N°7 / Durabilité et transformation des organisations : paradoxes et perspectives

Comment la digitalisation du don participatif vient transformer durablement la recomposition d'écosystèmes locaux ?

Thibault Cuénoud

Résumé

La recomposition des écosystèmes locaux de la Nouvelle-Aquitaine (fusion récente des ex-régions d’Aquitaine, du Limousin et du Poitou-Charentes) a conduit les parties-prenantes à se réinventer. La région s’inscrit dans la nécessité d’obtenir une taille économique critique dans un environnement mondialisé. Paradoxalement, elle prend aussi le risque de perdre en proximité pour transformer durablement ses écosystèmes locaux (au sens de Tansley, 1933 ; Moore, 1993 ; et plus récemment Koenig, 2012). L’une des solutions transformatives a été de digitaliser l’acte de don dans l’optique de pérenniser les encastrements locaux d’acteurs socio-économiques. Les travaux fondateurs de Mauss (1924), conforté par Godbout (2004) et Caillé (2004), nous permettent d’aborder le rôle socio-économique dans l’acte de don. Ainsi, la numérisation des relations entre des donateurs et des organisations pourraient tendent à une perte de proximité socio-économiques : de nombreux travaux ont démontré ce risque (par exemple : Degryse, 2016 et Delahaye, 2019). Pourtant, la constitution d’une plateforme de crowdfunding digitalisée et régionalisée en Nouvelle-Aquitaine a fait émerger des communautés de citoyens (à ce jour, 70% des citoyens-donateurs de cette plateforme habitent à moins de 70 kilomètres des porteurs de projets financés). La digitalisation se fait au service d’un territoire et non l’inverse. Cette relation digitalisée peut-elle paradoxalement transformer durablement la recomposition d’écosystèmes locaux en Nouvelle-Aquitaine ?

 

Abstract :

The recent restructuring of local ecosystems in the Nouvelle-Aquitaine region (2016) has led stakeholders to reinvent themselves. The region is part of the need to achieve a critical economic size in a globalized environment. Paradoxically, it also takes the risk of losing proximity to sustainably transform its local ecosystems (in the sense of Tansley, 1933; Moore, 1993; and more recently Koenig, 2012). One of the transformative solutions has been to digitize the act of donation in order to perpetuate the local embedding of socio-economic actors. The founding works of Mauss (1924), supported by Godbout (2004) and Caillé (2004), allow us to approach the socio-economic role in the act of giving. Thus, the digitalisation of relations between donors and organizations could tend to a loss of socio-economic proximity: numerous studies have demonstrated this risk (for example: Degryse, 2016 and Delahaye, 2019). However, the creation of a digital and regionalized crowdfunding platform in Nouvelle Aquitaine has brought up communities of citizens (to date, 70% of citizen-donors of this platform live within 70 kilometers of the holders of funded projects). Digitalisation is done to the benefit of a territory and not vice versa. Can this digitalised relationship paradoxically transform the recomposition of local ecosystems in Nouvelle Aquitaine over the long term ?

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Comment la digitalisation du don participatif vient transformer durablement la recomposition d’écosystèmes locaux ?

 

Introduction

La finance participative (crowdfunding en anglais) permet d’associer via l’acte de don les citoyens dans le financement de projets à forte plus-value sociétale. La relation entre un donateur et un bénéficiaire repose sur la construction d’un lien social. Les travaux historiques de Mauss (1924, 1950 et 1967) confortent cette approche sociologique et durable dans l’acte du don. Les mutations actuelles dans les modalités d’attribution de dons, principalement par la digitalisation des échanges, questionnent quant à leur rôle au sein de l’encastrement social et territorial des organisations. Nous nous inscrivons ici dans la constitution d’encastrements au sens des écosystèmes de Tansley (1933), Moore (1993) et plus récemment Koenig (2012). Koenig a pu définir quatre typologies d’écosystèmes d’acteurs (systèmes d’offre, communautés de destin, plates-formes et communautés foisonnantes) à travers le croisement entre le « contrôle sur les ressources clés » et le « type d’interdépendance » (Koenig, 2012, p. 215). Ainsi, le renouveau dans l’acte de don, via la digitalisation des échanges, peut-il conforter la durabilité territoriale de projets à forte valeur sociétale ? Le don apparait comme une des composantes de l’encastrement social territorialisé. Les nouvelles façons de faire des dons permettent de les rendre transparents et simples pour les citoyens qui souhaitent faire des dons « digitalisés ». Ceux-ci cherchent surtout à s’assurer de la connaissance du bénéficiaire final, pour parallèlement s’y impliquer sous différentes formes : citoyens-donateurs, citoyens-consommateurs, citoyens-accompagnateurs… Finalement, cette implication plus directe du don, via un processus de digitalisation, questionne paradoxalement les perspectives durables d’appropriation des écosystèmes d’acteurs qui composent un territoire en recomposition.

Une mobilisation autour d’un don participatif ne repose pas sur les mêmes préceptes que le don classique. Celui-ci repose davantage sur une reconnaissance plus altruiste au sens de l’immatériel (recherche d’une transparence, d’une visibilité et d’une réciprocité dans l’acte de don directement auprès du bénéficiaire et non plus via des intermédiaires). Pour autant, pouvons-nous y détecter une modification de l’encastrement social entre donateurs et bénéficiaires participatifs ? Quels peuvent être les impacts durables dans des écosystèmes territoriaux vis-à-vis d’implications citoyennes participatives ? La numérisation des relations entre des donateurs et des organisations pourrait tendre à une perte de proximité socio-économique : de nombreux travaux ont démontré ce risque (par exemple : Degryse, 2016 et Delahaye, 2019). L’objet de cet article est de mieux comprendre le champ des possibles vis-à-vis d’un encastrement social renouvelé dans les territoires par la digitalisation qu’apporte la finance participative. Les travaux théoriques portant sur le don permettront de mieux appuyer la démarche opérationnelle de la plateforme de financement participatif de don contre don www.jadopteunprojet.com. Celle-ci est ancrée en Nouvelle-Aquitaine, région qui est le fruit en 2016 des ex-régions Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes, et « appuyée » par une multitude d’acteurs des écosystèmes entrepreneuriaux régionaux.

