent-ils de sensibiliser les citoyens et de les inciter à soutenir de manière active cette décarbonation ?
Dans un premier point nous présenterons la façon dont la décarbonation des villes est mesurée et les enjeux info-communicationnels de la production de cette information. Nous étudierons ensuite la stratégie de décarbonation de 12 villes européennes pour finir par une analyse critique de l’information durable disponible en matière de décarbonation des villes.
1. La mesure de la décarbonation des villes
Aborder la décarbonation des villes revient non seulement à mesurer les émissions de GES mais surtout à établir un bilan carbone dans une perspective relativement longue pour appréhender les tendances et les évolutions en matière de décarbonation. Les méthodes de comptabilisation sont complexes car non encore unifiées, et reposent essentiellement sur de l’auto-déclaratif. Les données sont regroupées au sein de plateformes et de bases de données disponibles en open data. Ces données présentent des enjeux info-communicationnels pour les villes et leurs parties-prenantes.
1.1. Une méthode basée sur l’auto-déclaration
Pour appréhender la décarbonation, il faut d’abord être en mesure de mesurer les émissions de CO2 des villes. Deux méthodes semblent désormais s’imposer, celle de l’Intergovernmental Panel on Climate Change Guidelines for National Greenhouse Gas Inventories plus connu sous le nom de « méthode du GIEC » (IPPC, 2019) et celle proposée par le Global Protocol for Community Greenhouse Gas Emissions Inventories (GPC, 2014). Cette dernière ambitionne de devenir la norme internationale recommandée pour la comptabilisation des émissions de GES des villes. Ces organisations proposent aux villes de suivre une méthodologie précise pour renseigner au mieux les émissions de GES et rendre les données comparables.
Ces méthodes présentent des différences dans les exigences de comptabilisation, en particulier pour les émissions hors des « frontières » urbaines liées aux activités intérieures. Cela peut conduire à des résultats différents, pour une même ville. Dans ces protocoles, la comparaison des détails des émissions transfrontalières est nécessaire. On devrait être en capacité de mesurer les émissions territoriales et d’y ajouter les émissions incorporées dans les importations et d’en déduire les émissions incorporées dans les exportations (Chen et al., 2019).
Toutes les villes ou agglomérations sont amenées, sur la base du volontariat, à fournir un ensemble de données standardisées en répondant à un questionnaire annuel. Ce travail d’harmonisation est important pour permettre l'évaluation et la comparaison des progrès de l'atténuation des émissions de GES dans le temps et l'espace.
C’est sur cette base déclarative que nombres d’auteurs ont évalué l'efficacité des progrès en matière de réduction des émissions de GES ou des objectifs climatiques dans certaines villes (Chen et al., 2019 ; Chen et Chen, 2012 ; Drozdz et al., 2021). Cependant, il n'existe pas de bilan global des villes à différents stades de développement à l'échelle sectorielle (transport, bâtiments, déchets, etc.) et les comparaisons entre les différentes années sont souvent incohérentes. Il est également essentiel de comparer les objectifs de réduction des émissions de carbone entre les villes, ce qui est important pour évaluer les écarts entre les progrès actuels et les attentes futures en matière d'atténuation. En fait, il semble plus facile de suivre les trajectoires individuelles des villes que de les comparer.
1.2. Les bases de données disponibles
Le Carbon Disclosure Project est une plateforme mondiale qui permet aux villes de publier des informations sur leur plan d'action climatique et sur les réalisations accomplies en matière de réduction des GES. La base de données comprend des informations provenant d'un questionnaire volontaire que les représentants des villes remplissent chaque année. Cette plateforme dispose de la collection la plus complète de données environnementales auto-déclarées au monde. Elle contient des données sur les émissions de GES, l'atténuation du changement climatique, les plans d'adaptation et les objectifs climatiques. Le CDP a une couverture élevée des villes mondiales et une qualité de données relativement bonne disponibles en open source.
