N°12 / Stratégies de gestion de l’information durable : la question des territoires

Enjeux, pratiques et stratégies d’ouverture de l’information scientifique en bioéconomie

Marianne Duquenne

Résumé

La bioéconomie est une opportunité en réponse aux problématiques écologiques actuelles que nous traversons. Ce nouveau paradigme contribue à une transition globale vers des modèles plus durables et respectueux de l’environnement. La mise en œuvre d’une telle stratégie sur un territoire implique nécessairement une forte interaction entre le secteur privé et le secteur public pour répondre aux défis d’innovation posés par la bioéconomie. La région Hauts-de-France témoigne de cet écosystème composé d’acteurs de l’industrie, de la recherche, du transfert ou encore du monde de l’exploitation agricole. L’enjeu de cet article est double : d'abord, de comprendre comment ces catégories d’acteurs s’organisent pour produire des connaissances scientifiques et techniques en bioéconomie et, aussi, d’analyser le partage des résultats de la recherche entre ces acteurs. Cette dernière question se pose de plus en plus depuis que l’État français mène une politique en faveur d’une science plus ouverte, transparente et accessible à tous. Depuis 2019, une étude de terrain est menée pour analyser l’application des principes de la science ouverte en bioéconomie. Des entretiens menés auprès de porteurs de projets révèlent un domaine de recherche émergent, large et complexe. Tandis que les parties prenantes ont recours à des stratégies plus ou moins ouvertes pour partager les résultats de leurs travaux en recherche et développement, les résultats montrent que la mise en œuvre des principes de la science ouverte peut être impactée. La discussion porte sur la nécessité d’être nuancé dans l’ouverture de l’information scientifique pour garantir les intérêts des partenaires industriels, et par ailleurs pour assurer le bon développement de la bioéconomie sur le territoire des Hauts-de-France.

Mots clés : Territoire, bioéconomie, science ouverte, information scientifique et technique, recherche et développement

 

The bioeconomy is an opportunity to respond to the current ecological problems we are facing. This new paradigm contributes to a global transition towards more sustainable, environmentally-friendly models. Implementing such a strategy in a given region necessarily involves strong interaction between the private and public sectors to meet the innovation challenges posed by the bioeconomy. The Hauts-de-France region is an example of this ecosystem, made up of players from industry, research, transfer and the world of farming. The aim of this article is twofold: firstly, to understand how these categories of players organize themselves to produce scientific and technical knowledge in the bioeconomy, and secondly, to analyze the sharing of research results between these players. The latter question is becoming increasingly important as the French government pursues a policy in favor of more open, transparent and accessible science. Since 2019, a field study has been conducted to analyze the application of open science principles in the bioeconomy. Interviews with project leaders reveal an emerging, broad and complex field of research. While stakeholders use more or less open strategies to share the results of their research and development work, the results show that the implementation of open science principles can be impacted. The discussion focuses on the need to be nuanced in the opening up of scientific information to guarantee the interests of industrial partners, and also to ensure the successful development of the bioeconomy in the Hauts-de-France region.

Key-words : Territory, bioeconomy, open science, scientific and technical information, research and development

Mots-clés

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Introduction

Le potentiel de la bioéconomie

Les conclusions du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GEIC) dépeignent une réalité préoccupante des effets et des conséquences du réchauffement climatique qui se font désormais de plus en plus ressentir. Le contexte climatique soulève des interrogations sur la durabilité des systèmes actuels. Il est crucial de repenser notre façon d’exploiter les ressources et de changer les comportements humains pour réduire les dommages causés à l’environnement.  

La bioéconomie est une approche en réponse à ces enjeux et “vise à améliorer et à développer l'utilisation durable des ressources renouvelables pour relever les défis mondiaux et locaux, tels que le changement climatique et le développement durable” (Commission européenne, 2018). Plus concrètement, la bioéconomie affecte une pluralité de secteurs d’activité, dont l’agroalimentaire, la santé, l’énergie ou encore les biomatériaux. Ces secteurs ont un objectif commun : celui de rompre leur dépendance aux ressources fossiles (pétrole, charbon, gaz) en privilégiant l’utilisation des ressources biosourcées qui ont une faible empreinte carbone et répondant de manière équivalente aux différents besoins de l’Homme.

La bioéconomie sur les territoires

Progressivement, la bioéconomie est devenue le nouveau paradigme des stratégies « politiques et économiques de nombreux pays, avec un potentiel d’innovation, de recherche et de développement significatif » (Duquenne et al., 2022).

Par ailleurs, la mise en œuvre d’une politique efficace en bioéconomie nécessite l'implication d'un large éventail de parties prenantes dans la mesure où cette question est devenue une préoccupation majeure autant pour la recherche, l'industrie que les politiques publiques. Toutefois, cela représente également un défi politique complexe (Devaney et al., 2017).

En ce sens, l’État français a entrepris depuis 2018 un plan d’action visant à déployer une stratégie nationale de la bioéconomie, conférant aux régions un soutien et des compétences dans ce domaine. En effet, dans la pratique, il est difficile de concevoir une approche globale de la bioéconomie sur les territoires (Colonna et al., 2019) sachant que la mise en œuvre d’une telle stratégie repose sur des degrés d’ancrage différentiels, parfois complémentaires.

