Abstract : Even if the use of big data is announced as almost miraculous, firms would be well inspired to be careful, considering the fact that they have been regularly confronted with managerial waves that foreshadow profitable tomorrows, such as knowledge management in 2000, whose actual performance calls for circumspection.
French small companies are particularly exposed to this phenomenon. Overwhelmed by commercial messages and an ambient discourse, they doubtless question themselves. But we miss a real study of their understanding of the notion of big data, of their discourses on the subject, the practices they have developped, theirs expectations and their way to o measure the return on investment if they have chosen to engage in a big data strategy. This article presents the results of a qualitative study conducted with a group of 23 small companies, with analysis of the verbatim and discussion of the results. The study shows the emergence of a new self-fulfilling prophecy around big data.
Key-words : big data, small and medium size firms, self-fulfilling prophecy
INTRODUCTION
La place désormais massive des discours consacrés au big data dans l’univers des entreprises et de leurs médias professionnels donne le sentiment que le monde du management connaît nouvel un emballement, à l’imitation de ce qui se passa au début des années 2000 avec le knowledge management (KM) appelé, disait-on, à transformer radicalement les organisations. Il fallut quelques années avant que l’on admette que le KM, confronté à un management qui n’entendait pas se départir sans résistance de son pouvoir hiérarchique, n’était finalement ni aussi simple, ni aussi rapidement performant qu’on l’avait annoncé et que le recours aux technologies n’en garantissait pas le succès (Frost, 2014). Les mises-en-garde précoces (McDermott, 1999 ; Wilson, 2002) n’y avaient rien fait.
Que disent les professionnels et les revues pro-business ? Que les données massives, parfois présentées comme des informations massives sans qu’aucune distinction ne soit faite entre donnée et information, peuvent se transformer en « or compétitif » pour peu que l’on développe de nouvelles habiletés pour les traiter et un nouveau style de management adapté : « Businesses are collecting more data than they know what to do with. To turn this into competitive gold, they’ll need new skills and a new management style” (McAfee & Brynjolfsson, 2012, p. 59). En arrière-plan, le postulat de Deming et Drucker que ce qui ne se mesure pas ne se manage pas, posture quantitativiste classique dans le domaine des sciences de gestion.
En France, le décalage considérable entre l’abondance des sources professionnelles qui prônent le recours aux données massives, présentées comme « l’arme fatale » de la performance concurrentielle et le faible nombre d’articles de recherche confortant cette assertion est frappant. En témoigne une analyse opérée sur la base d’articles Cairn[1] et plus largement sur www.scholargoogle.fr. Ce dernier moteur de recherche répertorie environ 200 textes qui montrent des tentatives pour appréhender l’impact possible des données massives sur une multitude de secteurs (alimentation, santé, biologie, tourisme, transport, formation, traduction bibliothèque…), les doutes éthiques et anthropologiques des penseurs, les questionnements des chercheurs quant à l’impact que le big data peut avoir sur leurs sciences.
Certes, il est commun que les recherches consacrées à la mesure des résultats réels soient publiées avec un décalage temporel par rapport à la mise en œuvre des pratiques observées. Pour reprendre le cas du KM, celui-ci a émergé au début des années 1990 (Veybel & Prieur, 2003), commencé à rencontrer un véritable succès dans les entreprises au milieu de cette même décennie et suscité vers la fin des années 90 une abondance de publications scientifiques relatives aux succès et insuccès du procédé. Nous ne sommes donc pas surpris du questionnement porté aujourd’hui sur le big data par les chercheurs et du manque de mesure du retour sur investissement. Mais nous appréhendons les dégâts qu’un enthousiasme irraisonné pourrait causer à notre société en général et, dans le cas particulier de cette communication, aux petits entrepreneurs.
