Résumé

La numérisation de l’acte de construire est en cours. Qu’il s’agisse de concevoir les bâtiments, de les réaliser ou de les gérer, la mutation numérique interroge les acteurs de l’habitat. Elle s’incarne dans un acronyme : le BIM pour Building Information Model, Modeling et Management. Impulsé par une directive européenne en 2014, le BIM se développe tranquillement dans les différentes organisations chargées de l’acte de construire ainsi que dans les différentes phases du processus. Pour les organisations qui l’expérimentent depuis plusieurs années, les pratiques d’évaluation en phase conception et en phase gestion commencent à s’installer. La phase de réalisation a encore été relativement peu investiguée. Quelles sont les pratiques d’évaluations numériques qui sont mises en oeuvre dans la dynamique du BIM ? Quelles sont les questions posées et les promesses formulées ?

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Abstract : The digitization of the act of building is in progress. Whether it’s designing buildings, building them or managing them, the digital mutation questions the actors of the housing sector. It is embodied in an acronym: BIM for Building Information Model, Modeling and Management. Driven by a European directive in 2014, BIM is quietly developing in the various organizations responsible for the act of building, as well as in the different phases of the process. For organizations that have been experimenting with it for several years, assessment practices in the design and management phases are beginning to take hold. The implementation phase has still been relatively little investigated. What digital evaluation practices are being implemented in the BIM dynamic ? What are the questions asked and promises made?

Keywords : BIM, digitalization, construction, organizational communication, evaluation.

 

INTRODUCTION

Si les premiers dispositifs d’évaluation émergent à la fin du XIXe siècle (Le Moënne et Parrini, 2010), ils se systématisent et se développent massivement dans le sillage de la production de masse avec Taylor et Ford au début du XXe siècle (Coriat, 1979). La machine taylorienne-fordienne investit en effet dans un ensemble de formes (Thévenot, 1986) qui visent à évaluer la quantité et la qualité du travail de manière à l’organiser de manière scientifique (la fameuse Organisation Scientifique du Travail - OST) selon le rêve d’ingénieur de Taylor. L’évaluation de la production participe alors à la rationalisation et à la normalisation du travail, sources du développement de la bureaucratie (Hibou, 2012). Le développement de cette évaluation par des normes techniques et bureaucratiques connaîtra un élan international avec l’invention de l’International Standard Organization (ISO) en 1947, institution d’harmonisation et d’homogénéisation des marchés mondiaux qui a notamment permis au Plan Marshall et aux missions de productivité de connaître le succès que l’on sait dans l’expansion du rêve industriel américain en Europe (Chaudet, Carayol, Frame, 2014). Depuis, l’évaluation de la qualité par les normes et autres dispositifs sociotechniques n’a eu de cesse de se propager dans tous les secteurs professionnels. De nombreux travaux ont étudié ces démarches et cette inflation normative, notamment par le prisme de leurs écritures et des dispositifs informatiques qui les accompagnent à partir des années 1980 (Fraenkel, 2001). 

Dans le secteur de la construction, ces démarches se sont finalement peu développées. Héritier d’une culture de l’oralité, la capitalisation et l’évaluation des pratiques sont relativement peu développées dans ce secteur, notamment sur les chantiers de construction qui comptent encore de nombreux dommages-ouvrage. La transmission des consignes auprès des chefs de chantier et des compagnons se fait encore largement de manière orale, appuyée le plus souvent par des croquis réalisés à la main, sans que la mise en œuvre ne soit ensuite réellement contrôlée et surtout sans traçabilité. Véritable ineptie pour le secteur industriel, il est donc quasiment admis pour le secteur de la construction que les Dossiers des Ouvrages Exécutés (DOE) remis en fin de chantier au maître d’ouvrage ne soient pas exactement conformes à ce qui a été mis en œuvre. Or, les problèmes qualité sur un chantier sont bien réels. Les cadres de la maîtrise d’ouvrage publique et des entreprises générales en France que nous avons pu interroger déclarent tous des problèmes de qualité. Si plusieurs dispositifs d’évaluation et de contrôle ont été mis en œuvre, essentiellement via les réunions de chantier et les contrôles sur site, rien de systématique n’a encore été mis en place. Cependant, le développement du BIM (Building Information Model, Modeling, Management) depuis une directive européenne de 2014 et des machines numériques dans le secteur du bâtiment semblent aujourd’hui apporter de nouvelles perspectives dans ce domaine (Chaudet, 2019). Nous souhaitons ainsi mettre en lumière dans cet article les potentialités et les limites des nouvelles formes d’évaluation des pratiques professionnelles, principalement en phase construction, qui tentent de se mettre en place dans la dynamique du développement du BIM.

Pour rendre compte et étudier ce phénomène, nous nous appuyons sur deux projets de recherche, l’un terminé et l’autre en cours, menés en collaboration avec l’Union Sociale de l’Habitat, la Banque des territoires et une équipe de recherche du laboratoire PREFICS de l’université Rennes 2. 