La stratégie en bioéconomie déployée sur un territoire est façonnée par les réalités économiques, sociales ou encore culturelles qui le composent (Benoît, 2021). Par conséquent, « chaque type de bioéconomie entretient un rapport particulier au territoire et bénéficie d’un ancrage productif propre » (Benoît, 2021, p.88). La stratégie française « définit un cadre de développement durable de la bioéconomie, cohérent avec les ressources de notre territoire et ses besoins en évitant toute surexploitation » (Ministère de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire, 2018). Les régions répondent, de manière cohérente, aux enjeux spécifiques qu’elles rencontrent sur leur territoire respectif, d’où la raison pour laquelle ces dernières lancent leur stratégie à échelle régionale en bioéconomie.

Un domaine propice à l’ouverture ?

Dans ce contexte, la région Hauts-de-France a lancé en 2018, une stratégie en faveur de la bioéconomie, avec l’adoption d’une feuille de route identifiant les actions prioritaires en recherche et développement. Cette stratégie implique une pluralité d’acteurs de la recherche, de l’industrie et du monde associatif, notamment dans les domaines des protéines végétales, de la chimie du végétal ou encore des matériaux biosourcés (Région Hauts-de-France, 2018).

Dans la mesure où la bioéconomie est un domaine favorable à des formes de collaboration ouverte (Duquenne, 2021) qui créent des conditions pour co-construire des savoirs entre le monde académique et celui des entreprises (Audoux et Gillet, 2011), comment les parties prenantes s’organisent-elles pour produire des savoirs dans ce domaine ? Comment est structuré le transfert des données, des informations et des connaissances ? Ces interrogations ont été le point de départ de ce projet de recherche. 

Ces questions se posent d’autant plus depuis que la science ouverte est devenue une préoccupation mondiale dans le monde de la recherche scientifique, encore exacerbée par la pandémie de la Covid-19 (Chartron, 2022).

Depuis 2018, la France mène une politique nationale en faveur de la science ouverte qui vise l’application de différents principes, dont l’intégrité, la transparence, l’accessibilité et la réutilisation des résultats de la recherche. L’ouverture des publications scientifiques et des données de la recherche est devenue une priorité majeure pour l’écosystème français de l’enseignement supérieur et de la recherche (Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, 2021).

Cette politique engage l’ensemble des établissements scientifiques publics et les organismes de recherche, elle concerne également une partie des recherches menées avec des acteurs privés dans la mesure où cette politique oblige l’ouverture des publications scientifiques et des données de la recherche financée sur fonds publics.

La finalité de cet article est double : il s’agit autant d'identifier les facteurs qui influencent les collaborations entre les parties prenantes impliquées en bioéconomie, que de comprendre comment ces acteurs de la recherche, de l’industrie, du transfert ou encore du monde l’exploitation s’organisent pour répondre aux principes de la science ouverte. 

Pour atteindre de tels objectifs, une étude de terrain a été menée pour analyser les modes de collaboration et de communication entre les parties prenantes de la bioéconomie sur la région Hauts-de-France.

Après un court état de l’art consacré à l’application des principes de la science ouverte dans le domaine du développement durable, la méthodologie et les résultats seront présentés. La discussion portera en partie sur les contours de la bioéconomie et la nécessité de nuancer l’ouverture des résultats en recherche et développement (R&D) dans ce domaine avant d’amorcer, en conclusion, une réflexion sur l’impact des stratégies informationnelles dans la mise en œuvre des principes de la science ouverte.

1. Science ouverte et bioéconomie

Les travaux de Mainar-Causapé et al. (2020) fournissent un premier aperçu des besoins d'accès à l'information en bioéconomie, en se concentrant essentiellement sur l’aspect économique. Les auteurs examinent la construction d’une base de données qui vise à évaluer l'impact de la bioéconomie dans les États membres de l'Union européenne. Cette étude illustre concrètement une volonté de maîtriser l'information et de la rendre accessible dans ce domaine.

Par ailleurs, la sphère académique reconnaît de plus en plus l’importance d’ouvrir les résultats de la recherche dans un domaine qui se révèle connexe à la bioéconomie : le développement durable (Ellison, 2010 ; Reichman et al., 2011 ; Poisot et al., 2015 ; Borregaard et Hart, 2016 ; Lowndes et al., 2017 ; Powers et Hampton, 2018 ; Tai et Robinson, 2018). Les interactions scientifiques, en la matière, font l’objet de déclarations comme celles relatives au partage et à l’ouverture des données de la recherche pour le développement durable (Kane et al., 2019), lesquelles proclament et définissent des objectifs partagés pour mettre en œuvre les principes de la science ouverte.

Une première analyse de l’application des principes de reproductibilité, de transparence et d’accessibilité des résultats de la recherche (publications scientifiques, données de la recherche) en écologie montre bien qu’il s’agit d’un domaine de recherche propice à l’ouverture (Hampton et al., 2015).