L’étude dont nous présentons les résultats dans cet article a pour objectif d’explorer, sur le terrain, la manière dont les PME s’approprient le discours sur le big data et l’intègrent dans leurs pratiques. Nous situons notre questionnement dans une réflexion sur les prophéties auto-réalisatrices (1), présentons ensuite la méthode de recherche mise en œuvre (2) et donnons et interprétons les résultats obtenus en matière de réception du discours sur le big data (3) et de pratiques (4) dans un échantillon de petites entreprises.
LES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES FACE AU DILEMME D’UNE PROPHÉTIE AUTO-RÉALISATRICE
Robert K. Merton a conceptualisé à la fin des années 1940 le mécanisme de la prophétie auto-réalisatrice (self-fulfilling prophecy) : une croyance a d’autant plus de chances de voir ses conséquences annoncées se réaliser que les gens y croient. La question de départ de cet article est la suivante : les PME croient-elles que le big data est leur avenir ? Si tel est le cas, elles vont massivement adhérer à la démarche, adopter ses outils, adapter leurs pratiques et, dans quelques années, il aura été démontré que le big data était effectivement l’avenir des PME puisqu’elles se le sont approprié…
S’il est un secteur qui croit fermement à la pertinence du big data pour les PME, c’est celui des prestataires de services. Une recherche effectuée en associant big data et PME fait ressortir une multitude de sites attelés à expliquer que le big data n’est pas réservé aux grandes entreprises. L’argument central qui soutient ces discours, une fois avancées les promesses de gains de performance, est l’existence d’outils d’analyse « tout à fait accessibles ». Ainsi, la CCI de Paris : « Le big data n’est pas seulement réservé aux grandes entreprises qui auraient les moyens financiers de l’exploiter. S’il demande certaines capacités de stockage et de traitement de données, les coûts ne sont pas exorbitants : de nombreux services efficaces et fiables existent […] pour un moindre coût. »[2]
Si les dirigeants de PME se fient à ces sirènes commerciales, ils se tourneront vers les outils du big data et la prophétie se réalisera. L’étude menée par Lazarfeld à l’occasion de la campagne américaine de 1940 avait montré que les électeurs les moins informés et les plus indécis étaient les plus susceptibles d’être influencés par les médias (Miège, 2004, p. 7). Il est donc envisageable, par un mécanisme similaire, que des dirigeants de TPE de province, n’ayant pas de compétences particulières dans le numérique et dans les domaines que l’on peut associer au big data, soient particulièrement réceptifs aux discours commerciaux, largement repris dans les médias professionnels, économiques voire assez grand public et croient aux vertus de l’exploitation massive des données. Car ce n’est pas actuellement les publications scientifiques qui peuvent les en dissuader, ni qui peuvent simplement offrir un autre angle de réflexion. Une nouvelle recherche opérée sur Cairn avec la même association de mots clés ne remonte que 43 articles dont aucun, en réalité, n’associe les deux occurrences. Il nous semble donc qu’en France aucun travail n’est paru à ce jour qui étudie l’introduction des pratiques de big data dans les PME. Aucun résultat de performance, ni même aucune étude de la réception du discours par les dirigeants ou les cadres des PME[3]. Ceux-ci sont fortement absents des études parues.
Cependant, pour situer notre travail, sans doute devons-nous faire référence à l’étude réalisée par Harris Interactive auprès de 1500 Français en 2016[4]. Celle-ci, notamment, indique que :
- 87 % des Français se disent mal informés sur le big data ;
- 59 % ne savent pas ce que signifie l’expression ;
- 6 sur 10 doutent de la capacité des entreprises à faire un usage « raisonnable et responsable » des données collectées et 81 % estiment que la big data sera à l’origine d’un fichage des habitants.
- 78 % pensent que le recours aux données massives va s’accroitre.
EPISTÉMOLOGIE DESCRIPTIVE
Considérant le manque d’informations évoqué ci-dessus, nous avons choisi de mener une étude destinée à comprendre les perceptions et pratiques des PME en matière de big data.