Le CDP collabore avec la Convention mondiale des maires pour le climat et l'énergie et avec le C40 cities, réseau qui relie 97 des plus grandes villes du monde pour lutter contre le changement climatique en fournissant des informations sur les émissions de carbone et les plans de réduction des émissions de GES. Le CDP collabore avec l'ICLEI pour la durabilité et d'autres organisations qui œuvrent en faveur de l'action climatique au niveau local.
Au niveau européen, le réseau Euro Cities regroupe les 200 principales villes européennes de 38 pays. L’ambition est de proposer aux 130 millions d’habitants concernés, une meilleure qualité de vie en partenariat avec l’UE dans une logique bottom-up de changements issus du terrain. L’Agence européenne pour l’environnement en collaboration avec son Centre thématique européen sur l'atténuation du changement climatique et l'énergie (CTE/CME), compile et traite les données transmises par les États membres. L’Agence analyse également les tendances passées et à venir ainsi que les facteurs sous-jacents des émissions de GES. Elle est en mesure de renseigner sur les progrès de l'UE en matière de réduction des émissions de GES dans son rapport annuel.
Nous sommes bien en présence d’une information durable au sens de « information for sustainable development » de Nolin (2011). Cette information, ici centrée sur les émissions de GES, propose des indicateurs en appui des politiques publiques, est de nature participative (auto déclaration) et est collectée et diffusée par des systèmes d’information accessibles à tous (base de données en open source).
2. Les enjeux info-communicationnels de la production des données
La production de l’information durable, notamment dans le cas du suivi des émissions de GES, nécessite des compétences techniques particulières au sein des municipalités, ce qui engendre des coûts financiers. Derrière la production et la publication des informations, les villes font donc un choix politique qui fait référence à un type particulier de gouvernance, la gouvernance climatique. Cette gouvernance repose sur une approche multi-acteurs qui s’appuie tant sur une coordination verticale qu’horizontale (Fröhlich et al. 2013, Kern et Alber 2009) de nature participative dont l’objet est de relever les défis du changement climatique et promouvoir la durabilité. La gouvernance doit faciliter la :
· coordination entre les différents échelons territoriaux notamment pour les métropoles ;
· planification des actions à mener selon les secteurs (énergie, transports, bâtiments, urbanisme, eau, déchets) ;
· collaboration entre les diverses parties-prenantes pour mobiliser les ressources notamment financières, partager les connaissances et mettre en place des solutions innovantes ;
· mesure des progrès (collecte de données fiables sur les émissions de carbone, mise en place d'indicateurs de suivi et de reporting).
Du point de vue info-communicationnel, les enjeux de la décarbonation des villes sont importants. Il s’agit pour la ville de communiquer sur ses intentions et ses réalisations (campagnes de sensibilisation ciblées, communication multicanal) afin d’embarquer les parties-prenantes (citoyens et acteurs localisés) dans le soutien à sa politique de décarbonation. Il est alors nécessaire de mettre en place des d’interactions locales et de donner du sens à l’action de la ville d’abord en formant et éduquant les citoyens, ensuite en incitant les parties-prenantes à contribuer à la décarbonation souvent de manière très concrète et factuelle (participation citoyenne, partenariats, projets pilotes, etc.) sans omettre la mise en valeur des réalisations (succès, bonnes pratiques).
Pour les citoyens, les enjeux de la décarbonation sont liés à l’amélioration du cadre de vie à plusieurs niveaux :
· Amélioration de la qualité de l’air ce qui a un impact direct sur la santé publique ;
· Transition vers des systèmes énergétiques bas-carbone (énergies renouvelables) ce qui contribue à la réduction des couts énergétiques et à la réduction de la dépendance à l’énergie carbonée ;
· Création de nouvelles opportunités d’emplois « verts » ;
· Contribution à la résilience urbaine et à la lutte contre le réchauffement climatique
3. La décarbonation de 12 villes de l’union européenne
3.1. Échantillon et données explorées
Notre échantillon comprend les 12 villes européennes suivantes, classées par ordre alphabétique : Barcelone (Espagne), Berlin (Allemagne), Braga (Portugal), Copenhague (Danemark), Heidelberg (Allemagne), Helsinki (Finlande), Lahti (Finlande), Malmö (Suède), Paris (France), Stockholm (Suède), Turin (Italie), Turku (Finlande). Il s’agit de 12 régions urbaines (villes ou zones métropolitaines) de 8 pays de l’UE, sélectionnées en fonction de la représentativité de la taille des villes et de la distribution régionale. Ces échantillons urbains représentatifs sont généralement des villes centrales, des zones urbaines importantes voire des régions métropolitaines dans leur pays.