Comment, via une stratégie de renforcement, voire de recomposition de l’encastrement social, la digitalisation dans l’acte de don peut-elle être l’un des éléments structurants d’écosystèmes locaux ? C’est bien l’apport théorique du don contre don dans la relation d’encastrement social (Mauss, 1924) qui permettra de mieux appréhender l’impact sociétal d’un nouvel outil financier digitalisé. Finalement, à travers l’exemple de cette plateforme participative, est-il possible d’utiliser des outils digitalisés pour renforcer un ancrage territorial durable ? Paradoxalement, le digital viendrait-il conforter le local ? Et si cela est possible, dans quelles conditions la durabilité et la transformation de ces organisations à forte plus-value sociétale peuvent-elles s’exercer ?

Une première partie apportera le cadrage théorique du don, à travers l’approche de Mauss (1924) dans son ouvrage de référence « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques. » Une deuxième partie cherchera à interpeller le terrain via la description de la démarche d’encastrement social de la plateforme participative de don contre don www.jadopteunprojet.com. Nous serons ensuite plus à même de mieux déceler les dynamiques relationnelles digitalisées dans l’acte de don participatif, au service d’une transformation durable dans la recomposition d’écosystèmes locaux.

 

1. L’encastrement social par le don, quels enjeux pour des outils digitalisés ?

 

a. Quelle définition pour quelle raison d’être, le don comme lien social

 

Cette thématique a été sujette à débat, notamment avec l’avenant du tout marchand et du tout économique. Comment expliquer/contextualiser cet acte qui ne répond pas à des critères de rentabilité ? Les travaux de Mauss dans le domaine sont venus clarifier la notion de don dans nos économies contemporaines. « Quelle meilleure arme trouver, pour critiquer l’axiomatique de l’intérêt, que la démonstration par Mauss de ce qu’à l’origine, à la racine de ce qu’il est permis d’appeler la société première, on ne trouve pas le contrat ou l’échange, autrement dit le donnant-donnant, le troc, intérêt contre intérêt, mais le don, ou plus précisément, la tripe obligation de donner, recevoir et rendre ? » (Caillé, 2005). La revue de la littérature dans le domaine reprend majoritairement les apports de Mauss (1924). Les principaux enseignements de ses travaux sont les suivants : le don apparait obligatoire puisqu’il est difficile de le refuser ; le don tend à donner en retour ; le don est ancré dans une démarche sociologique forte. Pourtant, peu de travaux empiriques ont démontré ce lien sociologique dans l’acte de don entre parties-prenantes (Alain, Philippe, de Hasque et al., 2018).

 

Ce postulat théorique part donc de l’idée que l’acte de don n’est pas anodin puisqu’il induit des relations sociologiques entre le donateur, le bénéficiaire et les parties prenantes au sens large (à l’origine de l’encastrement social du donateur et du bénéficiaire à notre sens). « L’originalité des travaux de Mauss est de ne pas vouloir séparer les biens et les rites qui sont l’objet de l’échange du sens et des symboles qui leur sont attachés. En utilisant le concept de « phénomène social total », Mauss propose de voir l’échange comme un « tout » » (Barel et Frémeaux, 2008). Ici, nous cherchons à comprendre les nouveaux enjeux/liens induits par des outils financiers digitalisés quant à la redéfinition des relations entre citoyens et organisations dans des processus de recomposition d’écosystèmes territoriaux. Nous nous inscrivons dans une vision sociologique du rôle du don en émettant des relations d’interdépendances potentielles (Zenou, Batifoulier et Cordonnier, 1992). A ce titre, nous proposons de reprendre l’approche de Godbout (2004) : « donner, c’est une forme de circulation des choses, une forme de transfert qui libère les partenaires de l’obligation contractuelle de céder quelque chose contre autre chose. Et, inversement, on définirait le contrat comme le fait de priver l’autre de la liberté de donner  ».

 

Nous supposons des liens renouvelés entre le citoyen-donateur et l’organisation-bénéficiaire au service d’un territoire de vie partagé que viendra conforter un outil financier digitalisé. La notion de don ne peut être totalement amendée. « Le don gratuit ne peut être appréhendé qu’à travers l’acception existentielle du don, développée par Godbout (1992) et, plus récemment, par Dumond (2000). Dans L’Esprit du don (1992), Caillé et Godbout montrent que le don est porteur de sens parce qu’il témoigne, tout à la fois, du refus du rapport instrumental à autrui, de la joie de donner et de la portée affective des échanges sociaux » (Barel et Frémeaux, 2008). Mais des enjeux sociologiques nouveaux tendent à y apparaitre, laissant entrevoir des évolutions même partielles de l’encastrement social.

 

Par exemple, le don participatif (avec la finance participative) fédère des profils de citoyens-donateurs nouveaux et jeunes (entre 25 et 35 ans). Le don plus « classique » avait pour habitude de toucher des citoyens-donateurs plus âgés aux revenus plus élevés (les possibilités de défiscaliser auprès d’associations reconnues d’utilité publique et d’intérêt général venant renforcer les montants de dons effectués). Cette nouvelle forme de don qu’offre la finance participative, via l’interaction numérique, questionne l’encastrement social de ces citoyens-donateurs dans les territoires : facilite-t-elle les interactions dans les territoires et si oui, sous quelles formes et vers quelles finalités ? « Il ne fait pourtant nul doute pour nous que ce qui confère à la pensée de M. Mauss toute sa force et sa fécondité tient aux liens étroits qu’il établit, sans assez le dire et s’en expliquer, entre la figure du don, la thématique du symbolisme et son concept de fait ou de phénomène social total » (Caillé, 2004). L’encastrement social est-il en recomposition via ces plateformes numériques ? Et si oui, comment les dynamiques socio-économiques des territoires peuvent-elles en bénéficier ?

 

D’un côté, le don avec contrepartie sur les plateformes (on parle ici de don contre don) conduit le donateur à ne pas être si désintéressé dans son acte. D’un autre, l’effet coup de cœur des projets et la nature/symbolique de la contrepartie obtenue (dédicace, invitation à l’avant-première d’un évènement, objet collector…) confortent à notre sens un renouveau du lien social entre donateur et bénéficiaire. C’est bien l’outil numérique, en tant que plateforme de financement participatif, qui devient facilitateur dans cette relation d’encastrement social souhaitée. A nouveau, Mauss questionne cette approche en parlant de « fait social ». « L’accent, au lieu d’être mis sur le don pur opposé à la réalité de l’obligation de rendre, se centre sur ce mélange d’obligation et de liberté. C’est ce que montrent les formules suivantes qu’il utilise pour décrire le don : « sous forme désintéressée et obligatoire en même temps » (p. 194) ; « obligation et liberté mêlées » (p. 258) ; « sortir de soi, donner, librement et obligatoirement » (p. 265). Ce déplacement est fondamental parce qu’il constitue le don comme fait social » (Godbout, 2004).