En termes d’épistémologie descriptive, l’étude a pris la forme d’une étude par interviews individuelles semi-qualitatives, réalisées par des étudiants de master 2 formés à la recherche qualitative[5], avec analyse des verbatim rassemblés et discussion des résultats. 23 salariés de petites entreprises ou organisations françaises implantées hors région Ile-de-France, ont été interrogés[6]. Aucune des entreprises n’était prestataire en services de type big data. Le verbatim de ces entretiens représente 86 pages au total. 28 pages en ont été extraites et analysées, en raison de leur rapport direct avec les questions posées.
Tableau .1 Secteurs d’activité des entreprises ayant été incluses dans l’étude
Agences de communication | Assurance | Commerce |
Salle de sport | Etude notariale | Laboratoire pharmaceutique |
Installation de génie climatique | Structure d’assurance maladie | Société d’équipement de bureau |
Commerce de vêtements en ligne | Créateur de plusieurs entreprises | Bureau d’étude spécialisé dans les matériaux |
Agence de développement économique | Agence de formation scolaire Acadomia | Producteur de polymères |
Centre de danse | Agent Immobilier | Centre de danse |
A cet échantillon d’entreprises ont été posées des questions visant à comprendre la manière dont elles appréhendent la notion de big data, le discours sur le sujet, les pratiques qu’elles peuvent avoir engagées, leurs choix, leurs attentes, la manière dont elles envisagent de mesurer le retour sur investissement si elles ont choisi de s’y engager. Les questions posées, avec des formulations adaptées pour tenir compte de la dynamique de chaque entretien, sont présentées en annexe 1.
LA RÉCEPTION DU DISCOURS SUR LE BIG DATA [7]
Data et big data : une compréhension très approximative
Marc Vanhuele (2017, p.29) rappelle que les big data ont trois utilités principales : « révolutionner la gestion de la relation avec le client » (CRM), « améliorer les processus opérationnels » (suivi d’une flotte de camions ou d’objets, usine 4.0) et constituer la base « de nouveaux modèles de création de valeur » (santé, assurance…).
Globalement, les personnes interrogées ont une bonne appréhension du terme data, qu’elles associent à la donnée. En revanche, la compréhension de la notion de big data est beaucoup moins assurée et assez éloignée des utilités indiquées par Vanhuele. La plupart des personnes interrogées voient perçoivent les big data comme une méga base de données. Quatre réponses seulement évoquent l’exploitation des données : extraction, compilation, traitement et analyse. Aucune personne n’évoque l’idée d’un traitement statistique des données – traitement statistique qui se trouve pourtant au centre de la démarche.
Des acteurs mal informés qui n’appréhendent pas les usages
La faible compréhension des big data s’explique principalement par le manque d’information des interviewés. 11 personnes sur 18 – ce qui nous semble considérable, reconnaissent ne pas ou peu s’informer. Le verbatim est, sur ce point, éloquent : « Tu es la première personne qui m’en parle » ou « J’en entend parler mais je ne m’informe pas spécialement. ». Prégnance des urgences quotidiennes ? Manque d’intérêt ? Difficile de répondre. Ceux qui ont entendu parler du sujet évoquent des médias généralistes comme la télévision ou l’occasion d’une recherche sur le web. Sur ce point, les interrogés ne s’avèrent pas mieux informés que les Français moyens.
Tableau 2 Modes d'information sur le big data (Réponses in extenso)
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Il apparaît que les personnes interrogées ont une vision très hétérogène, pour ne pas dire hétéroclite, de l’utilité des big data. Celles-ci sont assimilées principalement à l’une des utilités du big date,la CRM (Consumer relationship Management) : clients actuels, clients potentiels, fidélisation des clients… Certains associent le big data à la publicité, aux bannières publicitaires, au marketing, voire au stockage de données, à la sécurité, à l’espionnage… Un seul interrogé donne une approche plus fine en disant qu’il s’agit de « réaliser des analyses prédictives sur les comportements des publics cibles ».
Un positionnement dans l’entreprise logiquement mal appréhendé.