Plusieurs études scientométriques ont été réalisées pour évaluer le degré d’ouverture des publications scientifiques de 2015 et 2019 dans le domaine de la bioéconomie. Ces études ont été menées à différentes échelles et à partir de diverses bases de données documentaires telles que Scopus ou Web of Science (Duquenne et al., 2020 ; Duquenne et al., 2022 et Duquenne, 2023). Les résultats mettent en évidence une tendance à la hausse des publications scientifiques et à leur accessibilité lors de la période observée. Au niveau international, les taux augmentent de 31% à 52% (Duquenne et al., 2020), tandis qu’en France, cette hausse s’observe de 34% à 59% (Duquenne et al., 2022). De même au niveau des publications en lien avec des structures de recherche de la région Hauts-de-France, les taux augmentent de manière significative, passant de 27% à 61%. Ces premiers résultats témoignent des efforts déployés pour mettre en œuvre la science ouverte dans le domaine de la bioéconomie.

Dans le même temps, les lignes directrices des politiques internationales, européennes et nationales en matière de science ouverte soulignent la nécessité d’ouvrir les travaux relatifs au développement durable. À une plus grande échelle, la Recommandation de l’UNESCO sur une science ouverte (2021) annonce, dès son préambule, que la contribution de la science ouverte permettrait d’« accélérer les progrès en vue de réaliser les objectifs de développement durable (ODD) et de mettre en œuvre le Programme de développement durable à horizon 2030 » (p.2).

2. Méthodologie

1. Recensement des parties prenantes en bioéconomie

La première étape de la recherche consistait à identifier et à connaître le rôle et les missions des différents acteurs de la bioéconomie sur la région Hauts-de-France. Cette première étape fut longue, mais nécessaire, à l’approche de ce terrain de recherche. Pour la mener à bien, une étude sur Internet a été conduite pour identifier les projets de recherche menés en bioéconomie, avec leurs porteurs et partenaires, ainsi que d’autres résultats descriptifs. Plusieurs méthodes ont été mobilisées pour faciliter cette étape exploratoire de la recherche qui visait finalement à délimiter les contours de la bioéconomie.

L’utilisation d’une terminologie a été nécessaire pour identifier ce qui relève de la bioéconomie. Un lexique spécialisé a été produit en français et en anglais. Dans la mesure où la terminologie reste un construit (L’Homme, 2004), ces résultats ont demandé une vérification dans un dictionnaire spécialisé et une validation par des experts en bioéconomie. Ce lexique est disponible en annexe 1.

Pour orienter la collecte des données, un outil d’aide à la décision a été conçu pour définir différents critères de sélection : localisation en région Hauts-de-France, présence d’un discours orienté en bioéconomie et actions concrètes en cours ou terminées en recherche et développement en bioéconomie.

Deux jeux de données ont été produits sur les acteurs de la bioéconomie et sur les projets en recherche et développement. Les données relatives aux parties prenantes ont été capitalisées à travers un fichier tableur au format .csv pour garantir, en amont, un certain niveau d’interopérabilité. Les données ont été structurées en différentes variables (coordonnées géographiques, statut, domaine d’implication, lien URL) et en plusieurs feuilles selon la typologie produite (voir annexe 2). Les données recueillies sur les projets de recherche ont été référencées dans un second fichier tableur structuré selon différentes variables (nom du projet, partenaires, domaines de recherche, type de partenariat, description, URL, avancement du projet, programme de recherche, type de financement). Ce fichier a également été produit au format .csv.

2. Structurer le recensement des acteurs

Une typologie a été réalisée par le pôle de compétitivité Bioeconomy for Change (ex-IAR) dans le cadre d’un projet de portail numérique sur la bioéconomie pour la région Hauts-de-France (2020). Avec leur accord, il a été possible de réutiliser ce travail pour qualifier l’ensemble des parties prenantes.

La typologie est une méthode qui doit être considérée, pour reprendre les mots de Didier Demazière (2013) « comme une production intermédiaire plutôt que comme un résultat, comme une étape d’analyse plutôt que comme une forme finale ». Cette étape a permis d’assurer une certaine intelligibilité dans la présentation des résultats, en les structurant, selon des catégories qui décrivent les acteurs de la bioéconomie (voir annexe 2).

3. Analyser par la cartographie

La méthode de la cartographie a été privilégiée pour représenter et analyser le jeu de données produit sur les parties prenantes de la bioéconomie. Cette technique permet de donner une représentation des phénomènes parfois complexes d’un territoire et contribue à la structuration et à la dynamique spatiale de ce dernier (Zanin et Lambert, 2012).

L’outil Umap a été choisi pour représenter les acteurs de la bioéconomie de la région Hauts-de-France. Ce logiciel de cartographie en ligne, qui plus est open source, permet de créer des cartes interactives en accès libre sur Internet. L’utilisation des repères géographiques répond à plusieurs volontés : celle d’identifier les catégories d’acteurs à partir d’une palette colorimétrique (figure 1), sans qu’il n’y ait un ordre de présentation significatif pour ces catégories, et celle de situer précisément, à l’aide des repères sous forme de point, la position géographique et de matérialiser la répartition spatiale des acteurs sur le territoire des Hauts-de-France.