 

Ces nouvelles formes de dons impliquent potentiellement de nouvelles relations sociales auprès des organisations qui s’inscrivent dans une certaine forme de redevabilité auprès des citoyens-donateurs. Cette redevabilité est souvent illustrée par des mécanismes différents de communication (l’utilisation d’une plateforme de finance participative, amplifiée par la diffusion des réseaux sociaux, apportera un effet qualifié de « viral »), des stratégies renouvelées de sollicitation (mailing, vidéo de présentation, constitution d’une communauté…) ainsi que des attentes différenciées (notamment dans la contrepartie « coup de cœur » demandée). A nouveau, on pose la question de la relation sociale et donc de l’identité sociale induite comme le propose Mauss. « Cette réflexion sur le mélange obligation-liberté va conduire Mauss à une idée forte de l’« Essai », celle du don comme expression de l’identité sociale. Comment expliquer la force qui porte à rendre quand on a reçu ? Telle est la question que s’est posée Mauss à propos du don. Et il a répondu en passant par la notion indigène de hau, telle que présentée par un sage maori, et qu’il a interprétée comme signifiant un transfert d’identité : « Même abandonnée par le donateur, [la chose reçue] est encore quelque chose de lui » (p. 159) ; « [...] présenter quelque chose à quelqu’un, c’est présenter quelque chose de soi » (p. 161) » (Godbout, 2004). Le tableau 1 reprend les liens entre l’acte de don et la relation sociale qu’il induit dans la construction d’une « identité sociale » souhaitée ou recherchée : la reconnaissance, la convivialité ordinaire, l’engagement ou le don de soi, l’entraide, l’écoute et la confiance. Même si ce tableau est le fruit d’une réflexion sur le don dans le travail (Dumond, 2007), il permet d’esquisser la relation d’encastrement social attendue entre parties-prenantes qu’il conviendra de contextualiser, dans la mesure du possible, dans une relation territorialisée.

  

Tableau 1 : Les actes de don existentiel dans le travail

 

Les actes de don

Ce qui est donné (transmis ou dépensé)

Ce qui est symbolisé

Le lien formé

La reconnaissance

Un titre, un insigne, des présents, qui signifient la gratitude et l’adresse personnelle de la reconnaissance.

L’acceptation de l’autre dans une communauté et une place dans celle-ci.

Elle crée une communauté d’individus autour des faits reconnus et des valeurs qui ont suscité la reconnaissance.

La convivialité

Des biens (un café…) et des gestes (poignées de main, signes…) qui circulent.

Une attitude d’acceptation de l’autre, d’ouverture.

Ces gestes de convivialité, s’ils ne sont pas perçus comme hypocrites ou dues, contribuent à la formation des collectifs.

L’engagement ou le don de soi

Une part de soi, sous forme de paroles, d’énergie, d’efforts, de conviction affirmées, de créativité.

L’importance du travailleur dans le processus de travail, sa nécessité, sa singularité.

Il forme un lien personnalisé avec l’objet de l’activité de travail et, parfois, avec une cause.

L’entraide

Des informations, du temps, de l’énergie, nécessaires à la réalisation du travail.

L’amitié.

Elle marque la solidarité à l’intérieur d’une équipe.

L’écoute

Du temps, de l’attention, de l’empathie.

L’affirmation de l’autre en tant qu’être singulier.

Elle peut initier une relation construite sur l’empathie.

La confiance

Un droit d’agir avec un contrôle relâché, voire supprimé.

La capacité à agir de manière autonome et responsable.

Les liens de confiance.

Source : Dumond, 2007.

 

De nombreuses plateformes proposent à leur communauté d’interagir collectivement auprès des porteurs de projets afin de créer une dynamique participative, dans le financement, mais aussi dans la mise en œuvre du projet lui-même. La place du citoyen-donateur se trouve ainsi renouvelée. Celui-ci peut s’exprimer pour influencer les projets proposés sur la plateforme de finance participative. « Il y a, dans le don, de la spontanéité, quelque chose qui se décide spontanément, en-dehors de tout calcul et de toute réflexivité » (Caillé, 2001). Mais quelle est alors la relation entre le donateur et le bénéficiaire dans la nature du lien créé sur le projet financé ? Le tableau 1 parle de liens formés entre donateur et bénéficiaire avec la constitution d’une communauté, de gestes de convivialités, de liens personnalisés, de marques de solidarité, d’empathie et de confiance. Des travaux ont mis en évidence ces dynamiques de personnification de la relation. « On a aussi relevé la tendance à la personnalisation du don dans la philanthropie, comme le met en évidence Silber : « [Dans la philanthropie], loin d’être séparée du don, l’identité du donneur y conserve son empreinte et demeure attachée au don » (Silber, 1999, p. 143), dans Godbout (2004). Quelles sont les attentes des donateurs et comment les organisations bénéficiaires y répondent-t-elles ? L’action de don s’inscrit dans une démarche philanthropique au service d’un encastrement social renforcé dans les territoires (nous en faisons le postulat ici). Cet acte de don, entre « fait social » et « identité sociale », peut-il s’inscrire dans un encastrement où le territoire fait sens et donc lien entre le citoyen-donateur et l’organisation-bénéficiaire ?