Sans surprise, l’appréhension très floue de ce que sont les big data conduit les interrogés à hésiter sur l’attribution de la responsabilité de leur mise en œuvre dans l’organisation. Dans la TPE (Très Petite Entreprise), la responsabilité incombe au dirigeant, « évidemment ». Comment pourrait-il en être autrement ?
Par contre, dès que l’interrogé fait partie d’une entreprise de petite taille mais néanmoins déjà structurée, l’affectation de la responsabilité devient variable. Un tiers des interrogés (8 sur 23) suggère de confier au service informatique la responsabilité du sujet, ce qui semble assez logique étant donné le caractère globalement perçu de « base de données ». Quatre suggèrent le service marketing. Trois personnes recommandent la création d’un « service dédié » sous la responsabilité d’un « responsable du big data ». Deux considèrent que le domaine relève de la veille ou de l’intelligence économique, avec le support d’un personnel chargé d’analyses prospectives et stratégiques. Pour le reste, d’aucuns évoque le service ressources humaines, ou le service financier.
Au final, si les big data relèvent de spécialistes actuellement recherchés sous le vocable de « data scientists », aucune des personnes interrogées ne semble le savoir.
Malgré une piètre connaissance, la conviction que le big data est une opportunité
D’une manière qui pourrait être étonnante, mais que l’abondance d’un discours ambiant même très vaguement compris nous semble expliquer, les personnes interviewées, qui ne savent pas finalement ce qu’est le big data, sont largement convaincues qu’il s’agit là d’une opportunité. Sur les vingt avis exprimés, neuf sont catégoriques, ce que résume l’extrait d’entretien suivant assez définitif et lapidaire : « forcément une source d’opportunités ». Huit autres avis voient dans le big data à la fois une source d’opportunités et de risques. 17 personnes sur 20 ont donc une projection très positive ou plutôt positive sur l’apport du big data.
Tableau 3 L'opportunité du big data pour les entreprises interrogées (Extraits)
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LES PRATIQUES DES PETITES ENTREPRISES
Un champ de pratiques fourre-tout ?
La majorité des acteurs interrogés (14 sur 23), après avoir reconnu ne rien comprendre au sujet, confie que leur entreprise n’a pas recours à ce genre de pratique. C’est cohérent.
La surprise vient plutôt des personnes qui disent que leur entreprise recourt au big data. L’on sent une hésitation, un doute dans les propos, comme le montrent ces extraits d’interviews :
« Je ne sais pas à partir de quand on dit big data mais je suppose que oui. »
« On recueille des données, on les garde sur nos clients, ce qu’ils ont acheté, où ils habitent, etc. Maintenant on les exploite assez peu. »
« Alors je ne sais pas si on peut appeler ça faire appel au big data mais nous avons un classeur Excel avec l’ensemble de nos adhérents. »
« A partir de quand ça devient du big data ? C’est une notion qui m’échappe et est assez floue. On traite effectivement de la donnée. »
« Je ne sais pas si on peut dire « Big » Data, mais on collecte de la donnée provenant de nos clients, oui et on s’en sert. Ce n’est pas à grande échelle parce que je ne sais pas si on peut dire que c’est à grande échelle pour les données de 400-500 clients. »
Les pratiques de collecte d’information sont très éparses. Elles vont de la collecte sur les plateformes de réseaux à la réalisation d’un fichier Excel… Le tout conforte l’impression de manque de maîtrise qui se dégage des étapes précédentes. En témoignent ces quelques citations
« Elles peuvent venir de n’importe où. Du client, du vendeur, d’une institution, d’une mairie… »
« Pour trouver ces données nous utilisons notre réseau, LinkedIn, Google, Facebook ou encore twitter comme je te l’ai dit précédemment. Nous essayons de récolter un maximum d’informations comme les numéros de téléphone, adresse mail, nom, prénom, fonction ... »
« Grâce à un classeur Excel lors de l’inscription des nouveaux adhérents à la salle de sport »
« Alors on en collecte par de la veille client, pour savoir quand ils commandent, leur comportement d’achat etc. On reçoit toutes ces informations lorsqu’ils viennent et commandent sur notre site et on essaie d’analyser ça. »