Le premier projet s’est déroulé de 2014 à 2017. Il avait pour thème les enjeux de la maquette numérique dans le logement social. Six bailleurs sociaux ont été observés et interrogés dans leurs usages du BIM. 31 entretiens semi-directifs ont été menés dans la première phase de cette étude avec la maîtrise d’ouvrage de septembre 2015 à décembre 2015, tandis que la seconde phase de l’étude a permis de réaliser 33 entretiens de janvier 2016 à avril 2016 avec la maîtrise d’œuvre et les entreprises associées aux projets de construction. Ces entretiens ont été complétés par des observations de réunions de projet dans lesquelles le BIM était convoqué. Pour chacun de ces échanges, un guide d’entretien a été réalisé de manière à soumettre nos questions à nos interlocuteurs sous le régime de l'entretien compréhensif (Kaufmann, 1996). Les interlocuteurs ont été choisis avec le responsable de la démarche BIM dans les organismes étudiés. Nous avons sélectionnés les personnes en fonction de leurs usages du BIM (nombreux ou pas) et en fonction de la place qu’ils occupaient dans le processus de manière à couvrir l’ensemble des logiques d’action, de la conception à la gestion. Les entretiens ont ensuite été retranscrits puis débattus avec l’équipe de recherche de manière à dégager les enjeux communs du BIM identifiés dans chaque organisme.

Un second projet, en cours et débuté en 2019, a pour objet d’étudier le BIM dans les stratégies numériques globales des organismes Hlm. Sept bailleurs sociaux sont ici interrogés. Entre octobre 2019 et février 2020, 46 entretiens et 5 observations de situations d’usage du BIM ont été menés. La méthodologie utilisée est la même que pour le précédent projet, à ceci près que nous avons découpé les guides d’entretien selon cinq axes : développement d’une culture BIM, apports et limites de la visualisation 3D, pratiques du BIM sur les chantiers, intégration des locataires à la démarche BIM et essor des stratégies numériques globales mises en oeuvre en continuité du BIM. Nous nous attacherons dans cet article à exploiter les résultats issus de la phase relative aux pratiques BIM sur les chantiers.

La mise en œuvre du BIM sur le chantier apparaît en effet comme un point de rupture dans la chaîne de traçabilité du processus de la conception à la gestion des bâtiments. Si le BIM permet d’évaluer la qualité en phase conception, il ne l’est plus en phase de réalisation. Le BIM et sa maquette numérique associée, actifs informationnels (Maurel, 2013) qui permettent de réduire les erreurs et d’augmenter la qualité de l’ouvrage en conception,  sont finalement très peu utilisés en phase réalisation. Les défauts de mises en œuvre, la non-correspondance entre la maquette numérique avant et après le chantier et l’ensemble des dommages-ouvrage qui persistent placent ainsi la question de l’évaluation et du suivi qualité sur le chantier au centre des préoccupations, des expérimentations et du fantasme du contrôle total par la technique.

A l’aune des entretiens et des observations que nous avons menés depuis 2016, nous voudrions donc ici relater les enjeux de l’évaluation dans l’acte de construire par le biais des nouvelles machines numériques. De nombreux projets sont en effet aujourd’hui prévus afin de contrôler (Gallot et Verlaet, 2016) et d’évaluer le travail sur le chantier dans le contexte du développement des machines numériques associées à la maquette produite avec le BIM. Telles sont les pratiques mais aussi les espoirs que nous souhaitons ici présenter autour de la problématique suivante : quelles sont les nouvelles formes d’évaluation mises en œuvre par les acteurs du bâtiment dans le contexte du développement du BIM et des machines numériques associées ? 

Dans une première partie, nous présenterons les principaux enjeux du BIM au regard de la qualité et de l’évaluation. La deuxième partie sera consacrée à la présentation des nouvelles évaluations numériques mises en place ou testées en phase réalisation. Nous nous appuierons ici principalement sur un entretien réalisé en 2020 avec le directeur de la qualité de réalisation et de l’innovation technique d’une grande entreprise générale française. Cet entretien est en effet révélateur des pratiques et objectifs que la plupart de nos autres entretiens ont évoqué pour la phase construction. Il faut donc prendre ici cet entretien comme un témoin de ce que tous les autres ont également révélés. Sur la base de ces développements et expérimentations, nous nous demanderons dans une troisième partie si les évaluations qui se mettent en place ne pourraient pas être qualifiées de post-taylorienne, dominées à nouveau frais par le mythe de la machine.

DÉVELOPPEMENT DU BIM DANS L’HABITAT SOCIAL ET ÉVALUATION

La qualité du processus de conception, de construction et de gestion des bâtiments construits  sous l’égide d’une maitrise d’ouvrage publique est devenue une question centrale, notamment en France. Cette préoccupation émerge en 1975 avec le rapport de R. Lion, Un Habitat de qualité, qui « note que l’ensemble des Français condamnent les immeubles collectifs récents quels qu’ils soient (…) Le rapport du groupe interministériel du Plan sur les politiques urbaines (1975) montre aussi que les cités d’habitat social présentent déjà, au bout d’une quinzaine d’années à peine, des signes de dégradation physique » (Stébé, 1998, p. 98). 