Figure 1. Légende de la cartographie des acteurs de la bioéconomie

 

Pour finir, la possibilité d’interagir avec la carte donne au lecteur la possibilité d’accéder à l’ensemble des données recueillies sur les parties prenantes de la bioéconomie. La figure 2 illustre cette fonctionnalité en prenant comme exemple “TEAM2”. Identifié comme « réseaux et organisations socioéconomiques », il s’agit d’un pôle de compétitivité dans le domaine de l’économie circulaire. Dans une fenêtre popup, différentes informations sont disponibles, dont un lien en surbrillance qui donne accès au site Internet de cet acteur.

Figure 2. Cartographie et fenêtre popup d’informations de l’acteur

 

Cette première étape de la recherche, relativement exploratoire, a permis d’étudier les dynamiques territoriales en bioéconomie sur la région Hauts-de-France, mais surtout, d’amorcer l’enquête de terrain auprès des porteurs de projets.

4. Enquête par entretien

L’enquête par entretien semi-directif est une méthode privilégiée pour appréhender les discours et les pratiques des parties prenantes en matière de dissémination et d’accès à l’information. La démarche semi-directive offre davantage d’ouverture dans le recueil des résultats auprès des personnes interrogées.

Un premier échantillon a été constitué de six porteurs de projet identifiés sur le portail web de la bioéconomie de la région Hauts-de-France. Ces entretiens avaient vocation exploratoire et ont permis de vérifier la pertinence des questions posées par le guide d’entretien.

Le guide d’entretien est un outil évolutif tout au long de l’enquête qui a servi d’appui dans les échanges pour orienter les interlocuteurs à s’exprimer sur des sujets d’intérêt identifiés pour répondre aux objectifs de la recherche. Le guide d’entretien se compose en trente-cinq questions relativement ouvertes structurées en sept thématiques. Différents aspects sont abordés comme les modes de collaboration et de communication en réseau ou encore, les enjeux autour de la diffusion et de l’accès aux résultats scientifiques en bioéconomie.

Après avoir réalisé une première analyse thématique des entretiens exploratoires (N=6), la teneur des échanges a justifié leur inclusion dans le corpus global de l’étude se composant alors de vingt-deux entretiens.

Pour constituer la seconde partie du corpus (N=16), plus de cent vingt porteurs de projet concernés par des problématiques en lien la bioéconomie ont été contactés par mail pour participer à l’enquête.

Seize porteurs de projet ont répondu favorablement et se sont exprimés lors d’un entretien sur les moyens mobilisés pour diffuser et accéder à l’information scientifique et technique dans le domaine de la bioéconomie. Tous les entretiens ont eu lieu à distance, car à ce moment-là les conditions sanitaires ne permettaient pas de rencontrer physiquement les personnes interrogées. 

Un code alphanumérique de quatre caractères a été attribué à chaque transcription pour identifier correctement, dans l’analyse, les propos des interviewés. Ce code comprend la catégorie d’acteurs (AC pour académique ; AS pour association ; EN pour entreprise ; IN pour institutionnel) et un nombre à deux chiffres pour distinguer les personnes interrogées.

5. Traitement et analyse des entretiens

Les entretiens ont été enregistrés avec l’accord des participants pour être retranscrits dans leur intégralité à travers l’outil en ligne Otranscribe. Cette application en ligne est gratuite et ne demande pas d’inscription. Son interface et ses fonctionnalités permettent de faciliter la retranscription en donnant la possibilité de maîtriser la vitesse de lecteur et par conséquent, d’adapter la vitesse de frappe.

Puis, les entretiens ont été nettoyés, d’abord des informations personnelles ou identifiables pour respecter le principe d’anonymat. Puis, des hésitations, des répétitions ou encore des erreurs grammaticales relevées faciliter la compréhension lors de l’analyse et garantir la qualité des données.

L’analyse des entretiens a été réalisée à travers une grille structurée en trois colonnes (verbatim, analyse sémantique, interprétation) qui décompose la phase d’analyse. La première colonne rassemble tous les extraits de transcription collectés lors d’une préanalyse thématique. La seconde colonne repose sur l’analyse sémantique qui consiste à établir le sens des propos rapportés dans les verbatims en analysant finement les expressions, le contexte et en quantifiant les réponses selon les publics interrogés. La troisième colonne repose sur l’interprétation des résultats, les données sont recoupées entre elles pour identifier les convergences et les divergences dans les discours.

Cette analyse s’inscrit dans un cadre info-communicationnel et, plus en particulier, celui des pratiques informationnelles qui consiste à analyser “la manière dont l’ensemble des dispositifs (...), des sources (...), des compétences cognitives et habiletés informationnelles sont effectivement mobilisées dans les différentes situations de production, de recherche et de traitement de l’information” (Ihadjadene et Chaudiron, 2009). Ici, les entretiens ont été examinés en vue d’analyser les moyens et les pratiques des porteurs de projets en situation de partage et d’accès à l’information scientifique et technique en bioéconomie.

3. Résultats

1. Les recherches en bioéconomie

La bioéconomie est un sujet porteur qui « a été approprié que récemment » (AS03) dans le monde de la recherche. Dans les entretiens, peu d’acteurs mobilisent explicitement le concept de bioéconomie pour présenter leurs travaux. Certains expliquent que « l'aspect bioéconomie peut être loin dès lors que les recherches sont fondamentales ou que l’on est très en amont » (AC08).