 

b. Quels enjeux induits du don/contre don : une tentative de duplication par les acteurs de la finance participative

 

La partie précédente a défini le don comme « fait social », expression de son identité, sous une forme renouvelée par l’émergence d’une finance qualifiée de participative dans les territoires. Nous l’avons même qualifié de « don participatif ». Une relation sociale est inhérente à ces dynamiques de don mais celle-ci se doit d’être spécifiée au regard du renouvellement des caractéristiques des donateurs (profil jeune, projet avec contrepartie, coup de cœur, influence assumée de la communauté de donateurs sur les projets proposés…) et des bénéficiaires (majoritairement des entreprises sous statut capitalistique) qui n’avaient pas pour habitude de bénéficier de financements citoyens. La spécificité des plateformes participatives est de faciliter l’acte de don, entre citoyens-donateurs et organisations-bénéficiaires, tout en offrant la possibilité d’offrir une contrepartie symbolique (valorisation du donateur, invitation à une soirée VIP, participation à l’activité de l’entrepreneur…). Les plateformes participatives décrivent cette forme de don avec contrepartie de « don contre don ». Ainsi, nous cherchons à définir les modalités d’encastrement social territorialisé dans une démarche de don contre don renouvelé via des plateformes de financement participatif. « La littérature portant sur la logique du don/contre don apporte un élément de réponse : le don serait perçu comme une affirmation de pouvoir (Rucker, 1991) ou d’individualité (Schwartz, 1967). Aussi, le bénéficiaire du don qui résisterait à la tentation de restituer un don de valeur similaire éprouverait-il un sentiment d’infériorité (Sherry, 1983) ou de dépendance (Moschetti, 1979). Afin d’échapper à ce sentiment, il doit réduire (voire supprimer) l’asymétrie de l’échange » (Barel et Frémeaux, 2008).

 

Cette démarche nous permet in fine de questionner les enjeux du don participatif, démarche venant renforcer la notion du don contre don émise par Mauss auprès des organisations (Mauss, 1967 ; Derrida, 1992 ; Caillé, 1994 ; Durkheim, 1996 ; Cordonnier, 1997 ; Barel et Frémeaux, 2008), laquelle repose encore sur une théorie de l’échange. Mauss a travaillé sur la notion de don et de contre don induit à cet acte. Les travaux de Pihel (2008) nous permettent de préciser la signification de cet acte et comment il est partie-prenante d’un encastrement social entre le donateur et le bénéficiaire. « L’originalité du don/contre-don (Mauss, 2003) est d’envisager la compréhension de l’engagement dans un échange établi dans le temps dans une optique encastrée et globale, c'est-à-dire qui considère l’individu tout entier investi dans l’espace d’échange, au carrefour d’interdépendances et d’influences de multiples ordres » dans Pihel (2008). L’auteur ajoute : « La théorie maussienne du don/contre-don n’est pas une théorie ordinaire de l’échange. Elle s’intéresse au fonctionnement des relations d’échange établies et ininterrompues dans le temps qui admettent, dans leur régulation, des déséquilibres et des décalages temporels entre ce qui est donné (le don) et ce qui rendu (le contredon) sans pour cela mettre en péril l’engagement des parties prenantes » (Pihel, 2008).

 

Dans cette optique, nous nous questionnons sur le rôle du don des citoyens-contributeurs vis-à-vis des organisations-bénéficiaires dans des territoires de vie partagés. Ce travail souhaite mieux comprendre la spécificité du don et la contrepartie inhérente à cette action dans un contexte spécifique de territorialisation de l’échange (lien par et pour un écosystème d’acteurs territoriaux). La lecture d’un don vis-à-vis d’un échange est claire (Testard, 1997, 1998 et 2001). La lecture d’un don contre don, dans l’optique d’un écosystème local en transformation, est moins bien définie dans la revue de littérature. Koenig (2012) est venu clarifier les écosystèmes d’affaires, où il propose de nouvelles typologies afin d’éclairer la façon dont les acteurs s’accordent. « Les écosystèmes d’affaires sont des agencements organisationnels qui ne tiennent ensemble qu’à condition que leurs membres s’accordent sur le développement d’un projet commun. […] Les écosystèmes d’affaires ne constituent pas un phénomène radicalement nouveau. Même s’ils font l’objet d’une attention particulière depuis une quinzaine d’années, les processus de co-évolution et de coopétition ne viennent pas non plus de faire leur apparition. En revanche, les évolutions culturelles et technologiques ont favorisé l’émergence et le développement des écosystèmes d’affaires. […] Si l’évolution des schémas intellectuels a profité au développement de tous les types d’écosystèmes d’affaires, les progrès technologiques ont sans doute davantage profité aux écosystèmes d’affaires structurés autour d’interdépendances de type pool » (Koenig, 2012). Le tableau 2 décrit les 4 formes proposées par cet auteur : systèmes d’offre, communautés de destin, plates-formes et communautés foisonnantes. La digitalisation du don participatif est l’un des éléments induits par les progrès technologiques. Le don participatif vient ici questionner la transformation durable d’écosystèmes locaux en recomposition.

 

Tableau 2. Typologie des écosystèmes d’affaires

 

Contrôle sur les ressources clés

Centralisé

Systèmes d’offre

Plates-formes

Décentralisé

Communautés de destin

Communautés foisonnantes

 

Réciproque

Pool

Source : Koenig, 2012.

 

La finance participative interpelle quant au renforcement, ou non, de cet effet contre-don. La contrepartie demandée sur les plateformes de crowdfunding témoigne d’une consolidation de la relation du don lors de l’après don (le donateur va attendre de recevoir sa contrepartie). Le citoyen s’impliquera d’autant plus dans le projet de l’organisation via la numérisation de l’outil. Les bénéficiaires d’un don financier seront aussi interpellés quant à l’intérêt réel d’un sentiment d’appartenance et donc du renforcement d’un encastrement social, via « un fait » donc « un objet social ».  « Parce que l’objet a toujours été au cœur des échanges humains, le don d’objets paraît mieux en mesure d’appréhender ce dilemme éventuel, entre sacrifice et égoïsme, entre spiritualité et matérialisme, que le don d’argent. L’objet, en effet, permet une expression de soi (Wallendorf et Arnold, 1988) ou une expression familiale (Curasi, Price et Arnould, 2004). Pour de nombreuses sociétés, l’échange rituel d’objets structure les liens entre familles et entre classes sociales (McKendrick, Brewer et Plum, 1982 ; Garabuau-Moussaoui et Desjeux, 2000 ; McCraken, 1988) » (Bergadaà, 2006). Le tableau 3 décrit les perspectives et les principes spécifiques de don d’objets avec les actions déclarées qui y sont sous-tendues. Il y a bien une symbolique de l’objet via la constitution de 5 catégories : 1/ L’objet se justifie comme aide à l’autre ; 2/ L’objet se charge de signification, a une « âme » ; 3/ L’objet donné répond à des considérations fonctionnelles ; 4/ Les objets matériels sont dangereux pour le spirituel ; 5/ Non décelable, car le spirituel voile la relation à l’objet. Difficile au regard de toutes ces symboliques dans l’acte de don contre don d’y préciser les relations socio-économiques qui y sont sous-tendues (plus spécifiquement dans les dynamiques inhérentes à l’encastrement social). « Ce qui accroît alors la conditionnalité des échanges : dans cette situation, chacun ne demeure dans une logique de don qu’à la condition que l’autre y participe, et ce qui favorise les comportements individualistes et égoïstes » (Dubar, 2015).

