N°3 / Bricolages, improvisations et résilience organisationnelle face aux risques informationnels et communicationnels

Introduction : bricolages, improvisations et résilience organisationnelle face aux risques informationnels et communicationnels

Sylvie Grosjean, Christian Marcon, Dominique Maurel

Résumé

Les organisations sont complexes, fortement technologisées, et évoluent dans un environnement de plus en plus turbulent, ce qui tend à les rendre vulnérables. Dans un tel contexte, des auteurs ont notamment abordé la question des risques communicationnels et informationnels encourus par les organisations (Moinet, 2014; Sauvajol-Rialland, 2014; Bouzon, 2001; Bonneville et Grosjean, 2007). Ces risques renvoient à une ambigüité, équivocité générées par l’usage de données numérique, à la perte de contrôle de l’information dans les organisations (surcharge informationnelle) ou aux risques de désorganisation des collectifs (problèmes de coordination des actions, de collaborations, etc.). Par exemple, dans le contexte du travail en réseau, les acteurs font reposer la coordination de leurs actions sur de nouveaux modes de communication ayant un recours massif aux données numériques, à l’utilisation de systèmes d’information, etc. Or, malgré toutes les précautions techniques et tentatives de mieux contrôler l’information qui circule, de permettre une meilleure communication, de nombreux chercheurs décrivent les TIC comme des agents ambigus, capables de modifier très profondément notre rapport à autrui et au support, à l’écriture, à la lecture, à l’espace et au temps (Borzeix et Fraenkel, 2005). En effet, l’introduction de diverses technologies telles que les Workflows, ERP et autres accentuent la plurisémioticité (Lacoste, 2005) et l’imbrication des formes langagières et des supports : mélange de langage oral, d’écrits, d’images, de chiffres, de codes, de tableaux, etc. Les jargons de métiers, les langages d’experts ou de spécialistes se côtoient, se chevauchent, s’interpénètrent et peuvent parfois générer de la confusion, voire des erreurs de manipulations, autrement dit rendre vulnérable ces nouvelles formes d’organisation et les confronter à un nouveau type de risques : les risques communicationnels.

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Les organisations sont complexes, fortement technologisées, et évoluent dans un environnement de plus en plus turbulent, ce qui tend à les rendre vulnérables. Dans un tel contexte, des auteurs ont notamment abordé la question des risques communicationnels et informationnels encourus par les organisations (Moinet, 2014; Sauvajol-Rialland, 2014; Bouzon, 2001; Bonneville et Grosjean, 2007). Ces risques renvoient à une ambigüité, équivocité générées par l’usage de données numérique, à la perte de contrôle de l’information dans les organisations (surcharge informationnelle) ou aux risques de désorganisation des collectifs (problèmes de coordination des actions, de collaborations, etc.). Par exemple, dans le contexte du travail en réseau, les acteurs font reposer la coordination de leurs actions sur de nouveaux modes de communication ayant un recours massif aux données numériques, à l’utilisation de systèmes d’information, etc. Or, malgré toutes les précautions techniques et tentatives de mieux contrôler l’information qui circule, de permettre une meilleure communication, de nombreux chercheurs décrivent les TIC comme des agents ambigus, capables de modifier très profondément notre rapport à autrui et au support, à l’écriture, à la lecture, à l’espace et au temps (Borzeix et Fraenkel, 2005). En effet, l’introduction de diverses technologies telles que les Workflows, ERP et autres accentuent la plurisémioticité (Lacoste, 2005) et l’imbrication des formes langagières et des supports : mélange de langage oral, d’écrits, d’images, de chiffres, de codes, de tableaux, etc. Les jargons de métiers, les langages d’experts ou de spécialistes se côtoient, se chevauchent, s’interpénètrent et peuvent parfois générer de la confusion, voire des erreurs de manipulations, autrement dit rendre vulnérable ces nouvelles formes d’organisation et les confronter à un nouveau type de risques : les risques communicationnels. 