Plus de quarante ans plus tard, lors de nos récents entretiens, même si des progrès sont à souligner, plusieurs cadres au sein des maîtrises d’ouvrage publiques et des entreprises générales déplorent également les cas trop importants de dommages-ouvrage à la réception des bâtiments. Or, pour un bailleur social, la qualité du bâtiment est un élément déterminant, stratégique, puisque c’est lui qui doit ensuite le gérer pendant les décennies qui suivent. Il doit intervenir en cas de problèmes techniques. Il doit le réhabiliter. Il doit enfin le démolir. Toutes ces opérations ont un coût et l’on comprend aisément que plus la construction aura été menée de manière optimale, plus les informations qui lui seront fournies seront précises et correctes, moins l’intervention du bailleur sera coûteuse. Or, à écouter les acteurs de l’habitat du logement social, il y aurait encore beaucoup à faire en matière de qualité, notamment en phase construction. 

L’un des points majeurs soulignés porte sur le problème de la communication. Selon la plupart des acteurs interrogés, les métiers ne se parlent pas suffisamment. Il y a une trop grande autonomie des équipes qui prennent des décisions de mise en œuvre qui ne correspondent pas à ce qui a été décidé en amont et qui auraient nécessité une plus grande collaboration entre les acteurs. En somme, la régulation autonome a été préférée à la régulation de contrôle (Reynaud, 1988), marque de la filière du bâtiment en France qui s’apparente à une forme organisationnelle fragmentée (Brousseau & Rallet, 1995; Chaudet et al., 2017). La mauvaise coordination des acteurs par manque de communication serait ainsi la source de nombreux dommages-ouvrage. 

L’autre conséquence majeure de ce problème réside dans la difficulté d’obtenir un DOE (Dossier des Ouvrages Exécutés) fiable. Le DOE est en effet une pièce maîtresse pour le gestionnaire puisqu’il est censé représenter en détail les ouvrages qui ont été réalisés. Or, entre le début et la fin du chantier, les multiples choix en situation qui ont été opérés n’ont souvent pas donnés lieu à une modification des plans. Le gestionnaire ne dispose finalement donc pas des plans correspondants à l’ouvrage exécuté. Ce décalage est évidemment un facteur de surcoût lors des phases d’entretiens, de réhabilitation et de démolition des bâtiments concernés.

En somme, c’est à un véritable problème de communication, de coordination et de coopération auquel la filière du bâtiment doit faire face. Nous ne doutons pas que les multiples normes et dispositifs d’évaluation de la qualité auxquels les acteurs sont soumis ont amélioré le processus. Mais les défauts qualité sont toujours là. Et il s’agit donc désormais de travailler sur la construction de véritables actifs informationnels (Maurel, 2013).

Pour entrer dans cette dynamique, les systèmes d’information et de communication ont naturellement été convoqués. Comme le souligne un responsable des systèmes d’information à l’USH : « Les exigences autour de l’habitat social sont de plus en plus grandes, tant en termes de réglementation technique, financière, environnementale que d’attentes de transparence de la part des occupants des logements. Ces exigences ne pourront pas être satisfaites à coût maîtrisé sur le long terme sans des systèmes d’information performants et interopérants » (Responsable des systèmes d’information, entretiens, 2016). ERP et autres applications de gestion technique du patrimoine ont ainsi colonisé les organismes HLM dans le contexte de la grande vague d’informatisation dans les années 1980-1990. 

La mutation numérique est venue renouveler et actualiser la place, le rôle et les acteurs de ce système sociotechnique sous l’égide du BIM (Building Information Model, Modeling, Management). Impulsé par une directive de l’union européenne en 2014, ce dispositif vise à optimiser la traçabilité et la qualité du processus de conception, de construction et de gestion des bâtiments à l’aide de la modélisation numérique. Le BIM est en réalité un mot-valise qui comprend à la fois des outils dits collaboratifs et des méthodes non moins collaboratives. Comme le PLM (Product Lifecycle Management) le BIM (ou BLM pour Building Lifecycle Management) vise l’intégration organisationnelle des acteurs. En partageant et en alimentant une seule et même base de données numériques, la médiation opérée par cette dernière permettrait ainsi aux acteurs de surmonter les problèmes de communication, de coordination et de coopération cités plus haut. 

