N°4 / Méthodes et stratégies de gestion de l'information par les organisations : des big data aux thick data

Approche théorique du développement d'organisations territoriales intelligentes appréhendant la complexité selon une approche intégrative de données

Thomas Bonnecarrere

Résumé

L'approche Big Data induit d'importants risques pour les territoires et, par extension, pour nos sociétés. La « norme statistique » et la croyance aveugle dans les algorithmes peut, comme nous tentons de l'analyser dans cet article, condamner les organisations territoriales via une approche réductionniste inadaptée à la complexité croissante. Notre recherche porte sur le développement d'un nouveau genre de système territorial, que nous nommons Magitopie. Celui-ci repose par design sur une approche intégrative de données Big – Thick Data, qui place au cœur des organisations territoriales la capacitation et l'inspiration des citoyens. L'objectif est de favoriser le développement ouvert d'une « réalité sociale créative ». Cette réalité se nourrit des histoires et de l'imagination des citoyens. La finalité est la construction d'organisations territoriales capables d'appréhender efficacement la complexité, en opérant un changement de paradigme de « prédiction algorithmique du futur » à « imaginierie de futurs eutopiques ».

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Abstract : Big data approach involves important risks for the territories and the societies themselves. "Statistical norm" and unconditional beliefs in algorithms, are not adapted to complexity and may eventually condemn territorial organizations. This is why we try to develop and implement a new territorial system named Magitopia. It is based by design on a Big – Thick Data integrative approach. It places at the heart of the territories the people's empowerment and inspiration to generate open development of a creative social reality. The final goal is to develop territorial systems in order to achieve a better grasp of complexity through a paradigm change from “algorithmic prediction of the future” to "eutopian futures imagineering".

Keywords : Strategic intelligence, social theory, complexity, creativity, imagineering, popular education

 

INTRODUCTION

Le Big Data, au cœur du concept de « smart city », occupe une place centrale dans les modèles de gestion des systèmes économiques et sociaux ancrés dans des cadres de pensée définis par un mode cognitif « logico-scientifique » (Bruner, 1986). Cette approche « techno-centrée » induit de nombreux problèmes complexes pouvant induire, si non appréhendés efficacement, une destruction des savoirs au sein de ces systèmes[1]. Ainsi, l'approche quantitative seule n'intègre pas la nature singulière et « exceptionnelle » des individus, transformés dans le cadre de ces systèmes en « objets sociaux » prolétarisés[2] et anesthésiés (Lepage, 2012 ; Stiegler, 2012 ; Deneault, 2015). Elle n'intègre pas non plus la nécessaire poursuite d'un « rêve collectif » concernant le futur des territoires, stimulée à la fois par une solidarité organique en leur sein et par un conflit cognitif permanent nourrissant l'évolution démocratique dynamique de ces systèmes. 

Le modèle d'intelligence stratégique ImagineerInt que nous avons développé, vise à opérer un changement de paradigme concernant les territoires « intelligents ». Notre souhait est ainsi de tendre vers des systèmes holomorphes ouverts, complexes et évolutifs. Nous avons conçu ce modèle  dans le but de développer une intelligence collective universelle reposant sur le conflit cognitif afin de stimuler la créativité et l'innovation dans le monde. Il reflète notre volonté de développer un modèle d'organisation « interterritoriale » reposant sur la créativité distribuée et l'innovation sociale ouverte. Notre objectif est de proposer puis d’expérimenter une évolution sociétale durable[3] ancrée dans la connexion, la coopération synergique et l'auto-organisation émergente. 

Nous divisons notre analyse théorique en trois parties :

  • Analyse de la nécessaire approche intégrative Big Data – Thick Data dans la gestion des organisations territoriales évoluant dans la complexité croissante. Examen, par le prisme des approches de données, des différentes manières (et leurs conséquences) d'appréhender le futur de ces organisations. Mise en évidence de l'utilité de l'approche intégrative pour optimiser ce processus.
  • Introduction du système Magitopie, comme nouveau paradigme visant à développer des organisations territoriales « structurellement intelligentes ».
  • Introduction de la méthodologie procédurale de recherche – action que nous avons spécifiquement conçue dans le but de développer des systèmes Magiceaniques[4] qui mobilisent l'approche intégrative afin de nourrir le processus d'imaginierie[5] territoriale stratégique.