Une chercheure explique qu’« il y a encore des scientifiques qui ne savent pas vraiment ce que ça veut dire la bioéconomie » (AC09). Cependant, la plupart des parties prenantes utilisent d’autres vocables associés, tels que “biomasse”, “bioressource” ou encore “biosourcé”. Mais encore une fois, il existe « énormément de confusion aujourd'hui pour définir le mot matériaux biosourcés » (EN03).

Les entretiens permettent également de constater des ambiguïtés conceptuelles dans la définition des objets de recherches en bioéconomie : « les biopesticides, nous, on préfère les appeler agents biocontrôles parce qu'il n'y a pas le côté “cides” justement que l'on retrouve dans les pesticides » (AC07).

Les personnes interrogées, dont les industriels s’entendent pour dire qu’il est nécessaire de faire « un grand effort de communication pour que nous puissions tous parler le même langage et nous comprendre » (EN02).

2. Acteurs de la bioéconomie

Le recensement a permis d’identifier plus de quatre-cents parties prenantes dans le domaine de la bioéconomie. Le tableau 1 confirme la présence d’une pluralité d’acteurs de l’administration publique, de l’industrie, de la formation, de la recherche, du transfert, du monde de l’exploitation agricole. Les résultats ont été présentés par ordre croissant pour mettre en évidence la part importante des catégories d’acteurs.

Qu’en ressort-il en première analyse ? On peut d’abord constater une forte présence des administrations et des collectivités territoriales, laquelle s’explique par un recensement large des entités publiques impliquées de près ou de loin dans des démarches de transition écologique.

Sans surprise, les industriels et les sociétés de service sont fortement impliqués dans le domaine de la bioéconomie sur la région Hauts-de-France, où ce secteur représente 22% sur l’ensemble des parties prenantes de la bioéconomie.

Un grand nombre d’établissements secondaires, mais également, d’enseignement supérieur dispensent des formations à vocation bioéconomique. Ce résultat pourrait être mis en perspective avec le nombre total d’établissements de la région pour avoir une meilleure représentativité des formations en lien avec la bioéconomie sur le territoire.

Les acteurs de la recherche, tels que les laboratoires ou les organismes de recherche, représentent 13,7% de l’ensemble des acteurs de la bioéconomie.

Enfin, les réseaux et organisations socioéconomiques sont actifs dans le développement de la bioéconomie sur le territoire, rejoints en cela par d’autres acteurs plus périphériques, comme des agences de consulting, des structures de transfert technologique ou encore, des instituts financiers qui se déclarent pleinement engagés dans la bioéconomie.

Tableau 1. Acteurs recensés en bioéconomie sur la région Hauts-de-France (N=416)

 

La figure 3 donne à voir une répartition spatiale des acteurs de la bioéconomie sur la région Hauts-de-France. La répartition des repères est très variable sur tout le territoire, mais deux zones de convergence semblent se dessiner autour de Lille et Amiens. La figure 4 permet de peaufiner ce résultat.

 

Figure 3. Cartographie des acteurs de la bioéconomie sur la région Hauts-de-France

La figure 4 offre une représentation thermique de la concentration des acteurs sur le territoire des Hauts-de-France. On observe alors trois niveaux de concentration : une concentration très accentuée autour des métropoles de Lille et d’Amiens, une concentration modérée autour des agglomérations et un éparpillement sur le reste de la région.

Figure 4. Carte thermique de la répartition spatiale des acteurs en bioéconomie sur la région Hauts-de-France

3. Collaborations interorganisationnelles

Certaines parties prenantes, comme les pôles de compétitivité ou encore les associations ou les structures de transfert, ont une place importante dans les collaborations et sont à l’interface entre « le pouvoir public, les agriculteurs, les chercheurs et d’autres entreprises du territoire pour faciliter l’ancrage des projets sur le territoire » (AS02). Le fait d’ « associer le monde industriel avec le monde agricole et le monde de la recherche est tout simplement une source de développement économique qui est énorme pour la région” (AS03).

En tant qu’intermédiaires, en particulier entre le monde de la recherche, l’industrie et le monde de l’exploitation agricole, leurs missions recouvrent : la gestion de l’information, parfois en mettant à disposition « un espace, comme un intranet, pour stocker toutes les données » (AC02) ; la transmission de l’information, c’est-à-dire « une vulgarisation à la fois des messages et des résultats de la recherche académique pour pouvoir les adapter et les utiliser dans le quotidien de l’agriculteur » (AS02), mais aussi la traduction de l’information « pour comprendre ce que chacun émet derrière et de pouvoir trouver une définition commune qui convienne aux différentes parties » (AS02).

Au demeurant, les entretiens montrent bien que les collaborations impliquent une pluralité d’acteurs et ont de multiples origines.

4. La proximité

La question de la proximité peut être un facteur déterminant pour encourager la collaboration avec d'autres acteurs sur un territoire. Cette proximité peut s'exprimer à différents niveaux, que ce soit géographiquement, en termes de compétences interdisciplinaires qu’elles soient techniques ou intellectuelles ou encore au niveau d'une thématique donnée.