« Sur l’aspect recherche on utilise essentiellement les moteurs de recherche. Après nous avons besoin par exemple de données météorologiques on fait appel aux fournisseurs donc météo France, si c’est des données statistiques on va faire appel à l’INSEE »
« Toutes nos données on les demande, soit par téléphone, soit sur des fiches, à nos clients. Et au fur à mesure, un client qui nous appelle avec un autre numéro de téléphone par exemple, nous allons le rentrer de nouveau et l’ajouter. Après on collecte aussi toutes les relations qu’on a avec nos clients, pour que tout soit bien marqué, pour qu’un collègue qui reprend le dossier, qui reçoit un coup de fil, n’ait pas à tout redemander. »
Une évaluation du retour sur investissement délicate
Si le big data était qualifié de source de « competitive gold » par McAfee et Brynjolfsson, ainsi que nous l’avons mentionné plus haut dans cet article, les interviewés de notre étude sont loin d’en être convaincus. Leur approche de l’apport en retour sur investissement navigue entre un scepticisme assumé, une logique de mesure de résultat assez simple et la conviction que le retour est difficilement mesurable mais « doit » se ressentir en termes de bénéfice stratégique pour la direction de l’entreprise. La sélection extraite du verbatim présentée ci-dessous illustre ces positions.
« Je ne vois pas comment évaluer un retour sur investissement dans notre cas. »
« La numérisation permet un développement exponentiel de notre activité. Et le retour sur investissement est facile à évaluer. On compare le coup de l’achat de la donnée à la production réalisée, et voilà on sait. »
« C’est toujours difficile à évaluer. […] Après il y a aussi un coût. Des outils peuvent être performants mais ils coutent cher. »
« On n'a pas d’outils spécifiques pour ça, on va chercher la donnée et on la traite nous-mêmes, donc nous n’avons pas de réel investissement. […] C’est essentiellement au niveau de la direction de l’entreprise […] Pour la stratégie. »
Les entreprises beaucoup plus bénéficiaires que les consommateurs
A la question : « Selon vous, à qui profite le big data aujourd’hui ? », les interviewés répondent : les grandes entreprises (9 réponses) ou les entreprise (7 réponses). Très peu ont une réponse plus inclusive (« tout le monde », 3 réponses). Surtout, nombreux sont ceux qui estiment que les entreprises seront beaucoup plus bénéficiaires que les consommateurs et que big data pose des problèmes de sécurité des données : 13 personnes y décèlent un risque de sécurité ; 4 perçoivent un problème de sécurité mais estiment que « naturellement » les dispositifs sont sécurisés ; 6 seulement ne voient aucun problème de sécurité. Les professionnels répondent là comme les citoyens interrogés par Harris Interactive.
Tableau 4 A qui profite le big data ? (Extraits)
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Tableau 5 Avis exprimant des doutes relatifs à la sécurité des données (Extraits)
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Ceci explique sans doute le fait que très majoritairement les répondants sont « à titre personnel » défavorables au big data (12 réponses) ou s’y disent favorables mais avec de solides réserves.
Des limites multiples dans le recours au big data
Interrogés sur les limites qu’ils perçoivent au recours au big data, les répondants hésitent quant à l’angle d’observation à adopter. Doivent-ils se situer en tant qu’entrepreneurs et envisager les limites techniques ou se placer en tant que citoyens et considérer les enjeux à ce niveau-là ? Les deux registres de discours sont très présents, comme dans les extraits ci-dessous.
Tableau 6 Discours technique et discours citoyen sur les limites du big data (Extraits)
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CONCLUSION
Manifestement, l’échantillon interrogé de manière relativement approfondie au moyen d’une trame qualitative, ne fait pas preuve d’un grand enthousiasme à l’égard des big data. Il affiche une confiance très moyenne dans l’efficacité, l’accessibilité, la sécurité voire même la nécessité des big data pour les petites et moyennes entreprises. Rappelons toutefois que les entreprises de notre échantillon sont très largement de petites entreprises.