PROBLÈME DE RECHERCHE

Nous avons choisi pour cette communication la problématique suivante : Comment l'approche intégrative de données peut-elle favoriser une gestion efficace d'organisations territoriales culturellement savoureuses, créatives et évolutives évoluant dans la complexité croissante ?

L'APPROCHE INTÉGRATIVE BIG DATA – THICK DATA COMME NÉCESSITÉ POUR L'ANALYSE DES SYSTÈMES SOCIAUX À L'ÈRE DE LA CONNEXION GÉNÉRALISÉE

L'approche qualitative Thick Data comme « contrepoids » à l'approche Big Data

La designer organisationnel Tricia Wang (2013) analyse l'importance de la méthode qualitative dans l'analyse des organisations complexes. Selon elle, les Big Data utilisées sans « contrepoids » risquent d'amener les organisations et les individus à prendre des décisions et à optimiser les performance pour les métriques, qui sont dérivées d'algorithmes. Ainsi, les individus, leurs histoires et leurs expériences réelles sont occultées dans ce processus. Le danger réside donc, selon Clive Thompson (2013), dans le fait qu'« en retirant la prise de décision humaine de l'équation, nous dépouillons lentement la délibération — les moments où nous réfléchissons sur la moralité de nos actions ».

Le Thick Data constitue, pour Wang, la meilleure méthode pour cartographier des territoires inconnus. Quand les organisations veulent savoir ce qu'elles ne savent pas déjà, elles ont besoin de « données épaisses » car celles-ci procurent quelque chose que le Big Data ne fournit pas explicitement : l'inspiration. L'acte de recueillir et d'analyser des histoires produit, selon cette ethnographe, des visions[6]:

Les histoires peuvent ainsi inspirer des organisations pour trouver différentes manières de parvenir à la destination — la vision. (…) Si vous alliez conduire, les Thick Data vous inspireraient pour vous téléporter. Les Thick Data révèlent souvent l'inattendu. Cela peut frustrer. Cela peut être surprenant, mais quoi qu’il arrive, cela sera inspirant. L'innovation doit être accompagnée de l'imagination. Dans un contexte de recherche, les histoires sont volontairement recueillies et systématiquement échantillonnées, partagées, interrogées et analysées, ce qui produit des visions (analyse dans le milieu universitaire). Les grandes visions inspirent le design, la stratégie et l'innovation.

Le philosophe et critique d'art Laurent Danchin (2016) défend le fait que la norme actuelle est devenue la statistique, faisant fi des exceptions qui, pour autant, demeurent. L'exception, dans lequel réside le génie, est pourtant selon lui absolument fondamentale dans le domaine de l'art car il offre un « espace de dilatation » qui maintient le système normatif vivant et non figé. Ne mettre en avant que la statistique enlève ainsi toute espèce de perspective d'alternative. Cela est dangereux, car ferme la porte à l'espoir, au lieu de maintenir celle-ci ouverte sur une « lumière ». En d'autres termes selon nous, elle empêche une vue vers un nouvel horizon d'innovation nécessaire à la survie d'un système social dans une complexité croissante, qui induit un besoin d'évolution constante et d'augmentation de la diversité culturelle en son sein (selon Stiegler, 2012 et Giraud, 2017). La statistique constitue ainsi, pour Danchin, une « catastrophe » car elle établit une sorte d'obligation moyenne de comportement et impose une norme qui ne correspond pas à la réalité complexe. Le physicien Etienne Klein (2015) souligne quant à lui que les Big Data formulent des régularités qui sont érigées en lois sur lesquelles des prédictions sont faites, alors qu'elles sont ancrées dans le présent. Elles ne sont, de fait, prédictibles que si elles ne changent pas. Les Big Data peuvent ainsi permettre de voir des corrélations, mais non des causalités.

Le Big Data (centré sur le « machine learning ») doit ainsi être contrebalancé par l'approche Thick Data, centrée sur le « human learning », afin de passer d'une « dissociété » automatique (Généreux, 2006 ; Stiegler, 2012) à  une société pleinement démocratique reposant sur le conflit cognitif, nécessaire pour une réelle innovation (et émancipation) sociale. Il nous semble, en d'autres termes, fondamental que nos sociétés opèrent un changement de rationnalité, de :

  • « Certitude rationnalisante déraisonnante » : Induisant une réalité sociale statique « enclosée » dans un système machiniste privateur, programmant et, par extension, prolétarisant ; à
  • « Incertitude rationnelle » individuante et subjectivante reposant sur une pensée complexe structurée par une vision du monde élargie[7] considérant la réalité sociale comme ouverte et dynamique.