Mais les choses, comme souvent, sont malheureusement beaucoup plus compliquées et les systèmes relationnels ne sont pas réductibles à des problèmes techniques. Selon nos observations, la maquette numérique intégrée et collaborative est encore loin d’être au point (Chaudet et al., 2017). Nous constatons, à la place, la mise en œuvre de plusieurs maquettes numériques et d’une multitude d’outils qui varient en fonction de la phase du processus et des acteurs qui la mobilisent. Ainsi de ce cas observé où la maquette numérique fournie par la maîtrise d’oeuvre à l’entreprise générale chargée des travaux a été totalement réécrite car la délégation de la responsabilité veut que que ce soit l’entreprise générale qui soit en faute s’il y a un problème. Par principe, l’entreprise générale ne fera donc pas confiance à une maquette qu’elle n’a pas elle-même réalisée. Nous sommes donc loin de la maquette collaborative. Pour donner un autre exemple, nous avons également observé que souvent, la numérisation d’une maquette consistait en un travail supplémentaire et parallèle au travail tel qu’il se fait « normalement ». La maquette numérique est produite mais elle ne supprime pas les outils qu’elle est censée supplanter. Là aussi, nous nous apercevons que le processus collaboratif et transversal n’y est pas. En somme, le dispositif sociotechnique s’est en réalité adapté à la forme organisationnelle pré-existante en respectant ses phases, ses singularités, ses ruptures, ses fragmentations. Il a par ailleurs fait émerger un nouveau métier, le BIM manager, chargé du management de ce processus numérique. 

Cela dit, selon nos entretiens, la mise en œuvre de la conception via les outils BIM ont effectivement permis une montée en qualité. L’usage de logiciels de détections de « clashs »   témoigne par exemple de cette possibilité désormais systématique d’anticiper et de corriger des erreurs en phase conception. Comme le notent nos nombreux interlocuteurs que résume une étude menée par l’AQC (Agence Qualité Construction): « Les utilisateurs de la maquette BIM perçoivent rapidement cette amélioration notamment en conception par l’utilisation du détecteur de clashs » (AQC, p. 12). La modélisation numérique ne laisse plus la place à l’approximation. Les tuyaux passent ou ne passent pas. Les câbles conviennent ou ne conviennent pas. Les références précises des matériaux doivent être indiquées très tôt… Ingénieurs en bureaux d’études, architectes et chargés d’opération sont unanimes pour dire que la conception monte en qualité. Mais si la qualité en conception est évidemment une bonne nouvelle, elle ne semble toujours pas être au rendez-vous de la construction. Car contrairement aux promesses du BIM, le chantier n’est toujours pas connectée à la maquette. Les pratiques professionnelles visant à l’utiliser pour aider et évaluer la mise en œuvre sont encore à leur balbutiement. On peut lire ça et là que des « tablettes » permettent de contrôler l’adéquation entre la maquette et le réel, mais en ce qui concerne nos observations, nous n’avons encore rien vue de tel. L’évaluation de la qualité est donc au cœur de cette problématique qui se trouve souvent accentuée par la présence de multiples sous-traitants sur les chantiers qui n’ont pas toujours participé aux réunion BIM en amont et qui n’ont tout simplement ni l’intérêt ni les compétences pour lesquelles il faudrait qu’ils investissent en formations et en machines.

Plusieurs dispositifs sont ainsi mis en œuvre pour évaluer ces pratiques dites BIM. L’une des pièces maîtresses est sans doute l’écriture d’une convention BIM qui est censée fixer clairement les règles du jeu, les objectifs et le cadre général des échanges d’information, de leur évaluation et capitalisation. La convention est en quelque sorte la norme générale d’un projet BIM à partir duquel les acteurs auront à trouver les investissements de forme (Thévenot, 1986) qui permettront d’articuler les outils aux pratiques. La convention présente ainsi le plus clairement possible les objectifs de la maîtrise d’ouvrage, l’organisation du management de projet, les livrables attendus à chaque phase, les exigences techniques et fonctionnelles de la maquette ainsi que la manière dont elle pourra ensuite être importée dans le logiciel de gestion patrimoniale du bailleur.

Une autre dispositif d’évaluation mis en œuvre au niveau national est celui proposé par l’agence interministérielle le PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture) sous le nom de méthode BIMétric. Cette méthode a été développée en 2015. Ses objectifs opérationnels sont d’élaborer une grille d’évaluation du BIM. Comme l’indique le site web de la méthode, cette dernière entend répondre aux questions suivantes : « Quel est le ratio coût/bénéfice de la mise en place d’une démarche BIM pour une opération donnée ? Comment apprécier le degré d’intégration et les niveaux de maturité des intervenants dans le domaine du BIM ? Comment comparer une opération dont le processus intègre des pratiques BIM à une opération sans BIM ? Quels outils pour les experts chargés de l’évaluation des propositions de bonnes pratiques ? Comment harmoniser les démarches d’expertise en prévision d’un futur observatoire des pratiques ? ». Il s’agit notamment d’évaluer la maturité des intervenants et de faire le lien entre celle-ci et les usages du BIM. Il va sans dire que l’évaluation du BIM se fait ici dans une perspective diffusionniste (Jauréguiberry, Proulx, 2011) au sens où son intégration est de toute façon la seule perspective envisagée. Si les acteurs ne développent pas d’usages, c’est qu’ils ne sont pas encore matures mais avec un peu d’entraînement et de méthodes, il devraient y arriver. L’échelle de maturité à six niveaux (absente, initiale, définie, gérée, intégrée et optimisée) proposée par la méthode a d’ailleurs été inspirée par la norme d’évaluation des processus ISO/IEC 33001 :2015, preuve s’il en est besoin de l’enjeu de normalisation par l’évaluation. L’ensemble de la démarche consiste à identifier des cas d’usage sur lesquels les acteurs seraient en situation d’évaluer leur niveau de maturité. 21 cas d’usages ont ainsi été délimités. Ce n’est pas l’objet ici de tous les détailler. J’en citerai cependant six qui me semblent particulièrement révélateurs de ces démarches d’évaluation numérique de l’acte de construire.