La sélection des villes est basée sur l'ambition des objectifs climatiques à l'échelle de la communauté en termes de % d'émissions de GES à atténuer d'ici 2050 ou avant. De ce fait, toutes ces villes sont ou ont été classées dans la « liste A » établie par le Carbon Disclosure Project. Cette « liste A » a été établie en 2018 à la suite de la COP 21 et fait l’objet d’une actualisation régulière. Il s’agit de recenser les villes qui ont réalisé des progrès majeurs depuis la signature de l’accord de Paris et se sont fixé des objectifs ambitieux en matière de changement climatique. Comme le montre le tableau 1, deux villes de notre échantillon sont classées depuis 2018 (Barcelone et Paris), sept villes sont entrées dans le classement en 2019 (Berlin, Heidelberg, Lahti, Malmö, Stockholm, Turin et Turku) et 3 villes en 2020 (Braga, Copenhague, Helsinki). Les deux derniers classements (2021 et 2022) voient des villes sortir du classement. Il s’agit de Heidelberg, Malmö et Turin qui sont sorties en 2021 et de Berlin, Copenhague, Heidelberg, Helsinski, Stockholm et Turin en 2022. Ces villes n’ont probablement pas maintenu leurs engagements en raison de la pandémie de coronavirus.
Par ailleurs, la moitié de ces villes ont été finalistes ou ont obtenu le European Green Capital Award, récompense qui couronne les efforts des villes soucieuses de proposer à leurs citoyens une vie urbaine respectueuse de l’environnement. Il s’agit d’une initiative prise en 2006 par 15 villes européennes (Tallinn, Helsinki, Riga, Vilnius, Berlin, Varsovie, Madrid, Ljubljana, Prague, Vienne, Kiel, Kotka, Dartford, Tartu et Glasgow) et l'Association des villes estoniennes. Cette initiative est relayée et soutenue par la Commission européenne depuis 2008. Elle valorise les initiatives locales qui peuvent ensuite être partagées avec d’autres villes au titre de l’échange de bonnes pratiques selon une logique bottom-up.
Tableau 1: Les 12 villes de notre échantillon
Sources : CDP « Liste A » ; EU cities, C40
Les sources de données utilisées dans notre étude sur les villes sont les bases de données publiques de C40 Cities, EU Cities, l’Agence européenne pour l’environnement et la plateforme Carbon Disclosure Project qui est notre principale source d'information, car toutes les villes ou agglomérations ont volontairement fourni un ensemble de données standardisées en répondant à un questionnaire annuel. Cette base étant très riche, nous avons principalement exploré les données relatives aux émissions de GES dénommée city-wide emission disponible pour les années 2019, 2020 et 2021. Comme les villes sélectionnées disposent de bilans d'émissions de GES depuis au moins deux ans nous pourrons comparer les progrès de la réduction des émissions de GES. Nous avons également utilisé la base CDP renewable energy de 2020 qui précise les cibles des villes en matière d’énergie renouvelable. Nous avons ensuite exploité la base Mitigation actions qui recense les cibles et les actions en faveur de la réduction des émissions de GES. Enfin, la base Governance, renseigne sur l’intégralité des actions menées par les villes au-delà de la décarbonation (changement climatique). Cette base de données permet d’analyser des objectifs de réduction des émissions de carbone fournis par les villes.
Pour calculer les émissions de CO2, les villes de Berlin, Copenhague, Lahti et Turin ont utilisé les recommandations de l’Intergovernmental Panel on Climate Change Guidelines for National Greenhouse Gas Inventories 2006 (IPPC 2006) tandis que les autres villes du panel ont utilisé la méthode proposée par le Global Protocol for Community Greenhouse Gas Emissions Inventories.