L'imagination et l'intuition créative (stimulée par l'inspiration transformationnelle - au cœur de l'imaginierie stratégique – et amenant à un « décentrement » par rapport au présent) doivent ainsi constituer des éléments fondamentaux dans l'appréhension de la réalité complexe.

La smart city comme « ville intelligente » générique, programmée et programmante pouvant constituer une dystopie aliénante pour les citoyens

L'expression « smart city » désigne une ville utilisant les  technologies de l'information et de la communication pour « améliorer la qualité des services urbains ou encore réduire ses coûts »[8]..Ce concept désigne un type de développement urbain apte à répondre à l'évolution ou à l'émergence des besoins des institutions, des entreprises et des citoyens, tant sur le plan économique, social, qu'environnemental. Fabien Deglise (2014) analyse le risque de développement de villes dystopiques totalitaires par le biais du concept de « smart city » et ses risques potentiels sur les libertés citoyennes. Selon ce journaliste,

La question va finir par se poser : une ville dite intelligente risque-t-elle, à l’usage, de conduire ses habitants sur le chemin de la stupidité ?

Le portrait de cette ville fantasmée par le présent n’est (...) pas très clair. Mais il est aussi soutenu actuellement par des politiciens en mal de solutions simples à des problèmes complexes, (...), ainsi que par de puissants acteurs du monde de l’informatique comme les Google, Cisco, IBM, Dell et d’autres, dont les intentions commerciales derrière l’avènement des villes connectées pourraient (...) ne pas  être profitables aux citadins dont on cherche pourtant à améliorer le cadre de vie.

La spécialiste des villes intelligentes Marie-Andrée Doran affirme à ce propos qu'« une ville intelligente va devoir servir le citoyen, pas l’inverse ». Selon Deglise, la prémisse est « inspirante, tout en lustrant le mythe avec une bonne dose d’humanisme » tandis  que pour Stéphane Roche, elle « replace le citoyen au cœur du débat ». Ce professeur de géomatique évoque ainsi le besoin fondamental pour les citoyens d’être actifs, informés et engagés dans une telle structure, car « depuis toujours, les organisations humaines, publiques ou privées, utilisent les innovations pour affirmer leur pouvoir ». De ce fait, « dans la ville intelligente, cette logique va encore être là et du coup, sa passivité, le citoyen pourrait la payer cher ». Deglise conclut cette analyse critique en soulignant que le numérique étant binaire, l’utopie qu’elle construit ne peut qu’être accompagnée de son contraire : une dystopie dans laquelle la ville intelligente pourrait aussi tomber.

Des « objets sociaux captés » aux « citoyens capteurs » afin de placer le « Nous qualifiant - quantifiant » au cœur des organisations territoriales intelligentes

Laurence Allard et Olivier Blondeau (2014) analysent le concept de « citoyen capteur », en soulignant l'importance de la maîtrise des données par ces acteurs politiques :

Le citoyen a de plus en plus conscience d’être confronté à un monde de données et d’algorithmes dans son activité ordinaire. (...) La captation passive des données par différents dispositifs dont seraient porteurs des « objets », pourrait dessaisir le citoyen de ses capacités de réflexion et d’action sociales, politiques ou environnementales.

Loin de rejeter ces technologies, ces acteurs sociaux souhaitent redonner toute sa centralité à l’intelligence collective des citoyens, via des usages civiques à l'égard des données produites par les nouveaux objets communicants. Le citoyen capteur participe ainsi à la construction d’une intelligence collective instrumentée par ces objets sensibles et communicants. Allard et Bondeau défendent le paradigme du « Nous quantifiant », à rebours du « Soi quantifié ». Le citoyen peut ainsi être un praticien éclairé de ce monde des Big Data, en ne subissant pas la mesure mais en étant le producteur et l’interprète.