De plus, le recours à l’utilisation d’écrans et de médiations informatiques dans les organisations s’accompagne indéniablement d’une intellectualisation du travail, d’une distance croissante aux choses, d’un tournant symbolique, qui comme le souligne Lacoste (2005) tend à substituer l’intervention sur les signes à la manipulation directe. Ainsi, avec l’introduction des TIC, la communication dans les organisations « s’incarne dans une pluralité de modalités sémiotiques complémentaires : gestes et actes, graphiques et images, paroles et écrits » (Lacoste, 2005, p.30). L’écriture, qui a toujours été présente dans les organisations, revêt aujourd’hui des formes multiples (formulaires électroniques, espaces de partage de données, etc.) et il est indéniable que la présence de technologies tels que les écrans de contrôle et autres tendent à modifier l’environnement de travail. En effet, les objets matériels ne sont plus présents, plus visibles en tant que tels. Ils sont objets de représentations, de symbolisations sous la forme de textes écrits sur des écrans, sous forme d’imageries numériques, de tableaux, de diagrammes (pensons aux opérateurs de salles de contrôle, aux contrôleurs aériens, etc.). Par ailleurs, tout en modifiant l’environnement de travail, les TIC ont aussi permis une numérisation de l’information. En effet, les données numériques se présentent sous la forme d’un « ensemble d’impulsions électromagnétiques, immatérielles, fuyantes, et caractérisées par leur aptitude à disparaître sans laisser de trace (pour être éventuellement remplacées par d’autres, toujours sans trace de la substitution) » (Caprioli et Sorieul, 1997, p.383). Néanmoins la numérisation des données offre de nombreux avantages, parmi lesquels la rapidité, la souplesse et la facilité d’accès. Ainsi, nous assistons depuis de nombreuses années au sein des organisations à l’affranchissement de l’information de son support-papier. Or, cette information reçoit par sa numérisation une ubiquité permettant d’y avoir accès en différents temps et lieux. Ainsi, l’ubiquité numérique reconfigure totalement nos possibilités d’accès à l’information (Bachimont, 1999), tout en faisant apparaître de nouvelles problématiques (perte de sens, perte de confiance, perte de contrôle, etc.). Le recours à l’information numérique peut générer un état d’insécurité associé aux données numériques (Bonneville et Grosjean, 2007), et confronter les individus (devant travailler à partir de celles-ci) à l’équivocité (Weick, 2001), autrement dit « à la présence d’interprétations multiples pour une même situation » (Allard-Poesi, 2003, p.99).

Ajoutons à ceci que la réseautification des organisations rend nécessaire la mise à disposition et en circulation de l’information. Celle-ci demeure ainsi la matrice fondamentale qui rend justement possible le travail en réseau, le travail à distance et la coordination des actions. D’un côté l’information permet une certaine fluidification des communications, de l’autre cette fluidification des communications entraine souvent une « congestion » du fait de la sur-utilisation, ou mauvaise utilisation, de l’information en tant que telle (Lalhou, 2000, 2002). Par exemple, Helmersen et al., (2001) distinguent « la surcharge informationnelle » de la « surcharge communicationnelle ». La surcharge informationnelle renvoie aux difficultés qu’un individu rencontre pour traiter un volume important d’informations, pour les localiser, les récupérer, les stocker, les retrouver, les vérifier et filtrer celles qui sont importantes, les comprendre, les intégrer et réagir au contenu. Quant à la surcharge communicationnelle, elle renvoie aux difficultés rencontrées par un individu du fait d’un excès de sollicitations de la part de son entourage et de ses différents interlocuteurs; ceci exigeant de lui une disponibilité immédiate. La juxtaposition de ces deux phénomènes peut littéralement épuiser ceux qui en font l’expérience continuellement, les amener à la perception très déstabilisante d’une perte de contrôle et du sens de leur activité (Vacherand-Revel, 2007). L’impact de ces deux types de surcharges se multiplie donc dans les organisations, du fait de l’omniprésence des tâches et des procédures que les « travailleurs du savoir » - « knowledge workers » doivent accomplir quotidiennement, en se servant des dispositifs numériques en tant qu’outils de travail qui ne cessent d’évoluer.   

Ainsi, nos organisations sont soumises à de multiples risques communicationnels et informationnels qui tendent à les déstabiliser, à leur faire perdre le contrôle, autant de situations qui peuvent les conduire à la désorganisation, à l’effondrement et qui les rendent de plus en plus vulnérables.