 

Tableau 3. Synthèse des perspectives et des principes spécifiques des donneurs

Profils donneurs

Les dimensions du don

Conscience immédiate du don d’objets

Action déclarée

Altérité

Symbolique de l’objet

Réciprocité

Raison évoquée

Ambivalence

Ambiguïté

Profil 1

La responsabilité envers l’autre déclenche le don

L’objet se justifie comme aide à l’autre

Souci de ne pas déclencher la réciprocité chez le bénéficiaire

Compenser l’arbitrage du destin

Apprécier d’être reconnu comme une personne méritante

Pas d’ambiguïté apparente

Profil 2

Le réseau de liens entre individus justifie les échanges

L’objet se charge de signification, a une « âme »

Le don induit une dynamique d’échange

Une générosité qui transcende les liens familiaux et s’étend aux hommes

Gêne de toute mise en scène et d’être vu comme généreux

Difficulté à refuser de donner à des œuvres caritatives

Profil 3

L’ « autre » est quelqu’un de proche, famille ou amis

L’objet donné répond à des considérations fonctionnelles

La réciprocité s’inscrit dans la proximité d’un réseau de communication

Remplacer l’Etat déficient en matière d’aide aux personnes dans le besoin

Une forme d’ambivalence culturelle envers l’homme en général

Ambiguïté centrale vis-à-vis des tricheurs et des profiteurs

Profil 4

L’ « autre » est reconnu, rencontré par le don

Les objets matériels sont dangereux pour le spirituel

Le don est une alternative à l’échange marchand

Une réponse à un simple principe personnalisé de responsabilité

Un certain égocentrisme

Ambiguïté de focus résolue par un choix ciblé d’œuvres

Profil 5

L’ « autre » peut être n’importe qui

Non décelable, car le spirituel voile la relation à l’objet

La réciprocité est une simple relation humaine chaleureuse

Le bonheur quotidien pour chacun

Pas d’ambivalence apparente

Crainte d’une ambiguïté centrale

Source : Bergadaà, 2006.

 

L’ancrage territorial comme « fait social » et « identité sociale » peut-il être suffisant face à la transformation durable de l’encastrement social ? Les trois dimensions fondamentales émisent par Mauss, à savoir donner, recevoir et rendre, se retrouvent ainsi renforcées dans le cadre de la finance participative via la numérisation de l’outil (facilité d’accès). Mais peut-il conforter une réappropriation citoyenne au sein d’écosystèmes locaux ? Nous cherchons donc à reprendre les travaux portant sur le don/ contre-don de Mauss (schéma 1) pour y esquisser un cadre théorique nécessaire au positionnement d’encastrement social dans les écosystèmes territoriaux. La théorie de l’échange, via le don contre don à des organisations par la finance participative, transforme-t-elle durablement cet encastrement social que nous qualifierons de territorialisé ?

 

Schéma 1. Le cycle triadique du potlatch : donner, recevoir, rendre

 

Source : Pihel, 2008.

 

 

D’après Mauss, le renouvellement de l’encastrement social passe par certains « prérequis » qui sont ainsi définis : « L’entrée par le don oblige, pour comprendre ce qui se joue et s’échange dans une relation, à considérer les spécificités de l’espace investi par les acteurs. Comprendre une relation d’échange durable, ce qui s’y joue, la manière dont elle s’organise, la façon dont l’individu s’y trouve engagé, passe par une nécessaire analyse de la « conscience » (Mauss, 2003) du milieu d’encastrement, c'est-à-dire par une appréhension du « tout » qui inclut : les traditions, les valeurs, les règles, la culture, l’histoire, les symboles, les référents de l’action, mais également ce que nous appellerons « la chaîne des dons ». Le concept de « chaîne des dons » que nous avançons renvoie au sens de l’échange, à ses objets, son organisation spatiale, temporelle, à ses enjeux pour les acteurs, à ce qui a été donné, reçu, aux dettes et créances éventuelles, à ce qui a été toléré, admis ou encore ce qui en a été exclu » (Pihel, 2008). Une plateforme de finance participative souhaitant s’engager pour contribuer à la reconfiguration d’un encastrement social peut-elle le faire et si oui, comment  ?

 

La théorie des 3 cercles de la finance participative (schéma 2) décrit des liens sociaux forts entre les citoyens-contributeurs et les organisations-bénéficiaires (Onnée et Renault, 2014 ; Onnée et Renault, 2013). Il y est question d’un premier cercle : les proches, d’un second cercle : les proches des proches et finalement d’un troisième et dernier cercle : le grand public. Cette théorie des 3 cercles, issue de l’expérimentation des principales plateformes participatives de don contre don, confirme l’importance d’un lien social au moins pour les premiers et deuxièmes cercles (Cuénoud et Wolff, 2019 ; Renault, 2017 ; Renault et Boutigny, 2014). Il y a bien l’existence d’un encastrement social où le citoyen-donateur devient contributeur au regard des relations socioéconomiques qu’il peut avoir. « Pour Dubar (2000), ce processus de conversion identitaire de l’individu social et réflexif doit être analysé et compris à partir de l’articulation d’une double transaction : une transaction objective et une transaction subjective. La transaction objective représente un processus d’accommodation, de l’individu aux rôles et aux attentes que lui attribue l’espace d’interaction : l’institution, autrui. La transaction subjective renvoie au processus actif d’incorporation de l’identité visée depuis l’identité héritée et revendiquée par l’acteur depuis sa trajectoire et son parcours biographique » (Caillé, 2004). L’intérêt de questionner l’appartenance territoriale de ces mêmes citoyens-contributeurs peut-il conforter ces éléments d’encastrement social, entre « fait social » et « identité sociale »  ?

 

Schéma 2. La théorie des 3 cercles dans la sollicitation de citoyens-contributeurs en finance participative don contre don

 

Source : Auteur.