2. Les actions des villes pour réduire les émissions de GES
Les villes de l’échantillon ont fixé des objectifs de réduction de carbone clairs, parfois ambitieux, et traçables. La plupart des villes arrive à réduire leurs émissions de GES à la suite d’actions de réduction des émissions, de changement technologique, de la diminution de l'utilisation du chauffage urbain et du fioul domestique ou encore à l’amélioration de l'efficacité énergétique, mais aussi en raison de la réduction de la population et de la crise économique. L'énergie stationnaire et le transport routier sont les principaux responsables des émissions de GES des villes. Parmi tous les utilisateurs d'énergie stationnaire, les bâtiments résidentiels et institutionnels jouent un rôle important.
Les principales mesures prises par les villes concernent pour l’essentiel six secteur qui sont détaillée dans le tableau 2. S’agissant des approvisionnements en énergie, les villes étudiées cherchent à optimiser la production traditionnelle d'électricité/énergie (chauffage urbain, stockage de l’électricité) et à privilégier la production d'énergie à faible ou à zéro émission de carbone (biogaz, solaire, éolien). Les villes visent l’efficacité et la sobriété énergétique dans les bâtiments publics et privés, notamment les logements dans les parcs immobiliers anciens. Beaucoup de villes en sont au stade de la feuille de route et de l’affichage des intentions sauf en matière d’abandon des systèmes de chauffage au fioul et de développement du solaire. Concernant les déchets, les villes cherchent à améliorer l'efficacité de la collecte et viser le zéro déchet. Elles cherchent ensuite à produire avec ces déchets du biogaz. Certaines villes tentent de transformer les eaux usées en énergie (Copenhague, Lahti). Côté développement urbain, les villes tentent dans le cadre des réhabilitations à développer des éco-quartiers, les transports en commun, l’agriculture urbaine, la biodiversité et les espaces verts pour renforcer les puits de carbone. D’autres comme Braga ou Lahti se lancent dans le concept de « villes compactes ». L’action sur les infrastructures (hors transports) concerne l’éclairage public en LED et les éclairages « intelligents » (Paris, Barcelone) et la mise en place de capteurs (Barcelone, Paris, Turin). Les transports publics et privés constituent une préoccupation majeure partagée par toutes les villes de notre échantillon. Il s’agit de réaliser des économies de carburant et de réduire les émissions de CO2 des transports en communs (hydrogène, électrique). Toutes les villes misent sur le vélo, et les voitures électriques et surtout sur la réduction des véhicules privés par une meilleure gestion de la demande de transports (covoiturage, etc.). Il s’agit de favoriser les mobilités peu carbonées et de développer les infrastructures autour du vélo.
Tableau 2 : Actions des villes par secteurs pour réduire les émissions de GES
Sources : D’après CDP Cities, City-wide Emissions (2021), fichier « Cities Emissions Reduction Targets & Actions »
4. Discussion et analyse critique de l’information durable disponible
Afin de limiter le réchauffement climatique à 1,5◦C au cours de ce siècle, les villes doivent mener une politique de développement durable axée sur l'innovation. En outre, des instruments doivent être mis en place pour faciliter cette transformation et la mise à niveau des industries traditionnelles ainsi que le développement de chaînes d'approvisionnement plus propres et le passage à un mode de vie à faible émission de carbone. Plusieurs recommandations en matière de politique publique peuvent être formulées pour faire progresser les actions climatiques futures dans les villes.
1. Des stratégies d'atténuation plus efficaces ciblant des secteurs clés
L'énergie consommée par le parc immobilier (résidentiel et d’entreprises) et les transports routiers sont les deux principaux secteurs responsables des émissions de GES des grandes métropoles. Des mesures telles que la promotion d'audits énergétiques sur la consommation d'énergie des bâtiments (Kontokosta et al., 2020), l'ajustement des structures des bâtiments (Li et al., 2019), et le contrôle et la réduction des activités de construction inutiles (Zhang et al., 2019) devraient être envisagées pour atteindre l'objectif d'émission nette zéro des bâtiments.