Cette analyse quantitative doit être, selon nous, affinée grâce à une contextualisation et narrativisation de ces données, e.g., via une méthode d'analyse qualitative basée sur la « donnée épaisse ». Les citoyens sont ainsi, dans le cadre de notre analyse basée sur la « vision du monde élargie », des sujets politiques « rêacteurs évolutifs[9] » mobilisant dans leur analyse des problématiques complexes de leur territoire :

  • L'approche scientifique : Approche analytique froide, distanciée et rationnelle (Danchin, 2016) reposant sur un mode de pensée logico-scientifique ancré dans la vision du monde traditionnelle qui décompose l'objet d'étude en parties afin de l'analyser ; et
  • L'approche artistique : Approche intuitive globale de l'objet observé (Danchin, 2016) ancrée dans un mode de pensée narratif et esthétique (définissant la vision du monde émergente)[10]. Cette dernière joue le rôle de « contre-poison » pour éviter une dérive sociétale « techno-centrée » reposant sur une croyance aveugle dans les algorithmes pouvant condamner, à terme, les organisations territoriales dans leur esthétique savoureuse[11] singulière.
Le danger de la prédiction du futur des organisations territoriales par les algorithmes

La prospectiviste Virginie Raisson dépeint, dans son ouvrage 2038, les futurs du monde,  une humanité confrontée à des défis incontournables. Elle distingue la futurologie (qui prédit) de la prospective, qui anticipe. Elle souligne par ailleurs qu'elle ne supporte pas l’idée que le monde de demain serait une impasse. Nous recoupons cette analyse avec celle de Danchin (2016) concernant la futurologie[12]. Selon ce penseur, les futurologues sont des individus ancrés dans une pensée scientiste. Ils pensent prédire avec certitude l'avenir en considérant un problème complexe via l'isolation de quelques facteurs (en oubliant certains essentiels comme le facteur humain) et en formulant une extrapolation selon des critères géométriques « poussés jusqu'à l'absurde ».  Il est ainsi nécessaire, pour lui, que l'analyse se base sur une intuition fine et globale d'une situation complexe. La vision positiviste du monde techno-centrée induit, d'après ce philosophe, la construction d'une « matrice sociale » déshumanisée (froide et distanciée) n'intégrant pas en son cœur l'exception.

La croyance aveugle dans la prédiction algorithmique des futuribles[13] génère, de ce fait, une aliénation collective, qui se traduit par une déprivation intériorisée causée par un sentiment d'impuissance et de fatalisme concernant la « réalité ordinaire ». Celle-ci est ainsi intériorisée comme certaine et « normée », ce qui favorise l'adoption d'une posture « médiocre[14] » non entreprenante. Cette pensée, ancrée dans la « vision du monde traditionnelle » issue de l'ère industrielle, n'est selon nous pas adaptée à l'appréhension (et à la création) de la complexité de notre époque « post-normale » (Sardar, 2010), pourtant nécessaire pour développer la résilience sociale.

On ne peut pas, selon Danchin, prédire le futur mais seulement anticiper des tendances lourdes et créer un cadre favorable dans le présent pour induire la production de connaissances portant en elles l'imagination de nouveaux possibles. Le futur ne doit ainsi pas être spéculé mais construit, en « suivant l'impulsion de sa main, de son imagination et de son intellect ». Il nous semble donc nécessaire, pour appréhender efficacement la complexité, d'expérimenter (via une démarche de recherche – action ancrée dans l'éducation populaire) une nouvelle matrice sociale  intégrant d'emblée la complexité et son analyse « fine », afin de « créer collectivement un système de pensée qui aide à guider une nouvelle société » (Danchin, 2016). Cette matrice est, dans le cadre de notre travail, le modèle ImagineerInt qui vise à concevoir stratégiquement des systèmes territoriaux Magitopiques (dimension locale / « sous-cercle » organisationnel) et interterritoriaux Magiceaniques (dimension globale « supercercle »).

LA MAGITOPIE COMME NOUVELLE VISION SYSTÉMIQUE « INTELLIGENTE » DES ORGANISATIONS TERRITORIALES REPOSANT SUR L'APPROCHE INTÉGRATIVE DE DONNÉES MOBILISÉE PAR DES CITOYENS SENSIBLES « GÉNIAUX »

Nous définissons, dans le cadre de notre modèle ImagineerInt, le concept de Magitopie[15]. Celui-ci connote une hétéreutopie paichistorique. En d'autres termes, un lieu « autre, singulier, savoureux et bon » faisant dialoguer en son sein activités sociales, ludiques et narratives au service d'un processus d'éducation populaire. Ce processus d'émancipation citoyenne mobilise ainsi les théories et stratégies du récit et du jeu dans le processus de travail de la réalité et de l'imaginaire social. La Magitopie renvoie donc à un système territorial créatif et évolutif, singulier et holomorphe propulsé par le modèle ImagineerInt conçu selon le modèle MAGILAB[16]. Ce modèle, que nous avons conçu comme forme « évoluée » d'un fab lab, vise à proposer un nouveau paradigme et système de développement pour les organisations territoriales, conçu par design pour permettre le développement de toutes sortes d'organisations territoriales « structurellement intelligentes », quelque soit leur nature (e.g., physique ou digitale) et échelle (e.g., ville, village, tiers-lieu, territoire numérique,..).