Pour autant, quinze répondants sur les 23 se disent convaincus que le big data est promis à un bel avenir et va « exploser » dès les temps prochains. On note simplement un peu de questionnement sur l’après big data, pouvant signifier en creux le sentiment qu’il s’agit d’une mode qui passera. L’une des personnes s’interroge même sur son possible effondrement.
A final, il ressort de notre étude que les big data se présentent comme un credence service paradoxal : des salariés, exerçant généralement des postes à responsabilité dans des petites entreprises, tout en doutant fortement de leur pertinence pour ce qui les concerne et en reconnaissant leur médiocre connaissance du sujet, affirment leur conviction que celles-ci vont connaître un très grand succès. Nous y percevons, une nouvelle fois, un phénomène de prophétie auto-réalisatrice généré par la répétition moutonnière, en particulier médiatique mais aussi des instances professionnelles, d’un discours de gestion « prêt à penser »[8] (Zerbib, 2013, 2017), sans prise de distance critique, bien construit par un secteur d’activité naissant, à la recherche du développement de son business.
Bibliographie
Akhavan P., Mostafa J., Fathian M. (2005), Exploring Failure Factors onf Implementing Knowledge Management Systems in Organizations, Journal of Knwoledge ManagementPractice, vol. 6 Disponible en ligne : https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2188273
Cointot J-C & Eychenne Y. (2014) La révolution big data, Editions Dunod, 240 p.
Frost A. (2014), A Synthesis of Knowledge Management Failure Factors, www.knowldege-management-tools.net , 21 p.
Fossion G. & Faulx D. (2016) Comment la participation à une recherche contribue au développement professionnel : le cas des exemples à l’université, Recherches Qualitatives, Hors série n° 2, p. 221-236
McAfee A. & Brynjolfsson E. (2012) big data: The Management Revolution, Harvard Business Review, october, p. 61-68
Mc Dermott, R. (1999) Why Information Technology Inspired But Cannot Deliver Knowledge Management, California Management Review, vol 41, n° 4, p. 103-117
Miège B. (2013) La pensée communicationnelle, Presses Universitaires de Grenoble, 126 p.
Rouvroy A. (2014) Des donneés sans personne : le fétichisme de la donnée à caractère personnel à l’épreuve de l’idéologie des big data, Disponible en ligne : http://works.bepress.com/antoine e_rouvroy/55/
Vanhuele M., in Bouzeghoub M. & Mosser R. (dir) (2017) Les big data à découvert, CNRS Editions, 364p
Veybel L. & Prieur P. (2003), Le knowledge management dans tous ses états, Editions Eyrolles, Paris, 129 p.
Wilson T.D. (2002) The Nonsense of « Knowledge Management », Information Research, n°8 n°1, octobre 2002. Disponible en ligne : http://www.iwp.jku.at/born/mpwfst/06/nonsenseofwm/p144.html
Zerbib, R. (2013) Les modes en gestion : une arme de diffusion massive. Revue Internationale d’intelligence économique, 5(2), p. 197-216.
Zerbib R. (2017), La fabrique du prêt à penser. Mécanismes de diffusion et adoption des outils de gestion, Editions L’Harmattan, 160 p.
ANNEXE 1. Trame du questionnaire d’entretien utilisé pour l’étude
- Je vous propose de commencer par quelques questions générales. Nous en viendrons après à votre entreprise.
¡ Quand je vous dis "data", ça évoque quoi pour vous ?
¡ Et le big data, ça signifie quoi, selon vous ?
¡ Quelles sont, en général, vos sources d'information sur ce sujet ? Si non connaissance du big data : est-ce que cela veut dire que vous n'en entendez jamais parler ?
¡ Et, toujours une manière générale, à quoi est réputé servir le big data ?
¡ Selon vous, qui prend/ qui devrait prendre en charge les questions de big data dans une entreprise ?
¡ Dernière question générale, selon vous le big data est-il source de risques ou au contraire d'opportunités pour votre activité ?