Les villes dont la population est importante, dont les infrastructures de transport se développent rapidement et dont la demande de déplacements est élevée ont tendance à avoir une part plus importante d'émissions liées au transport. Le contrôle efficace des émissions des transports suppose la mise en place de divers outils par les décideurs. Par exemple, les services publics peuvent systématiquement acheter des véhicules propres. En outre, les combustibles fossiles utilisés dans les transports devraient être remplacés par des énergies plus propres comme l'hydrogène et les biocarburants (Axsen et al., 2020), et promouvoir le développement du parc de véhicules électriques tant dans les transports publics que privés (Safarzy'nska et al., 2018). De plus, les normes d'émissions routières devraient être améliorées et mises à jour pour minimiser l'impact des véhicules à essence et diesel existants (Thiel et al., 2016). La mise en place d’incitations économiques telles qu’un système de monnaie carbone pour les personnes employant des mobilités douces comme c’est le cas à Lahti (Finlande), peut être un élément facilitateur de la transition énergétique.
En outre, la gestion des déchets et le recyclage ne doivent pas être ignorés (Weidner et al., 2021). Comme le montrent nos résultats, pour certaines villes telles que Lahti, la contribution de l'élimination des déchets aux émissions totales est relativement élevée. Il est très important pour décarboner d’être en mesure de renforcer la réutilisation des déchets sous forme de nouveaux produits à faible teneur en carbone comme la réutilisation de la biomasse pour la production d'énergie (Tripathi et al., 2019). Une gestion appropriée des déchets solides peut aider à optimiser l'utilisation des ressources, tendre vers le « zéro déchet » et donc contribuer à la construction d'une économie circulaire (Fernandez-Brana et al., 2020).
2. Renforcement de la méthodologie d’évaluation des progrès en matière de réduction des émissions
Pour évaluer l'efficacité des politiques de réduction des émissions de carbone dans les zones urbaines, il est nécessaire de compiler des bilans d'émissions précis et chronologiques en utilisant une méthodologie cohérente. À l'heure actuelle, malgré les nombreux efforts déployés pour établir le compte carbone des différentes villes, il n'existe toujours pas de base de données dynamique de grande qualité sur les émissions de GES des villes à l'échelle mondiale. La plupart des villes ne disposent pas de bilans d'émissions de GES comparables dans le temps à un niveau sectoriel détaillé.
Certaines villes américaines et européennes ont développé des bilans d’émissions de GES relativement complets (par ex. Lahti, Turku, Malmö) tandis que d'autres villes ne disposent de données d'émissions que pour quelques années ou ne rapportent pas les émissions de certains secteurs (par ex. Berlin, Barcelone). La mise en place de données traçables, transparentes et disponibles sur longue période, sur les émissions de GES favoriserait une meilleure collaboration entre les grandes villes.
En outre, les comptes-carbone basés sur la consommation et sur les infrastructures ont été de plus en plus adoptés pour déterminer l'impact climatique et les responsabilités des villes en matière d'atténuation (Chen et Chen, 2017 ; Ramaswami et al., 2021). Le développement de bases de données mondiales reposant sur la consommation et l'infrastructure devrait également être à l'ordre du jour. L'amélioration du système de notification et de la qualité des données relatives aux émissions de GES serait préférable pour l'évaluation des processus de décarbonation. Cela impose des exigences plus élevées en matière de collecte de données de base, tant en termes de volume de données que de niveau de précision.