Le sixième cas d’usage porte ainsi sur les évaluations de la performance de l’ouvrage à partir des maquettes numériques produites. Il s’agit ici d’utiliser les données issues des maquettes afin de réaliser des simulations et des analyses (thermiques, énergétiques, structurelles, acoustiques…). Les huitième et douzième cas d’usage visent à simuler le déroulement du chantier en associant la maquette à un planning (huitième cas) et en anticipant l’ensemble de la mise en oeuvre (douzième cas). Le dixième cas fait référence aux préventions de conflits et à l’utilisation des logiciels de détection de « clashs » comme nous l’avons déjà évoqué. Le quinzième cas d’usage consiste à actualiser les maquettes numériques en fonction de l’évolution de la mise en oeuvre de manière à obtenir un modèle « tel que construit ». Enfin, citons le dix-septième cas d’usage qui utilise la maquette numérique afin de la confronter à la réalité de manière à évaluer si la phase réalisation respecte bien la phase conception. On le voit bien, c’est la fonction de simulation et la capacité à anticiper et évaluer l’écart entre la carte et le territoire qui est visé par les machines numériques.

L’Union sociale de l’habitat contribue également à la réflexion sur les méthodes d’évaluation à mettre en œuvre pour ses adhérents composés de maîtrise d’ouvrage publique. Elle publie avec la société Almadea en 2020 deux études en ce sens : l’une sur le ROI (Return On Investment ou Retour Opérationnel d’Investissement) en phase construction, l’autre sur le ROI en phase gestion (USH, Almadea, 2020), (USH, Almadea, Tipee, 2020).

L’étude, en construction notamment, vient confirmer l’une de nos observations précédentes à savoir qu’il est encore difficile d’évaluer les gains suite à l’implémentation du BIM. Le processus d’innovation, c’est-à-dire de transformation d’inventions en usages stabilisés (Lacroix, 1994), est donc encore largement en cours de construction. Les acteurs cherchent encore des raisons de croire et tentent toujours de trouver des usages stabilisés qui puissent leur être profitables. Or, l’un des éléments qui permettraient précisément d’apporter des raisons de croire et de stabiliser ces usages reposent sur l’identification des gains obtenus suite aux investissements consentis, autrement dit les fameux ROI. La mise en œuvre d’un cadre méthodologique est donc éminemment stratégique pour les acteurs de la filière qui se sont engagés dans la démarche. 

L’étude note ainsi que les organismes interrogés « mentionnent la difficulté d’identifier des gains sans un niveau de maturité minimum » (USH, Tipee, p. 48) mais que paradoxalement « De tous les organismes engagés dans le BIM, aucun n’a évoqué la possibilité d’un retour en arrière ou n’a envisagé à court terme de mettre fin à ses démarches en BIM Construction » (USH, Tipee, p. 64). La question est en effet de savoir ce que l’on entend par « niveau de maturité minimum » qui permettrait « d’identifier des gains ». La maturité provient-elle des années engagées à chercher ou provient-elle du fait d’avoir trouvé ? Rappelons-nous qu’innover, c’est chercher des raisons de croire (Alter, 2013). Lors de nos recherches, nous nous sommes entretenus avec des organismes qui, malgré leur engagement de longue date, ne trouvaient pas encore explicitement de gains à mettre en avant. D’un point de vue temporel, ces organismes pourraient être considérés comme « matures » en BIM puisqu’engagés de longue date avec des pratiques effectives. Or, les responsables interrogés expliquaient qu’il était hors de question de revenir en arrière ou d’abandonner la démarche BIM compte tenu des investissements déjà consentis. Il s’agit donc désormais de trouver ou de légitimer coûte que coûte le dispositif sociotechnique car, dans toute démarche d’innovation, il existe ce que nous pourrions appeler un moment ou un cliquet  d’irréversibilité où les acteurs se sont tellement engagés dans le processus qu’il est très difficile politiquement et symboliquement d’avouer que nous avons eu tord et que finalement, il vaut mieux abandonner. De nombreux exemples de projets aux dépassements de factures ahurissantes sont là pour en attester. D’où l’urgence, après au moins cinq ans voire plus pour certains de développement du BIM de dégager des ROI pertinents qui pourraient venir valider une bonne fois pour toute l’intérêt de s’engager dans le BIM. Les méthodes d’évaluation mises en œuvre notamment pas les entreprises générales participent de cet objectif.