Pour certains, les collaborations reposent sur la proximité géographique des acteurs autour d’une matière première « dans les partenariats, il y a des raisons de proximité autour de la matière première. Nous, on travaille essentiellement avec le lin et le chanvre par exemple […] on travaille surtout avec des gens qui sont dans la chaîne de valeur du lin » (AC02).

Toutefois, la proximité géographique ne joue pas nécessairement un rôle dans les collaborations entre les acteurs : « C’est important d'avoir un ancrage qui permet, quand ça s'y prête, d'établir ces collaborations-là. L’aspect collaboration pour moi il est vraiment défini parce qu'il y a dans l'aspect scientifique du projet. Si les meilleures compétences sont présentes sur la région Hauts-de-France, c’est très bien. En revanche, si c'est à l'échelon national ou à l'échelon international, on ne se freine pas car ces types de collaborations permettent de compléter nos approches scientifiques et d’ouvrir sur d'autres champs thématiques » (AC09). Ce verbatim met en évidence l’importance d’établir les partenariats selon la pertinence scientifique et la compatibilité interdisciplinaires des chercheurs dans les projets de recherche, plutôt que de se limiter à la proximité géographique.

Dans le cadre des projets collaboratifs impliquant des acteurs privés, il est également nécessaire de bénéficier des compétences extérieures : pour un centre technique dédié au transfert industriel « Dans les projets collaboratifs, […] il y a une obligation à avoir un partenaire académique. Ils ont plus de moyens, ils ont plus de temps pour faire la recherche fondamentale » (AS02) ; pour une coopérative d’agriculteurs « Ce projet, c’était pour nous la grande force, puisque nous, notre métier premier, ce n’est pas la recherche, ce n’est pas le bâtiment, donc voilà, il fallait aller chercher une compétence ailleurs.” (AS01).

Néanmoins, les collaborations entre les acteurs académiques et l’industrie dépendent du niveau de maturité du projet en matière de recherche et développement : « En revanche, si c'est un projet avancé dans la partie recherche et développement, là, on passe sur des partenaires industriels. Cela dépend du degré de maturité du projet » (EN02). Pour définir le niveau de maturité d’un projet, ce dernier peut être classifié « en fonction de l’échelle de TRL ». L’échelle Technology Readliness Level (TRL) est un système de mesure qui catégorie les projets de recherche et permet de « déterminer le besoin d’une collaboration académique pour débroussailler l'amont » (AC02). Cette échelle affecte l’ouverture des résultats, car elle est « très importante par rapport à la communication et la dissémination des résultats. En effet, il est possible que dans certains projets, on ne puisse absolument pas disséminer pour des raisons de confidentialité » (AC02). Dans ce cas, le chercheur fait le choix de « répondre à des choses où clairement, dès le départ, c'est annoncé, où l'on sait que l'on ne va pas publier » (AC13).

Pour finir, les thématiques peuvent favoriser une proximité entre les acteurs et ainsi susciter des collaborations, telles que « la méthanisation (qui) est apparue comme une évidence car on a reçu vraiment beaucoup de demandes autour de nous, en région » (AC13) ou encore, l’Arabidopsis thaliana qui « est une plante de laboratoire. Elle nous permet de travailler avec n'importe qui » (AC09). Finalement, pour le chercheur, le fait de « se positionner sur la thématique, c’est rendre un service au territoire, parce que ça fait aussi parti de nos missions » (AC13).

Bien qu’il existe différentes raisons de générer des collaborations, comment les parties prenantes s’organisent pour gérer l’information en bioéconomie ?

5. Partager l’information en bioéconomie

L’analyse des entretiens permet d’analyser les méthodes et les dispositifs de partage d’informations entre les parties prenantes de la bioéconomie.

Le projet de recherche constitue un dispositif privilégié pour faciliter le partage d’informations, c’est : “un mode d'organisation de projet classique, un suivi de projet classique dans lequel on mettait en relation tous nos résultats” (AC02).

Dans certains projets de recherche, des dispositifs info-communicationnels sont mis en place, notamment par les financeurs, pour diffuser et évaluer la production scientifique : « dès que j'ai une publication je la mets sur le site parce qu'elle fait partie de mes indicateurs » (AC07).

Les personnes interrogées sont d’accord pour dire qu’ils ne rencontrent pas d’obstacle majeur à la transmission d’informations entre les partenaires : « On est une sur base de réflexion, de raisonnement, d'échange entre chercheurs, même entre chercheurs industriels. Il y a des industriels qui sont quand même assez ouvert. » (AC01).

Pourtant, les intérêts autour du partage de l’information en bioéconomie peuvent être divergents, notamment lorsque le partenariat engage différentes parties prenantes avec des motivations spécifiques. Pour le chercheur, « c'est la possibilité de publier des résultats […] et ce qu'on peut apporter, ce sont des connaissances supplémentaires » (AC12). Pour l’industriel, « ce qu’il veut c'est avoir de la connaissance pour développer un procédé pour derrière pouvoir le vendre » (EN02) et pour l’exploitant agricole, l’enjeu est de « montrer tout le sérieux du produit, que les évaluations ont bien été réalisées parce que ce sera un argument de vente » (AS01). Ces extraits d’entretien montrent les motivations spécifiques de chaque partie prenante et mettent en évidence les attentes des acteurs du processus de collaboration.