3. Des objectifs de réduction plus ambitieux et plus faciles à suivre
Bien que de nombreux pays aient annoncé des engagements climatiques ambitieux, les objectifs climatiques semblent moins clairs et moins disponibles pour de nombreuses villes. Peu de villes dans le monde, y compris en Europe, ont des objectifs climatiques traçables. Les villes de la plupart des pays développés ont fixé des objectifs climatiques clairs à long terme, tels que la neutralité carbone d'ici 2050. En comparaison, un grand nombre de villes des régions en développement préfèrent des objectifs d'intensité et des objectifs de scénario de référence qui sont généralement basés sur le court ou le moyen terme, ce qui n'est pas entièrement compatible avec les objectifs climatiques mondiaux. À un certain stade, l'intensité de carbone est un indicateur utile de la décarbonation de l'économie et offre une meilleure flexibilité aux villes qui connaissent une croissance économique rapide et une augmentation des émissions. Mais à long terme, il est essentiel de passer des objectifs d'intensité aux objectifs absolus dans les villes pour atteindre la neutralité carbone mondiale d'ici 2050.
En outre, des objectifs spécifiques décomposés en différents secteurs (par exemple, des objectifs spécifiques pour la consommation d'énergie, les transports et les déchets) sont nécessaires pour atténuer les écarts d'émissions. Copenhague prévoit d'atteindre une réduction de 20 % de la consommation de chaleur en 2025 par rapport à 2010 et des émissions nettes de carbone nulles dans les transports publics d'ici 2025 (CPH, 2012). Une large coopération entre les gouvernements, les communautés d'affaires, les institutions de recherche et les organisations sociales est nécessaire pour fournir des solutions technologiques synergiques en vue d'atteindre les objectifs de réduction des émissions sectorielles. Les objectifs climatiques pour les différents secteurs et industries devraient être conçus de manière simple et facilement traçable, et permettre une comparaison transparente au niveau sectoriel entre les villes (Levin et Fransen, 2019).
Conclusion
La production de données sur la décarbonation des villes est essentielle pour évaluer les progrès, identifier les domaines d'action prioritaires et orienter les politiques et les initiatives futures.
Il convient de noter certaines limites et incertitudes. Tout d’abord, les définitions de l'unité de compte sont diverses et parfois incohérentes d'une ville à l'autre, ce qui rend difficile l'évaluation des villes à la même échelle géographique et à la même gouvernance, compte tenu des données actuelles. Cela peut introduire des incertitudes dans les comptes et bilans carbone. Par exemple, certaines mesures d'atténuation du changement climatique devraient avoir lieu dans des zones suburbaines voisines ou à un niveau plus élevé de la métropole (comme la réduction du carbone du transport interurbain et l'élimination des déchets en dehors du centre-ville). De récentes publications (Harris et al., 2019 ; EIB, 2022) suggèrent qu’il faut lier les comptabilités en termes de production et en termes de consommation, ce qui nous semble pertinent.
De plus, la plupart des estimations reposent sur des paramètres issus d'études techniques qui sont appliqués à des mesures d'activité basées sur des enquêtes pour le transport, la production d'énergie et l'industrie manufacturière. L'avènement de la mesure du CO2 par satellite a considérablement élargi le champ d'application des évaluations des performances en matière d'émissions (Dasgupta et al., 2021). Des observations à haute résolution des concentrations atmosphériques de GES sont désormais disponibles à partir de plusieurs plateformes, notamment les instruments OCO-2 et OCO-3 de la NASA, les plateformes METOP-A et TROPOMI (Sentinel-5P) de l'Agence spatiale européenne, et les satellites GOSAT et GOSAT-2 de l'Agence japonaise d'exploration spatiale.
Enfin, la structure de gouvernance locale influence la manière dont un territoire entreprend des actions climatiques et l'efficacité potentielle de ces actions (Linton et al. 2020, Van Der Heijden 2019). Si la politique de décarbonation doit être ajustée aux spécificités de chaque ville en (culture locale, priorités spécifiques), il n’en demeure pas moins que chaque ville doit engager une stratégie de communication pour promouvoir l’information durable et les solutions durables et, de ce fait, embarquer dans son sillon les parties-prenantes. L’information durable doit venir en soutien de la stratégie de décarbonation des villes européennes en favorisant la transition vers des villes à faible émission de carbone. En définitive, la décarbonation des villes est un résultat mais surtout un processus collaboratif et participatif.
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