PRÉSENTATION ET DISCUSSION DES NOUVELLES ÉVALUATIONS NUMÉRIQUES MISES EN OEUVRE EN PHASE RÉALISATION 

Les entreprises générales ne sont pas en reste sur les tests et pratiques mis en œuvre pour évaluer la qualité du BIM. Selon un directeur de la qualité de réalisation et de l’innovation technique interrogé, pour lui aussi, « le BIM est bien avancé en phase gestion mais on a du mal à développer les usages en chantier » (directeur de la qualité, entretien, 2020). Pourtant, les expérimentations ne manquent pas. Aujourd’hui, l’entreprise développe des outils digitaux pour les usages du chantier. Selon le directeur, les outils doivent être intuitifs et ergonomiques, à l’instar des multiples applications que nous utilisons sans avoir besoin de formation. Si Revit est un outil d’expert, les autres applications doivent pouvoir être utilisées par tous les compagnons, chefs de chantiers et conducteurs de travaux. « Il faut pluger sur la maquette numérique tout un tas d’applications, d’outils digitaux dont les compagnons peuvent se servir. Il faut que l’on ait tout un tas de petits outils simples avec des objectifs précis. On arrive alors à passer le frein d’un outil d’expert » (directeur de la qualité, entretien, 2020). Pour développer une base de données numériques intégrée ou un BIM intégré, il faudrait d’abord en passer par le développement de BIM métiers (Animateur métiers, entretien, 2019). Et le directeur de préciser que l’élément central du BIM est la donnée. Le BIM n’est en effet pas autre chose qu’une immense base de données qu’il s’agit d’alimenter et d’exploiter pour optimiser le processus. Ce sont toutes ces données qu’il  s’agit de capitaliser de manière à les transformer en informations, en connaissances et en savoirs (Ermine et al, 2014).

« Avec cent chantiers développés avec le BIM, nous disposons d’une base de données à partir de laquelle nous pouvons sortir des tableaux de bord, des chiffres, des ratios et c’est bien cela que nous cherchons. Les données du BIM sont ce qui va nous permettre de capitaliser car notre plus grand souci est la capitalisation. Nous avons un métier de tradition orale. Un chantier est une entité à part entière autonome. Chaque chef de chantier, en fonction de ses expériences va faire sa méthode. Mais à un moment donné, s’il y a quatre méthodes mises en oeuvre, il doit bien il y en avoir une qui soit meilleure et qui coûte moins chère. Grâce à la maquette numérique, il est possible de calculer et de choisir cette méthode » (directeur de la qualité, entretien, 2020).

 

Ici, l’enjeu central du BIM réside dans sa capacité à consolider des données qui permettent d’évaluer la meilleure méthode à adopter. Taylor parlait en son temps du « One best way » par le chronométrage des temps et la décomposition minutieuse de chaque tâche qui a permis l’automatisation et la mise en équivalence entre le mouvement et le temps industriel. Nous sommes finalement proche de ce modèle dans les pratiques qui se mettent en œuvre. 

Par exemple, il s’agit notamment d’évaluer et de quantifier le nombre exact d’heures dont une équipe a besoin sur un chantier pour construire un escalier. 

« Lorsque nous rentrons les heures dans la maquette, nous sortons une base de données qui peut nous dire combien d’heures j’ai consommé pour construire un escalier. Cela permet de calculer si je perds des heures sur une tâche et si j’en gagne sur une autre. Disons que nous devions poser 50 escaliers. La question est de savoir le temps qu’il me faut réellement pour poser un escalier au regard de ce qui a été prévu. Pour cela, il nous faut des outils au service du chantier qui exploitent la donnée et qui nous permettent de sortir des tableaux de bord pour réagir vite si le temps prévu n’est pas le temps réel de pose. En calculant cela avec le BIM parce que le conducteur ou le compagnon a renseigné les données dans la maquette, nous pouvons retourner voir le service méthode au bout de trois escaliers en leur demandant de trouver une autre solution car nous sommes en train de perdre de l’argent. Cette vision journalière, cela nous permet de réagir tout de suite » (directeur de la qualité, entretien, 2020).

 

Le deuxième usage possible de cette comptabilité précise des heures affectées à une tâche est le pointage pour faire une paye.

D’autres pratiques sont également mises en œuvre dans l’évaluation des « réservations ». En phase construction, une réservation est une « cavité ou orifice que l’on ménage dans la construction d’une paroi en prévision du passage de gaine, de conduite, de tuyaux, chutes, câbles, etc. afin d’éviter de devoir  procéder ensuite à des percements » (de Vigan, 2019). La qualité des réservations, c’est-à-dire de leur bon emplacement, est un enjeu essentiel. Or une marge de progression est manifestement possible. « Lorsque nous sommes bons dans la construction, nous mettons à côté une réservation sur dix. Et lorsqu’une réservation est à coté, il faut aller « taper » la réservation au marteau-piqueur et refaire un trou. C’est très mauvais pour l’image de marque et ça comporte des risques car tout cela se fait souvent à deux mètres de hauteur » (directeur de la qualité, entretien, 2020). Les risques dans la mise en œuvre de la réservation sont au moins au nombre de deux. Ils résident dans la mauvaise retranscription de l’information et l’oubli de la réservation ou du moins de la mettre à côté. En effet, « sur un plan 2D, il est difficile de représenter une réservation car il faut ajouter de l’information écrite sur le plan » (directeur de la qualité, entretien, 2020). Et pour transmettre cette information aux compagnons, « le chef de chantier prend une feuille blanche, redessine le bout de mur avec tous les trous et recalculent le bon emplacement avec sa calculette pour repositionner la réservation. Lorsqu’il fait cela, il prend du temps car il refait 3 fois le calcul et il y a un risque d’erreur car vous retranscrivez l’information » (directeur de la qualité, entretien, 2020). Avec la maquette BIM, les compagnons disposent des planches d’exécution avec l’élévation et les endroits où sont les réservations. « On gagne du temps et on diminue les risques d’erreurs » (directeur de la qualité, entretien, 2020).