Le développement territorial de ces systèmes locaux repose sur le paradigme « poétique holendogène[17] » intrinsèquement basé sur une progression écosociale durable ancrée dans l'émancipation citoyenne et la gestion harmonieuse des Communs (selon Ostrom, 1990). La « raison d'être » d'une Magitopie est l'invention locale de voies d'évolution positives pour l'humanité dans une perspective de progression sociale issue de l'émancipation citoyenne. Ce système repose, pour y parvenir, sur l'augmentation constante de la MAGI. Dit autrement, sur l'augmentation de la néguentropie (comme production et affinement des savoirs) afin de lutter contre le phénomène d'entropie sociale[18] détruisant les cultures et les singularités « géniales » individuelles et collectives.

L'art et l'émerveillement y constituent un « contre-poison » (Danchin, 2016 ; Baud, 2016)  favorisant la transformation désirable des organisations territoriales par le biais de « protentions collectives positives » (Stiegler, 2012). Ces protentions (visions créatives collectivement partagées et désirées) sont  connexes d'un progrès durable reposant sur l'émancipation sociale. Les citoyens sont, au sein des organisations Magitopiques, inspirés pour devenir des sources d'information et de savoir. Ils vont ainsi nourrir une dynamique analytique et créative produisant de la diversité culturelle, de la complexité et, par extension, de la résilience sociale. La finalité est, par le biais de la production et l'interprétation de données par une communauté « qualifiante - quantifiante », de nourrir une innovation sociale permanente.

L'extrapolation du présent est opérée au travers d'une pensée intégrale complexe et évolutionnaire (Gauthier, 2013), inséparable d'une appréhension intersubjective de l'incertitude complexe. L'approche intégrative de données nourrit l'analyse « fine » des organisations Magitopiques ; en d'autres termes, des systèmes territoriaux « géniaux[19] » ancrés dans la « norme d'exception ». Ceux-ci favorisent par design l'expression désinhibée de génies créatifs dans l'invention des futurs territoriaux via l'enrichissement d'une réalité dynamique et socialement construite sur une base ouverte et capacitative.

LA MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE – ACTION IMAGINEERINT COMME DÉMARCHE « IMAGINACTIVE » NOURRISSANT LE PROCESSUS DE DÉCOUVERTE SCIENTIFIQUE AU SERVICE DE L'INNOVATION TERRITORIALE

Nous avons développé, dans le cadre de notre modèle ImagineerInt, une méthodologie de recherche – action spécifique. Cette méthodologie procédurale se base sur la démarche « imaginactive » en s’appuyant sur les travaux d'Einstein (1952), repris et complétés par Wentzel (2006). Elle intègre, en outre :

  • Les analyses de Bruner (1986) concernant les deux modes de pensée (logico- scientifique et narratif/esthétique) ;
  • Le processus d'éducation populaire défini par Maurel (2010, p. 218) comme « ensemble de processus par lequel les individus augmentent leur puissance propre et collective d'agir ainsi que leur capacité d'émancipation » ; et
  • Le paradigme scientifique de « science citoyenne » tel que défini par Halperin (2016)[20].

Notre approche évolutionnaire enrichissant la méthodologie d'Einstein et de Wentzel se base sur les analyses de Nijs (2014), qui souligne que « considérer les organisations comme des systèmes évoluant complexes (des systèmes adaptatifs complexes qui peuvent évoluer), appelle à une méthodologie appropriée : des approches, des méthodes et des outils appropriés pour les étudier et, deuxièmement, pour les aider à évoluer ». L'invention des futurs territoriaux de nature « hétéreutopiques » s'ancre, selon notre modèle ImagineerInt, dans le paradigme « rêver et expérimenter ensemble » qui repose sur :

  • Le raisonnement « imaginactif » mobilisant les capacités imaginatives (afin de favoriser les « sauts de conjecture ») et imaginieriales (faisant dialoguer imagination créative et savoir-faire pour expérimenter de nouvelles idées) ; et
  • La sérendipité : Comme « quête active » et « capacité » (selon Paveau, 2011) dans la recherche d’information, de connaissance, de savoir et d'ignorance dans le cadre d'une démarche imagineriale nécessitant une démarche « rêactive ».