 

Des contraintes méthodologiques fortes apparaissent déjà. La finance participative est un phénomène récent, orientant à une démarche exploratoire à minima (Calmé, Onnée et Zoukoua, 2016). La littérature dans le domaine n’est pas explicite quant au cadrage à sélectionner. « La saisir, impose d’enquêter de façon profonde, fouillée et durable l’espace d’échange considéré comme Mauss l’a fait dans le cadre de ses enquêtes. Cependant, l’auteur ne livre pas dans ses écrits, de méthode pour opérationnaliser une telle grille de lecture. Le paradigme du don constitue un cadre théorique à forte valeur heuristique. Hormis le fait qu’il impose le recours à l’immersion prolongée et à l’ethnographie, il passe par une réflexion sur les éléments permettant d’infiltrer les éléments signifiants de la relation qui donne sens aux conduites et à l’engagement » (Pihel, 2008).

 

Nous prendrons en considération ces éléments de méthodologie, tout en cherchant à définir l’encastrement social que la finance participative induit par ce renouveau du don contre don, à savoir le don participatif. Les attentes des donateurs vis-à-vis des bénéficiaires interpelleront alors la recomposition des écosystèmes locaux. Cette forme de transaction est à la fois contemporaine par la numérisation de l’échange mais aussi coutumière vis-à-vis des relations d’encastrement social qu’elle sous-tend. « Ainsi, la transaction marchande se distingue des transferts simples, sans contrepartie (la guerre, vol ou spoliation, et le don pur, dont le modèle est la donation religieuse) mais aussi des transferts doubles, mais non instantanés, connus sous le nom de « don et contre-don » ou « maussian gift », qui consistent en un enchaînement d’interactions qui seul donne son sens à l’interaction ponctuelle » (Weber, 2000).

 

2. Jadopteunprojet.com en Nouvelle-Aquitaine : vers la recherche d’un encastrement social territorial au sein d’écosystèmes locaux ?

 

a. Histoire de la plateforme participative de don contre don Jadopteunprojet.com

 

Jadopteunprojet.com est une plateforme de financement participatif de don contre don qui a émergé par un collectif d'acteurs picto-charentais de la finance solidaire (l’ADIE Aquitaine Poitou-Charentes, les CIGALES Poitou-Charentes, le Crédit Coopératif, la CRESS Poitou-Charentes, France Active Poitou-Charentes et l’URSCOP Poitou-Charentes). Les particularités de ce territoire, historiquement tourné vers l'Economie Sociale et Solidaire, ont orienté des réponses organisationnelles locales. Ce positionnement a permis de définir un outil participatif, local et solidaire dans le financement des porteurs de projets issus des réseaux de la finance solidaire. Le mécanisme de collaboration a reposé sur la complémentarité des dispositifs existant d’accompagnement et de financement (Jadopteunprojet.com est un outil de co-financement se positionnant comme un « bien commun » au service du territoire). De sa création à sa mise en œuvre, jusqu’à son fonctionnement, Jadopteunprojet.com est le fruit de synergies entre structures locales de l’entrepreneuriat. Des partenariats ont été développés de manière inclusive afin de respecter la place de chaque partie-prenante territoriale. Jadopteunprojet.com est un projet qui a bénéficié du soutien de la Région Nouvelle-Aquitaine, à la suite de la fusion en 2016 des régions Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes. Plusieurs institutions locales, nationales et européennes ont pu rejoindre le projet de Jadopteunprojet.com. Actuellement, la plateforme a accompagné plus de 250 projets par an à forte plus-value sociétale au sein des écosystèmes territoriaux locaux de la Nouvelle Aquitaine (schéma 3).

 

Schéma 3. Répartition géographique des projets réalisant une collecte sur jadopteunprojet.com

 Source : Rapport d’activité 2019 de jadopteunprojet.com

 

Les partis-pris de cette plateforme de financement participatif, à contre-courant des plateformes de crowdfunding plus généralistes, sont à l’origine d’une configuration innovante. Jadopteunprojet.com n’accepte que les collectes des porteurs de projets accompagnés et cofinancés en amont par les acteurs locaux de l'entrepreneuriat (en étroite collaboration avec les collectivités locales dans la sollicitation des citoyens-contributeurs), laisse l’initiative aux acteurs du territoire en s'appuyant sur leurs expertises territoriales locales et cherche à conforter et fédérer les écosystèmes entrepreneuriaux dans l'utilisation des nouveaux outils numériques (stratégie de communication via les réseaux sociaux). Cette volonté affichée d’être complémentaire aux acteurs existants témoigne du souhait de rassembler les forces vives du territoire pour répondre aux enjeux socio-économiques présents et futurs : mutualisation, collaboration, participation, solidarité... Jadopteunprojet.com, via sa plateforme de financement participatif solidaire et locale, cherche à participer au renouvellement de l’encastrement social des parties-prenantes. La collecte entre des citoyens-contributeurs et les organisations-bénéficiaires qu’elle permet de réaliser via son interface numérique (la plateforme participative) lui permet d’interpeler via l’acte de don ces deux parties-prenantes. Cette interpellation, au regard des apports théoriques sur le don au sens de Mauss (2003), permet de questionner cette plateforme dans sa capacité à durablement « faire social » (à l’origine des interactions) afin de conforter une « identité sociale » (par l’appropriation territoriale des parties-prenantes).

 

Les modalités de collecte de données s’inscrivent dans une démarche d’étude de cas longitudinal (suivi pendant 3 ans de l’évolution de la plateforme participative Jadopteunprojet.com). Notre méthode de collecte de données repose sur les travaux Musca (2006) qui a pu décrire tout l’intérêt de cette démarche. Eisenhardt (1989) et Yin (1994), à travers leurs travaux fondateurs, ont pu conforter l’intérêt d’une étude de cas. De La Ville (2000), a permis de préciser les choix idiographiques dans laquelle une étude de cas pouvait s’inscrire (tableau 4). Ici, nous nous inscrivons dans une perspective générative puisque la démarche de la plateforme de financement participatif s’inscrit dans la réflexion en cours de la digitalisation de l’acte de don au sein d’écosystèmes locaux.

 

Tableau 4. Illustration des choix idiographiques dans une démarche exploratoire

 

 

Perspective Positive

Perspective compréhensive

Perspective générative

Finalité de la

Modélisation

Visée explicative

Visée exploratoire

Visée transformatrice

Rôle de l’investigation

idiographique

Le cas permet d’apprécier le pouvoir explicatif de différentes théories.