Le deuxième apport des usages du numérique et du BIM dans la mise en œuvre des réservations tient dans l’usage de la réalité augmentée. « Avant de fermer le coffrage, avant d’avoir coulé le béton, nous venons vérifier en superposant avec une tablette avant de fermer le coffrage. Si le compagnon a mis la réservation au bon endroit, alors nous pouvons fermer et couler le béton » (directeur de la qualité, entretien, 2020). Il s’agit ni plus ni moins de connecter le chantier à la maquette numérique. Un cadre de l’USH nous confie également que l’objectif est de bloquer l’action d’un ouvrier qui ne serait pas conforme à la maquette numérique. L’objectif est de passer du stade artisanal au stade industriel. « Il faut faire en sorte que le chantier devienne un flux logistique comme une usine. Il faut industrialiser le processus de construction » (directeur de la qualité, entretien, 2020).

Une autre pratique numérique symptomatique de cette mise en processus est le boîtier connecté installé sur les grues, outils principaux des chantiers de construction. « Nous allons mettre sur le moufle (le crochet) un boitier connecté de manière à tracer toute la journée où est le crochet de ma grue » (directeur de la qualité, entretien, 2020). L’objectif est de réaliser un diagramme qui permette de calculer des saturations de grues. « L’objectif est de connaître les tâches qui prennent trop de temps de manière à faire des horaires décalés pour que la grue travaille toute la journée. Les outils connectés nous permettent de voir où la grue est saturée et à quel poste. Ils envoient l’information dans une plateforme dans laquelle nous mettons la maquette numérique et qui nous permet de connaître la tâche qui est assurée » (directeur de la qualité, entretien, 2020). 

L’ACTE DE CONSTRUIRE : VERS UN PROCESSUS INDUSTRIEL POST-TAYLORIEN OU LE MYTHE DE LA MACHINE

Que pouvons-nous retenir de ces pratiques effectives, en tests ou à venir ? Ce qui est étonnant est que toutes ces pratiques sont en réalité très proches des préoccupations et des solutions que Taylor puis Ford ont mis en œuvre : industrialisation de ce qui relevait auparavant de l’artisanat, chronométrage des tâches et optimisation de la meilleure méthode (la plus rapide) pour la réaliser, recherche constante de la meilleure méthode (one best way), un suivi des heures qui permet de déclencher la paye, un déni de l’expérience de l’ouvrier au profit d’un bureau des méthodes qui sait mieux que quiconque ce qu’il faut faire (organisation scientifique du travail), la soumission générale du travail et du travailleur à la machine-outil (nous dirions aujourd’hui la soumission à la machine numérique voire à la mégamachine (Mumford, 1967)).

Or, nous savons aussi ce que la méthode de Taylor a produit : problèmes qualité, turn-over important, environnement militarisé massivement rejeté par les ouvriers. Bien sûr, les méthodes et le climat managérial ne sont pas les mêmes mais il nous semble que nous pouvons tout de même largement qualifier le développement du BIM dans l’acte de construire comme un épisode post-taylorien où la machine numérique remplace la machine-outil et les méthodes d’évaluation qui étaient développées pour la mesurer. 

Il semble clair que le BIM et ses investissements de forme (Thévenot, 1986) (Chaudet, 2020) associés sont à considérer comme des machines à organiser et à évaluer. La notion de machine doit ici être considérée dans sa double acception, comme système technique et comme « l’agencement de divers éléments en vue d’un but ou d’une finalité (…) dispositif conceptuel et pratique subtil, permettant d’atteindre ce que la nature ne permet pas de faire, « artificieuses machines » de Léonard de Vinci » (Le Moënne, 2008, p. 133). Au XVIIème siècle, la notion de machine est utilisée dans un sens non matériel mais organisationnel. La Fontaine, dans Le Renard et le bouc, mais dans d’autres fables aussi, fera dire à un renard bloqué au fond d’un puits avec un bouc : « Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi : Mets-les contre le mur. Le long de ton échine Je grimperai premièrement ; Puis tes cornes m’élevant, A l’aide de cette machine, De ce lieu je sortirai ». Nous notons au moins trois dimensions essentielles à souligner dans la notion de machine : sa dimension rationalisatrice, matérielle et organisationnelle (Chaudet, 2020). Notre hypothèse est donc de considérer que le BIM comme machine organisationnelle constituée de méthodes et de machines concrètes visent à rationaliser le processus de construction au même titre que la machine industrielle a tenté de le faire. Il s’agit ainsi d’étudier le BIM comme l’actualisation de la machine industrielle ou plus généralement comme le développement de la mégamachine (Mumford, 1967). Nous savons par exemple les contournements que les compagnons peuvent déployer pour contourner les règles et réaliser leur travail, tout comme nous savons les dispositifs de contournement à la règle que les ouvriers de la machine industrielle et taylorienne ont développé. Il y a de nombreuses possibilités tactiques pour contourner la règle. 