L'imaginaction et la sérendipité favorisent ainsi, dans le cadre de ce processus, les découvertes inattendues en accordant une place fondamentale au « hasard » et aux hypothèses créatives. Notre méthodologie mobilise une culture de l'étonnement / questionnement permanent, via des sauts de conjecture induisant une émancipation temporaire du présent et de ses contraintes pour favoriser le décentrement et l'exploration de nouvelles perspectives analytiques et imaginatives. Le processus « imaginactif » puise son inspiration dans les ressources culturelles constituant la mémoire globale présente du MAGICEAN.

L'expérience passée des organisations territoriales, étoffée par les expériences singulières individuelles et collectives exprimées et reliées en leur sein, irrigue ainsi les processus créatif et innovationnel. L'expérience acquise doit ici servir de support pour appréhender les futures expérimentations créatives, sans pour autant brider ce processus induisant une potentielle infinité de manières et de perspectives pour aborder le(s) problème(s) rencontré(s). Le processus de découverte de nouvelles connaissances et savoirs repose, dans le cadre de l'imaginierisation stratégique d'un territoire, sur l'expérimentation pleinement capacitée de citoyens rêacteurs.

Nous avons développé, afin de favoriser ce processus de travail de la réalité et de l'imaginaire social par le biais de la recherche – action, un modèle (nommé SOLARIS) de savoirs créatifs, complexes et synergisants. Ces savoirs formalisés évolutifs par design (nommés SOLIS) visent à constituer, dans le cadre du processus collectif d'analyse, un « jeu de données » reflétant et traduisant la réalité sociale créative complexe des Magitopies. L'élaboration de ces données « sensibles » et intelligibles (car systématiquement contextualisées dans une chronologie et généalogie) vise à alimenter l'imaginierie des futurs territoriaux au sein des Magitopies, par le biais d'un encodage ludo-narratif stratégique. Cet encodage mobilise l'expérience singulière « de vie » des individus afin de favoriser l'inspiration collective, via une « reliance expérientielle » gravitant autour d'un projet de société collectivement désiré. Le SOLARIS repose ainsi sur un principe fondamental de l'éducation populaire défini par Lepage (2016) comme « parler de soi dans l'approche d'une hypothèse » afin d'analyser et travailler collectivement la réalité sociale. Ce modèle enjoint par nature les individus à s'approprier symboliquement les données élaborées au sein des Magitopies afin de créer une potentielle infinité de connexions pouvant faire émerger de nouvelles idées ou visions (au sens de Wang, 2013). « Jouer avec les données » amène ainsi les acteurs Magitopiques à « jouer avec les futurs » (Minvielle et al., 2016).

DISCUSSIONS

Notre travail d'investigation sur le terrain se basant sur la méthode qualitative, nous souhaitons par le biais de cet article solliciter l'aide de la communauté scientifique pour expérimenter notre méthodologie de recherche – action, et hybrider les approches qualitatives et quantitatives, afin de produire un enrichissement de notre modèle théorique ImagineerInt. Notre projet expérimental étant conçu par design pour être ouvert et inclusif, nous serions ravis de multiplier les différentes approches méthodologiques afin de nourrir une réelle intelligence collective universelle à son égard. Nos collaborations avec des professionnels issus de secteurs variés (recherche, ingénierie mécanique, art, enseignement,…) ayant été pour l'instant très fructueuses, nous souhaitons ainsi élargir cette dynamique rêactive protentionnelle.

CONCLUSION

Nous avons essayé de démontrer, au travers de cet article, que l'approche intégrative de données peut constituer une voie d'évolution pertinente pour gérer et développer les organisations territoriales, sur une base créative et « imaginactive » ouverte et distribuée. Cette approche nous semble ainsi nécessaire pour  appréhender au mieux la complexité croissante, sur la base d'une intelligence collective citoyenne engagée dans l'ensemble des processus liés aux données territoriales : production conscientisée, élaboration stratégique, interprétation collective, auto-hébergement et diffusion libre. L'utilisation des Big Data dans un but de contrôle social est déjà en cours dans certains pays[21]. Il nous semble, de ce fait, fondamental de nourrir un réel débat public centré sur le type de société que nous désirons construire collectivement en tant que « citoyens éclairés » pleinement outillés pour être constructeurs de savoirs opportunisants, synergisants et émancipateurs.