Le présent numéro entend apporter des éclairages sur les voies de la résilience des organisations. Parmi les questions soumises à réflexion :

  • Comment les organisations réagissent-elles face à ces risques communicationnels et informationnels ?
  • Comment font-elles pour réduire l’équivocité, la perte de sens et ainsi limiter leur vulnérabilité ?
  • Comment les collectifs de travail s’organisent-ils pour réagir et maintenir ainsi une forme de fiabilité et pérennité organisationnelle dans ce contexte de surcharge informationnelle et communicationnelle ?

Nous avons pensé qu’il était pertinent de mieux saisir les modes d’expression de ces risques au sein des organisations, d’en identifier l’impact sur la fiabilité des organisations, mais aussi de comprendre « les bricolages » (Weick, 2001) mis en œuvre par les acteurs organisationnels afin d’assurer la fiabilité et la pérennité de leur organisation, d’en réduire la vulnérabilité et de les rendre ainsi plus résilientes (Vogus et Sutcliffe, 2007; Vogus, 2011).

L’accent de ce numéro a été mis sur des études empiriques, des études de terrain qui nous plongeront au cœur de l’organisation afin de saisir et comprendre les processus par lesquels les organisations improvisent, bricolent des stratégies afin d’être moins vulnérables aux risques informationnels et communicationnels et ainsi devenir (peut-être) plus résilientes.

Références cités

Allard-Poesi, f. (2003). « Sens collectif et construction collective du sens », in le sens de l’action (coordonné par b. Vidaillet), vuibert, paris, p. 91-112.

Bachimont, B. (1999). « Du texte à l’hypotexte : les parcours de la mémoire documentaire », in Lenay C., Havelange, V., technologies, idéologies, pratiques. Mémoire de la technique et techniques de la mémoire, p. 195-225

Bonneville, L., Grosjean, S. (2007). « Quand l’insécurité numérique fait figure de résistance au changement organisationnel », in actes du colloque de l’insécurité numérique à la vulnérabilité de la société, congrès du centre de coordination pour la recherche et l'enseignement en informatique et société (CREIS), Paris, France, p. 139-152.

Borzeix, A., Fraenkel, B. (2005). Langage et travail. Communication, cognition, action, CNRS éditions, Paris.

Bouzon, A. (2001). « Risques et communication dans les organisations contemporaines », communication&organisation, n°20, p. 27-46.

Helmersen, P., Jalalian, A., Moran, G., Norman, F. (2001). Impacts of information overload, (report p947), EURESCOM.

Lacoste, M. (2005). « Peut-on travailler sans communiquer ? », in Borzeix, A., Fraenkel, B., langage et travail. Communication, cognition, action, Paris, CNRS éditions, p. 21-54.

Lahlou, C. (2002). « Travail de bureau et débordement cognitif », in Jourdan I.M. et Theureau J. (eds.), Charge mentale : notion floue et vrai problème, Toulouse, Octarès, p. 73-91.

Lahlou, S. (2000). « Attracteurs cognitifs et travail de bureau », Intellectica, 2000/1, 30, p.75-113.

Moinet, N. (2014). Les risques informationnels, d’une vision statique à une conception dynamique, Documentaliste-sciences de l’information, 2014/3, Vol.51, p. 44-46.

Sauvajol-Rialland, Caroline (2014). Infobésité, gros risques et vrais remèdes, l’expansion management review, 2014/1, n.152, p. 110-118.

Vacherand-Revel, J. (2007). « Enjeux de la médiatisation du travail coopératif distribué dans les équipes de projets de conception », pistes, vol.9, n°2, p. 1-17.

Vogus T.J., Sutcliffe K.M. (2007). Organizational resilience: towards a theory and research agenda, IEEE, p. 3418- 3422.

Vogus, T.J. (2011). “Mindful organizing. Establishing and extending the foundations of highly reliable performance”, chapter 50, in K. Cameron & G. Spreitzer (eds.), handbook of positive organizational scholarship, oxford university press, p. 664-676.

Weick, K.E. (2001). « technology as equivoque: sensemaking in new technologies », in making sense in the organization (Weick, K.E.), blackwell publishing, p. 148-175.

Weick, K., Sutcliffe, K.M., Obstfeld, D. (1999). “Organizing for high reliability: processes of collective mindfulness”, in B.M. Staw, & L.L. Cummings (eds.), Research in organizational behavior, vol.21, Greenwich, CT: Jai Press, inc, p. 81-123.

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