Le cas sert de révélateur des préoccupations stratégiques réelles des acteurs sur le terrain

Le cas sert de base pour élaborer un cadre théorique qui le dépasse

Enjeu méthodologique clé

Accès au réel

Cerner l’ensemble des éléments du cas permettant de traduite la richesse de la situation stratégique réelle

Accès aux interprétations : rendre compte de la façon dont les acteurs sur le terrain instruisent les problèmes de management stratégique

Accès aux conjectures

La situation révélée par le cas et le résultat d’un processus d’actualisation stratégique parmi d’autres possibles

Méthode interprétative

Privilégiée

Méthode comparative

Comparaison avec d’autres cas recensés. Comparaison du pouvoir explicatif de différents cadres conceptuels pour analyser le cas

Méthode interprétative : comparaison de la façon dont le management stratégique est interprété par les acteurs avec ce que différents cadres théoriques prennent-en compte ou mettent en scène

Méthode générative :

Virtualisation d’un cas singulier

Imagination disciplinée pour retrouver d’autres possibles qui se sont évanouis ou qui auraient pu se produire

Principales méthodes

Mobilisées

Codage

Structuration théorique

Épiphanies : situations de gestion

Quasi-histoires

Histoires hypothétiques

Mécanismes génératifs

Fondements de l’activité comparative menée par le chercheur. Selon quels principes les comparaisons entre cas et différentes explications sont-elles établies de façon systématique ?

Fondements de l’interaction établie par le chercheur avec les acteurs sur le terrain. Selon quels principes le chercheur explore- t-il les pratiques réelles de management stratégique développées par les acteurs ?

Fondements de l’activité transformatrice de la modélisation

Selon quels principes les conjectures stratégiques sont-elles générées de façon systématique et intégrées dans un cadre théorique ?

 

Source : De La Ville (2000).

 

Afin de conforter la triangulation de collectes de données autour de ce cas d’étude, nous avons opté pour une multitude de méthodes nécessaire au renforcement et à la robustesse de l’analyse in fine (tableau 4). Il a été réalisé des entretiens semi-directifs, des observations participantes, des recherches documentaires ainsi que des traitements de données, notamment dans la localisation des citoyens donateurs et des porteurs de projet bénéficiaires (schéma 4).

 

 Tableau 5. Modes de collectes des données de l’étude de cas

Dispositifs de collectes de données

Choix des matériaux

Explications de la collecte

Entretiens semi-directifs

Retranscriptions de 4 entretiens d’1h au cours de l’étude longitudinale

Les entretiens ont été réalisés auprès des principaux acteurs présents dans la construction puis dans le déploiement de la plateforme en Nouvelle-Aquitaine.

Observation participante

Retranscriptions via des comptes rendus réalisés à chaque réunion de travail portant sur le projet

Les comptes rendus ont été réalisés via des prises de notes afin de reprendre les principales décisions effectuées lors des Conseils d’Administration et des Bureaux de la plateforme. Il y a eu aussi d’autres prises de notes lors d’évènements, réunions, ateliers… organisés par d’autres acteurs de la Nouvelle Aquitaine (CRESS, Aquitaine Active, Région Nouvelle-Aquitaine…).

Recherche documentaire

De nombreux documents ont été consultés, par des sources grands publics (disponibles par tous) et des sources internes à des organisations de la finance solidaire et acteurs publics.

Toutes les informations disponibles (internes et externes à la plateforme) ont été collectées depuis 3 ans maintenant.

Source : auteur.

 

Schéma 4. Localisation des citoyens donateurs au sein d’écosystèmes territoriaux en Nouvelle-Aquitaine

Source : auteur.

 

La fusion récente des régions Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes en 2016 est apparue comme une opportunité pour Jadopteunprojet.com, tant dans les possibilités d’interactions de nouvelles parties-prenantes que dans sa capacité à participer à la recomposition de l’encastrement social des écosystèmes territoriaux de cette nouvelle région qu’est la Nouvelle-Aquitaine. Quel « fait social » pour quelle « identité sociale » dans ces territoires non-homogènes économiquement, socialement, culturellement, historiquement… ? Les spécificités territoriales de ces écosystèmes composants la région Nouvelle-Aquitaine orientent Jadopteunprojet.com à se questionner dans les grandes composantes de sa genèse, source d’innovation sociale (au sens large). La détermination des éléments de recomposition de l’encastrement social peut-elle passer, au moins partiellement, par une approche de financement participatif de don contre don (quelles appropriations territoriales dans le financement local de projets entrepreneuriaux) afin d’y faire évoluer des dynamiques socio-économiques renforcées entre citoyens-donateurs et organisations-bénéficiaires  ?

 

b. Vers la recherche d’une légitimité territoriale par l’acte de don contre don participatif

 

La démarche de Jadopteunprojet.com se veut innovante socialement dans le sens où la fusion des Régions Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes vient redéfinir les modalités organisationnelles des outils financiers locaux de ces acteurs. Jadopteunprojet.com représente les acteurs de la finance solidaire dans l’ex-région Poitou-Charentes. A ce titre, elle se doit de se « réinventer » afin de redéfinir et légitimer sa gouvernance, sa présence territoriale ainsi que son offre d’outils financiers en local. Cette recherche de légitimité territoriale via l’acte de don contre don participatif au sens de Mauss (2003) doit permettre de faire « fait social » et donc « d’identité sociale » dans les dynamiques d’appropriation socio-économiques territorialisées. Les enjeux qui reposent sur Jadopteunprojet.com ne sont pas anodins dans sa volonté de participer à la recomposition de l’encastrement social dans les territoires de la Nouvelle-Aquitaine. En ce sens, les enjeux sociétaux y sont prépondérants quant à sa viabilité voire même sa durabilité organisationnelle, et ce, à plusieurs niveaux :

 

En tant qu’organisation fédérant les acteurs de la finance solidaire

 

Les acteurs de la finance solidaire picto-charentais ont pu se fédérer il y a maintenant 7 ans, représentant le 1er collectif en France portant sur cette thématique. Ce collectif a évolué pour se fédérer autour de la création de Jadopteunprojet.com (fruit de ce collectif). Jadopteunprojet.com a aussi participé à la création du collectif des acteurs aquitains de la finance solidaire (Aquifisol) en février 2015 dans l’optique de faire émerger une dynamique Nouvelle-Aquitaine de ces acteurs du financement local. A ce jour, de nombreuses questions se posent quant à la poursuite de ces initiatives mais aussi au rôle et à la présence de ces acteurs dans la gouvernance de Jadopteunprojet.com : faut-il élargir la gouvernance de Jadopteunprojet.com autour de l’ensemble des acteurs de la finance solidaire de Nouvelle-Aquitaine ? Si oui, comment et vers quelles évolutions de l’objet social de la plateforme  ?