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[1]  Au sens de « capabilités » selon le prix Nobel d'économie Amartya Sen (1996), qui incluent les savoir- vivre, savoir-faire et savoir-penser / conceptuels (Stiegler, 2016). Le savoir constitue, pour le théoricien – praticien de l'éducation populaire Franck Lepage, un rapport social. Il se distingue ainsi de la connaissance, qui renvoie à des choses inertes non mises en rapport. Le savoir n'est donc pas une « somme de connaissances » non reliées entre elles et ne possédant pas une nature opérationnalisante, mais peut être analysé politiquement.

[2]  Défini pas Stiegler (2016) comme la perte des savoirs individuels et collectifs « encapsulés » dans un système machiniste automatisant à l'époque de l'économie des data.

[3]  Nous basons notre définition de la durabilité sur les analyses de Wahl (2016, p. 40): « Un processus dynamique de co-évolution et un processus communautaire de conversation continue et d'apprentissage conduisant à une participation pertinente à  des processus évolutifs de soutenabilité de la vie dont nous faisons partie et dont dépend notre avenir » (notre traduction).

[4]  Systèmes sociaux en réseau ouvert et distribué, constitués d'une potentielle infinité d'organisations territoriales Magitopiques œuvrant de manière synergique à l'échelle glocale pour appréhender la complexité croissante de notre ère planétaire (Morin, 2003). Le MAGICEAN renvoie à un patrimoine culturel commun numérisé alimenté par ces systèmes Magitopiques et irriguant ces organisations créatives et évolutives via un réseau internet universel.

[5]  Ingénierie de l'imaginaire, définie par Walt Disney comme le mélange de l'imagination créative et du savoir-faire technique pour expérimenter sans cesse de nouveaux systèmes et concepts. Elle peut être qualifiée d'« art de réaliser des rêves » reposant sur l'invention de visions collectivement désirées. Diane Nijs (2014, p. 188) définit l'imaginierie comme un phénomène d'autonomisation de la création de valeur en utilisant ou concevant une image qui fait appel à l'imagination des acteurs au sein d'un collectif. L'image (ou artefact) permet à ces acteurs de percevoir un nouvel horizon d'innovation pour le collectif qu'ils n'étaient pas capables de voir au préalable, et les invite et les autorise à agir de manière créative dans la direction perçue, en interagissant avec les autres dans le but de changer les routines existantes. L'imaginierie consiste ainsi, selon elle, à « concevoir un récit afin d'allumer et encadrer stratégiquement la créativité collective ».

[6]  Insights (notre traduction).

[7]  L'experte en transformation organisationnelle Diane Nijs (2014) souligne la nécessité de structurer nos stratégies d'évolution organisationnelle selon une vision du monde élargie intégrant la vision du monde « émergente » ancrée dans l'analyse des systèmes vivants dynamiques. Johnson (1992) cité par Dent (1999) défend le fait que « peut-être que le modèle mental le plus utile pour penser la vision du monde traditionnelle et la vision du monde émergente est celle de la polarité. Les polarités constituent des opposés qui ne peuvent pas fonctionner indépendamment l'un de l'autre. Les deux côtés d'une polarité sont interdépendants, ce qui fait qu'un côté ne peut pas être “vrai ” ou la “ solution ” au détriment de l'autre. » Ainsi, la vision du monde émergente complète et élargit l'autre.

[8]  Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ville_intelligente (consulté le 05 septembre 2017).

[9]  Néologisme que nous avons développé pour qualifier un individu rêveur, acteur, apprenant (i.e., engagé en permanence dans un processus de progression) et agissant de manière connectée et auto-organisée via une vision du monde élargie mobilisant les pensées logico-scientifiques et narratives. Ces acteurs appréhendent ainsi de manière efficace la complexité et nourrissent une dynamique d'intelligence stratégique reposant sur la créativité distribuée et l'innovation ouverte. Ce mot connote également la réaction provoquée par la connexion de la singularité de ces individus induisant, selon Saloff Coste (2013), une transformation par l'inspiration mutuelle.

[10]  Ces deux approches sont, selon Danchin, radicalement différentes tout en étant complémentaires et nécessaires.

[11]  L'esthétique constitue, selon Morin (2016, p.11), une « donnée fondamentale de la sensibilité humaine ». La saveur fait ici référence au mot latin sapere, qui signifie « avoir de la saveur », « sage », « être perspicace », « comprendre » et « savoir ».

[12]  Discipline de « prédiction du futur » prônée par des acteurs majeurs de l'industrie des nouvelles technologies comme Ray Kurzweil.