Souvent, les conditions de partage de l’information s’établissent « dès le début, avec un accord de consortium » où les parties prenantes se structurent autour d’« un organe centralisateur ou décisionnaire qui peut être soit une assemblée générale, soit un comité de direction. Ces entités sont là pour regarder l'adéquation et le respect par les partenaires des engagements et des accords de consortium qui contiennent ça » (AC02).

Ces accords permettent surtout de savoir « comment partager la propriété intellectuelle et la valorisation des résultats ». Les chercheurs comprennent la nécessité de ces accords : « quand vous travaillez avec des acteurs socioéconomiques dont c'est leur gagne-pain de vendre du matériel ou des procédés, oui, il faut bien comprendre que l'on ne peut pas tout mettre sur la place publique » (AC13).

6. Stratégies d’ouverture et enjeux sur le territoire

L’ouverture totale des résultats scientifiques produits dans le cadre d’un partenariat entre le privé et le public n’est pas forcément envisageable, car “tout ouvrir, cela peut être contre-productif pour le développement de la bioéconomie en région. Le souci, c’est qu’il peut y avoir quelque chose de vraiment original qui puisse servir à un industriel dans le sens où cela peut produire un développement économique dans la région” (EN02).

Concernant le processus de publication, « pour le chercheur, c’est du stress d'une certaine manière [...] en fonction de ce qu'on va évoquer et divulguer dans la communauté scientifique, il y a tout un travail en amont de vérification, de validation. Cela prend du temps et ça contraint le processus de communication qui quelquefois nous fait passer un peu plus de temps » (AC15).

Comme l’explique un industriel, « la négociation, elle se situe sur le timing parce qu'en fonction de si on veut breveter ce qu'on est en train de développer ou pas, ça va changer un peu les rapports » (EN02). La question qui se pose est « quelle partie de la connaissance nous laissons ouverte et quelle partie de la connaissance nous souhaitons fermer » (EN02).

Pour l’ensemble des parties prenantes, il est possible de « communiquer efficacement sur des résultats sans exposer la recette, le secret d'un procédé » (EN03). Ce qui peut être mis en avant dans une publication, « ce n'est pas une recette, mais plutôt l'incidence d'une modification des proportions ou encore sur le comportement du produit que l'on souhaite développer” (AC15).

4. Discussion

1. Les contours de la bioéconomie

Les cartographies produites à partir des données sur les acteurs de la bioéconomie offrent différents niveaux de représentations de la répartition spatiale des activités sur le territoire administratif des Hauts-de-France. La représentation thermique (figure 4) permet de voir autrement la densité des acteurs et propose une visualisation plus directe des concentrations et des variations. Ce résultat est un point de départ pour mieux identifier les facteurs qui influencent le développement des activités en recherche et développement dans le domaine de la bioéconomie sur la région Hauts-de-France. Toutefois, la question de la proximité peut être abordée sous différents aspects et donne déjà des premiers éléments de réponse sur les facteurs qui influencent les collaborations entre les acteurs privés et les acteurs publics.

Il est difficile d’évaluer efficacement dans les bases de données documentaires la production scientifique en bioéconomie en raison de la grande variété des disciplines scientifiques (Duquenne et al., 2020 ; Duquenne et al., 2022, Duquenne, 2023). Par ailleurs, les entretiens apportent deux éléments d’explication à cette limite : le terme bioéconomie n’est pas systématiquement utilisé dans les publications scientifiques et sa signification reste encore floue, même pour la communauté scientifique.

L’ampleur du domaine rend la tâche d’identification des parties prenantes et des activités de recherche et développement en bioéconomie non exhaustive. Dans la mesure où la bioéconomie doit être considérée plutôt comme un paradigme qu’un domaine de recherche, il est nécessaire de mettre en œuvre d’autres approches pour délimiter les contours de ce terrain de recherche.

2. Les territoires de la bioéconomie

Le terrain de la région Hauts-de-France peut être considéré comme l’un des territoires de référence dans le contexte de la bioéconomie, en particulier dans le cadre de la stratégie nationale mise en place par l’État français. Toutefois, il est important de reconnaître que le terrain de cette recherche ne se limite pas aux frontières administratives de la région. Les collaborations dépassent souvent les frontières régionales (Duquenne, 2023) et les entretiens montrent bien que les enjeux de la bioéconomie encouragent les parties prenantes à aller au-delà des limites géographiques de la région. Ces dynamiques laissent place à des territoires informationnels où les dispositifs d’information semblent jouer un rôle essentiel dans la gestion et le transfert des résultats de la recherche menées sur la région Hauts-de-France. Bien que la problématique initiale de cette recherche doctorale ne soit pas spécifiquement axée sur la question des territoires de la bioéconomie, il convient de reconnaître que ces territoires mériteraient d’être définis, questionnés et cartographiés dans de futures réflexions.