Des appareils enregistreurs du physiologiste Etienne Marey (Mattelart, 2011) à la traçabilité numérique généralisée permise par le BIM en passant par la décomposition du geste de l’ouvrier (Coriat, 1979), ne sommes-nous pas dans la constitution de machines et de mégamachines (Mumford, 1967) qui permettent de répliquer et de répéter de manière à perfectionner l’existant ? Sous cet aspect, le BIM et ses méthodes d’évaluation peuvent être considérés comme une mégamachine à spatialiser des pratiques (Stiegler, 1994) de manière à pouvoir les exploiter et les optimiser. L’objectif du BIM et de ses méthodes d’évaluation résident bien dans leur capacité à rationaliser l’acte de construire, c’est-à-dire à disposer de suffisamment d’indicateurs de manière à capitaliser et à réduire l’incertitude. Cette caractéristique place le BIM dans la continuité des systèmes bureaucratiques mis en œuvre par le capitalisme. Si le capitalisme n’a pas l’exclusivité de la rationalisation, il en constitue cependant l’arrière-fond institutionnel. Comme le rappelle Béatrice Hibou (Hibou, 2012), le capitalisme a été rendu possible par la mise en œuvre d’un ensemble de normes qui avait précisément pour objectif de réduire l’incertitude des marchés. La bureaucratie « est caractéristique du processus de rationalisation, de la montée du calcul, de l’écrit et de l’évaluation dans les sociétés modernes. Elle exprime et traduit un besoin de calculabilité et de prévisibilité propre à l’industrie et adopté par le capitalisme en des termes de plus en plus formels et rigoureux ; et elle n’est d’ailleurs véritablement établie que lorsque le capitalisme domine la société. » (Hibou, 2012, p. 21).

CONCLUSION

Les organisations qui travaillent à la construction des bâtiments sont aujourd’hui confrontées à la nécessité de documenter une base de données appelée BIM (Building Information Model, Modeling, Management). Les organisations chargées de coordonner la conception, la construction et la gestion attendent en retour des possibilités plus larges en termes d’évaluation de la qualité, de capitalisation des bonnes pratiques et de pilotage général à l’aune d’indicateurs fiables et chiffrés. L’objectif de ce travail est de disposer d’informations suffisamment pertinentes pour participer aux diverses décisions qui doivent être prises à tous les niveaux d’échelle (compagnon, chef de chantier, conducteur de travaux, chargé d’opération, architectes, ingénieurs, BIM manager…) et tout au long du processus (conception, construction, gestion). Comme nous avons pu l’illustrer, de multiples machines numériques d’évaluation se mettent en place dans ce contexte. Nous pourrions même nous demander si le BIM n’est pas un système d’évaluation à part entière, c’est-à-dire une « démarche rigoureuse de collecte et d’analyse d’information qui vise à porter un jugement sur un programme, une politique, un processus, une activité ou un projet pour aider à la prise de décision » (Gouvernement du Québec, Secrétariat du Conseil du trésor, 2013, p. 9). La convention BIM, écrite pour chaque projet, est à ce titre le document cadre qui doit définir les objectifs et les machines qui devront permettre d’évaluer et de piloter le travail tout au long du processus. Il s’agit de disposer de suffisamment d’actifs informationnels, c’est-à-dire « tout élément qui représente de la valeur pour l’organisation » (ISO 30300, 2011, p. 1). Le BIM doit à ce titre être considéré comme un actif informationnel tangible à part entière. 

Mais le problème pourrait à terme résider dans la non prise en compte des actifs intangibles qui reposent précisément sur une expérience subjective et qui ne sont pas réductibles à la quantification numérique. La négation de la subjectivité a été le talon d’Achille de la machine industrielle et du taylorisme (Floris, 1996). Il pourrait l’être aussi du BIM et des machines numériques qui se développent actuellement dans la filière du bâtiment. Comme énoncé dans l’un des verbatims mentionnés plus haut, « s’il y a quatre méthodes, il doit bien il y en avoir une qui soit meilleure et qui coûte moins chère. Grâce à la maquette numérique, il est possible de calculer et de choisir cette méthode » (directeur de la qualité, entretien, 2020).  L’un des enjeux majeurs se trouvent sans doute ici, c’est-à-dire dans la capacité de la machine à se nourrir des données capitalisées sur les chantiers et donc de la subjectivité pour simuler et modéliser la meilleure solution en fonction du contexte. Grâce à cela, l’organisation scientifique du chantier et le one best way taylorien serait à portée de clic.

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(de) Vigan J., (de) Vigan Aymeric (2019). Dicobat. Ed Arcature.

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