[13]  Mot employé par le prospectiviste André-Yves Portnoff pour désigner des « futurs possibles ».

[14]  Le professeur de la pensée critique en science politique Alain Deneault (2015) définit  la « médiocrité » comme « une moyenne en acte non réfléchie scientifiquement ». Il analyse ainsi ce qu'il nomme « médiocratie », qui désigne « un régime où la moyenne devient une norme impérieuse qu'il s'agit d'incarner. C'est l'ordre médiocre érigé en modèle ». Cet ordre induit, selon lui, une interchangeabilité des individus et des idées.

[15]  Mot issu de l'acronyme MAGITOPIA signifiant (dans son acception française) la « Maîtrise de l'Art de l'Intelligence Glocagénuitive au sein de Territoires via une Architecture Ouverte, de Pair-à-Pair et Imaginieriale ».  L'intelligence glocagénuitive connote une intelligence synergique glocale (universelle alimentée par des organisations territoriales interconnectées), ingénieuses, inventives (Besson et Uhl, 2012), régénératives (Wahl, 2016) et intuitives (Bonnecarrere, 2017) reposant sur le paradigme de la complexité (Morin, 1991) et le paradigme de design ancré dans les Communs de capabilité (Fontaine, 2017). Ces organisations mobilisent la création, sur une base ouverte et distribuée, de sens concernant la réalité sociale à l'ère planétaire. Le sens renvoie ici aux trois dimensions définies par l'architecte et ingénieur Eric Cassar (2015), spécialisé dans l'analyse et la construction d'« ar(t)chitectures subtiles » : sensibilité, intelligibilité / raisonnement  et « suivre une direction ». Cassar souligne, à propos des smart cities, qu'il est nécessaire de transgresser « l'ordre d'automatisation », en repensant la ville de l'intérieur, à l'échelle de l'homme et pour l'homme. Cette transgression commence par la création de singularités, l'ajout de l'aléatoire, et la réinjection de l'émotion à petite échelle. Nos villes doivent ainsi, pour cet  architecte, « être les supports d'événements poétiques et de hasards heureux ». Cela commence en créant de la surprise, qui produit de l'émotion collective, qui produit le lien social, le vivre ensemble et l'interagir ensemble. La dimension « direction » du sens renvoie, dans le cadre de notre analyse, à la poursuite d'une direction écosocialement souhaitable et désirable (car soutenable) pour l'humanité, traduite et reflétée dans un projet de société eutopéen clair, attractif et inspirant partagé par les organisations Magitopiques évoluant au sein du même système Magiceanique.

[16]  Matrice de développement territorial basée sur la tétrade fondamentale du game designer Jesse Schell (2008). Ce modèle repose sur une relation entre quatre dimensions fondamentales : l'esthétique (style culturel,...), les mécaniques (règles sociales régissant l'ordre social créatif), l'histoire (« récit territorial » co-construit par des citoyens imaginant sans cesse de nouvelles possibilités évolutives) et technologie (infrastructure TIC supportant les échanges intra et interterritoriaux,…).

[17]  Développement territorial holomorphe (connotant l'idée de « partie dans le tout et de tout supérieur à la somme des parties » selon Saloff Coste, 2013) basé sur le paradigme du « faire le maximum avec le minimum de ressources ».

[18]  Comme tendance à l'homogénéisation et à la dispersion intrasystémique pouvant, à terme, rendre impossible l'évolution des organisations sociales.

[19]  Le prospectiviste Michel Saloff Coste (2013) nomme génie des individus ou des organisations dont le regard singulier (i.e., incomparable et irremplaçable) a le pouvoir de changer notre manière de voir le monde.

[20]  Jennie Rose Halperin (2016) définit la science citoyenne comme « l'idée puissante que les communautés devraient être habilitées à participer au processus d'investigation scientifique, enquêter sur le monde qui les entoure et créer un changement sociétal dans le processus ».

[21]  Pour la dimension économique, voir par exemple le cas de Google : http://www.journaldunet.com/economie/magazine/1177211-google-sidewalk-labs-smart-city/ ; pour la dimension politique, voir par exemple le cas de la Chine : https://www.washingtonpost.com/world/asia_pacific/chinas-plan-to-organize-its-whole-society-around-big-data-a-rating-for-everyone/2016/10/20/1cd0dd9c-9516-11e6-ae9d-0030ac1899cd_story.html (consultés le 05 septembre 2017).


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