3. Collaborations ouvertes

La coordination est possible entre le secteur privé et le secteur public dans le domaine de la bioéconomie. La recherche partenariale peut être définie comme un processus qui « se construit au travers de plusieurs épreuves : celles de la traduction des identités, de la reconnaissance des intérêts, de la légitimité, de la capacité à mobiliser d’autres acteurs et du référentiel épistémique de chacun » (Audoux et Gillet, 2011). La négociation de l’information est une autre étape importante de ce processus, lequel recommande une certaine efficience dans la gestion, le transfert et la traduction des connaissances entre les catégories d’acteurs de la recherche, de l’industrie et du monde de l’exploitation agricole.

Le partage de l’information est un enjeu central dès la mise en collaboration entre les partenaires d’un même projet de recherche en bioéconomie. Les accords de consortium veillent à définir et à structurer les intérêts de chaque partie sur le partage des connaissances scientifiques et techniques. Au demeurant, ces accords pourraient paradoxalement contrarier le partage des résultats en bioéconomie en ajoutant de nouvelles étapes de vérification au processus de publication scientifique.

4. Ouvrir autant que possible, fermer autant que nécessaire

L'ouverture des données, des méthodes ou encore des protocoles de recherche en bioéconomie opère au gré des intérêts des partenaires pour un partage d’information. Par ailleurs, les pratiques révèlent des injonctions contradictoires (Dillaerts, 2017) entre ouverture et valorisation des connaissances. Les initiatives de recherche et développement dans le domaine de la bioéconomie reflètent un désir de renforcer les liens entre le milieu académique et le monde de l’industrie en adoptant une approche de “créativité collective” » (Chartron, 2018). Cette approche mise sur une ouverture accrue en termes de partage des connaissances, des compétences et des résultats, soit la promotion d’une approche ouverte en termes d’innovation (Chesbrough, 2003) dans le domaine de la bioéconomie.  

Les résultats montrent que l'accès aux résultats de la recherche et du développement en bioéconomie est principalement influencé par la protection de la propriété intellectuelle, ce qui peut avoir un impact sur la qualité des informations partagées dans les publications scientifiques. Cela englobe les méthodes et les données utilisées et les conclusions tirées de la recherche. En conséquence, les chercheurs se voient contraints de mettre en place des stratégies dans la publication de leurs résultats, ce qui peut rendre leur recherche moins transparente et moins reproductible en réponse aux intérêts des partenaires industriels.

Conclusion

L’enjeu de cet article était double : identifier les facteurs qui influencent les collaborations entre les acteurs privés et publics en bioéconomie et analyser le partage d’informations entre les parties prenantes impliquées.

La question de l’accessibilité aux recherches en bioéconomie est pertinente dans la mesure où l’ensemble de la société commence à s’interroger sur les effets et les conséquences écologiques de nouvelles crises mondiales.

Dès le début et tout au long du projet, des enjeux informationnels sont décelés autour du partage des résultats de la recherche et du développement entre les partenaires privés et publics. La présence d’acteurs intermédiaires en amont et en aval du processus de recherche est observée et semble nécessaire pour conduire les partenariats, mais surtout, pour valoriser l’information scientifique en bioéconomie.

L’enquête révèle que la mise en œuvre de la science ouverte doit se faire de façon nuancée en bioéconomie pour assurer le développement de la stratégie régionale des Hauts-de-France en bioéconomie. Le fait de ne pas exposer « la recette » permet d’assurer un certain niveau de fermeture nécessaire pour garantir le secret industriel mais occulte, conséquemment, la manière dont les résultats de la recherche ont été produits. Les principes de transparence et de reproductibilité de la science ouverte s’en trouvent donc contrariés.

L’appui d’un professionnel de l’information permettrait de répondre plus concrètement aux nouvelles exigences des financeurs publics sur l’ouverture des publications et des données de la recherche. Il permettrait aussi d’assurer, dans le respect des intérêts des partenaires du projet, la pérennité et l’accessibilité sur le long terme des résultats partagés en contexte de recherche et développement.

Dans son ensemble, cette recherche doctorale met en œuvre une approche composite. En plus des entretiens mobilisés dans cet article, des études scientométriques ont été réalisées pour mesurer l’ouverture des publications scientifiques dans différentes bases de données documentaires (Duquenne et al., 2020 ; Duquenne et al., 2022 ; Duquenne, 2023). Une analyse transversale des résultats qualitatifs et quantitatifs est en cours et interroge à la fois les pratiques de publication et d’accès à l’information, mais aussi, la réalité sur l’accès aux publications partagées. Finalement, cette approche composite, couplée à la granularité du terrain, pourrait être un atout pour appréhender plus concrètement les enjeux de gestion et de partage de l’information scientifique et technique dans le domaine de la bioéconomie.

Remerciements

Cette recherche doctorale est financée par le projet RECABIO du Programme Gradué de l’I-Site « Science pour une planète en mutation » qui est soutenu par le gouvernement français à travers le Programme d'Investissements d'Avenir (I-SITE ULNE / ANR-16-IDEX-0004 ULNE) géré par l'Agence Nationale de la Recherche.

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Annexes

Annexe 1. Liste de termes relatifs à la bioéconomie

 

Annexe 2. Grille typologie des acteurs du domaine de la bioéconomie

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