Venons-en maintenant à votre entreprise...
- Votre entreprise fait elle appel aujourd'hui au big data ?
Si OUI :
¡ Comment collectez-vous les données ?
¡ Quelle exploitation en faites-vous ? Quel tri faites-vous dans les données ?
¡ Quelles sont les données que vous conservez ?
¡ Comment stockez-vous ces données ?
¡ Avez-vous mis en place un dispositif de sécurisation des données ?
¡ Actuellement, qu'est-ce que cela apporte à votre entreprise ? Arrivez-vous à évaluer le retour sur investissement dans ce domaine ?
¡ Comment intégrez-vous les données stratégiques dans votre processus décisionnel ? Qui collabore dans l'exploitation des données ?
Si NON :
¡ Pourquoi ne faites-vous pas appel au big data ? (collecte étendue; collecte massive)
¡ Vous n'en éprouvez pas le besoin ?
¡ Par manque de savoir-faire ?
¡ Manque de financement ?
¡ Manque de temps ?
¡ Avez-vous déjà utilisé les big data ? Pourquoi avez-vous arrêté ? (si déjà utilisé : quel impact ?)
¡ Malgré tout, estimez-vous qu'il vous serait utile de recourir au big data ? Pourquoi ? Qu'est-ce que l'utilisation du big data pourrait apporter à votre activité ?
¡ Quelles sont les données que vous pourriez conserver et exploiter ?
¡ Avez-vous envisagé ou pourriez-vous envisager de faire appel à une société spécialisée dans ce domaine ?
- J'aimerais vous poser maintenant quelques questions sur l'utilité et les limites de l'usage massif des données.
¡ A votre avis, à qui profite le big data aujourd'hui ? (entreprises / citoyens ou consommateurs / Etat)
¡ Pour vous, le recours au big data pose-t-il un problème de sécurité des données ?
¡ Dans le cadre de votre entreprise, vous est-il arrivé de renoncer à utiliser des données précisément pour un problème de sécurité ?
¡ A titre personnel, êtes-vous favorable à la collecte et l'utilisation de données privées ?
¡ Faut-il réguler la monétisation des Data ?
¡ Quelles sont les limites au big data ?
Pour terminer, selon vous, quel est le devenir du big data ?
[1] Recherches réalisées le 20 janvier 2017
[2] http://www.cci-paris-idf.fr/informations-territoriales/ile-de-france/actualites/big-data-une-opportunite-pour-les-tpe-et-pme-ile-de-france
[3] Quant à penser que des travaux scientifiques publiés aux Etats-Unis ou, plus généralement en langue anglaise, pourraient avoir une quelconque influence sur la réflexion des dirigeants de PME françaises, il s’agit, nous semble-t-il, d’une chimère.
[4] http://harris-interactive.fr/opinion_polls/big-data-quen-pensent-les-francais/
[5] Le groupe se constituait de 14 étudiants ayant choisi de suivre un enseignement d’introduction à la recherche en sciences de l’information et la communication.
[6] Pour mémoire, selon l’INSEE, 96,8 % des entreprises françaises sont des TPE (Très Petites Entreprises – chiffres 2012).
[7] D’une manière générale, nous faisons le choix de citer simplement entre guillemets les extraits de verbatim lorsqu’ils ne dépassent pas cinq occurrences et que ces occurrences nous semblent représenter de manière suffisamment solide la globalité des avis exprimés. Quand nous semble souhaitable pour le lecteur d’avoir accès à un plus grand nombre de réponses données par les personnes interrogées, ces réponses sont regroupées dans un tableau, qu’elles soient présentées in extenso, ou de manière partielle. La totalité du verbatim est mise à disposition des chercheurs, dans sa forme brute, sur notre blog : http://blogs.univ-poitiers.fr/c-marcon/
[8] Zerbib R., 2017, La fabrique du prêt à penser. Mécanismes de diffusion et adoption des outils de gestion, Editions L’Harmattan, 160 p.