 

En tant que solution de co-financement local, solidaire et participatif

 

La plateforme de financement participatif Jadopteunprojet.com vient financer via des dons contre dons de citoyens-contributeurs des porteurs de projets accompagnés et financés par les acteurs de proximités du financement local. Cette particularité permet à Jadopteunprojet.com d’être décrite comme « un bien commun » au service de ces acteurs territoriaux de l’entrepreneuriat (mise en avant de leurs porteurs de projets sur la plateforme, module de réorientation de porteurs de projets nécessitant accompagnement et financement, organisation d’évènements partagés…). L’évolution de ce nouveau territoire régional vient questionner sur le rôle que joue Jadopteunprojet.com auprès de ces acteurs locaux (principalement via la restructuration des réseaux de la finance solidaire de trois ex-territoires régionaux dans la recherche de pratiques mutualisées à la Nouvelle-Aquitaine) tout en recherchant des dynamiques et des possibilités de proximités les plus fines possibles dans l’auto-détermination locale.

 

En tant qu’intermédiaire entre citoyens-donateurs et organisations-bénéficiaires

 

L’implication de citoyens-donateurs au sein de la Région Nouvelle-Aquitaine dans les modalités de financements d’organisations permet de renforcer les interactions sociétales au sens large des projets locaux (visualisation et compréhension, implication et soutien, développement économique et social…). Cette recherche de légitimité par l’acte de don contre don impose de se questionner sur les attentes de ces citoyens « néo-aquitains ». Les travaux de Mauss (2003) confortent les relations d’interdépendance dans ces dynamiques d’encastrement social entre le donateur et le bénéficiaire. Mais encore trop peu de travaux viennent interpeler le rôle d’une plateforme de financement participatif locale et solidaire dans son entièreté (par son activité, par sa gouvernance, par ses parties-prenantes, par la nature des dons et des contre dons réalisés...). Il est évident que le degré d’appropriation de Jadopteunprojet.com dans les territoires en tant que « fait social » des écosystèmes territoriaux de la Nouvelle-Aquitaine passera par sa capacité à s’encastrer socialement pour être partie-prenante de cette même « identité sociale ». La création de « clubs jadopte », afin d’y associer citoyens-donateurs et organisations-bénéficiaires dans ces territoires, peut apparaitre comme une alternative crédible que Jadopteunprojet.com est en cours d’élaboration.

 

c. Vers une recomposition inclusive de l’encastrement social en Nouvelle-Aquitaine ?

 

Il a été décidé de lister les éléments constituant la « chaine des dons » dans la démarche de Jadopteunprojet.com au sens de Mauss (Pihel, 2008) dans sa recherche d’une légitimité du don contre don participatif comme « fait social » et « identité sociale » (Godbout, 2004). Cette chaine de dons, expérimentale et propre à Jadopteunprojet.com, permet de mieux cerner la façon dont cette plateforme de finance participative cherche à s’ancrer dans les écosystèmes territoriaux de la Nouvelle-Aquitaine via la création d’un sentiment d’appropriation que pourraient offrir les citoyens-contributeurs aux organisations-bénéficiaires dans le liant qu’est l’encastrement social territorialisé. Sans pour autant présager de la capacité de Jadopteunprojet.com à s’inscrire dans la recomposition de cet encastrement social territorial, la description de la stratégie d’appropriation (tant auprès des citoyens-contributeurs, des organisations-bénéficiaires que des parties-prenantes liées à l’accompagnement et au financement de l’entrepreneuriat de proximité) y est réalisée par des étapes clés dans la dynamique de don contre don qu’offre la plateforme. L’originalité de la démarche est la recherche d’un encastrement social double : dans les relations entre contributeurs et bénéficiaires qu’offre l’acte de don contre don ; dans les relations d’appropriation locale des acteurs alternatifs, source d’encastrement social dans le territoire in fine.

 

Le schéma 5 vient modéliser la chaine de dons que propose Jadopteunprojet.com, fruit des réflexions des parties-prenantes de la plateforme de financement participatif dans son ensemble (notamment dans les dynamiques structurantes de la région Nouvelle-Aquitaine), venant illustrer la recomposition de l’encastrement social en cours au sein même de ces acteurs territorialisés.

 

Schéma 5. La « chaine de dons » au sein de Jadopteunprojet.com

 

 

Source : Auteur.

 

Contexte

 

Afin de renforcer ces liens socio-économiques territorialisés, Jadopteunprojet.com s’appuie sur des acteurs locaux, parties-prenantes de la région Nouvelle-Aquitaine. La mise en relation d’outils du financement local avec les porteurs de projets et les citoyens est effectuée par la plateforme www.jadopteunprojet.com (un module de réorientation existe déjà, des actions de communication/sensibilisation ont déjà été réalisées…). Jadopteunprojet.com est une structure qui bénéficie du soutien de ses membres fondateurs eux-mêmes partie-prenante dans les territoires. Le Président de Jadopteunprojet.com étant enseignant-chercheur, ses diverses implications dans des centres de recherche ont toujours été en appui aux démarches de développement de la plateforme et des acteurs du financement solidaire de proximité.

 

Portage

 

Jadopteunprojet.com est une association qui a pour origine le collectif des acteurs de la finance solidaire picto-charentais. La plateforme est aussi partie-prenante du collectif aquitain des acteurs de la finance solidaire (Aquifisol). Des démarches d’implication territoriale sont aussi en cours dans le Limousin auprès des acteurs de l’entrepreneuriat. Les bénéficiaires (les entrepreneurs) sont associés à la démarche puisqu’il est prévu qu’ils intègrent un groupe de travail représentatif mais aussi qu’ils puissent participer à la construction d’outils financiers locaux plus citoyens. La gouvernance de Jadopteunprojet.com a vocation à évoluer, afin d’y intégrer plus de parties-prenantes de la Nouvelle-Aquitaine. L’Assemblée Générale du 5 avril 2016 de l’association a acté cette ouverture, en accord avec la vision collective du projet.

 

Contenu

 

L’objectif est d’apporter (faire évoluer) des outils financiers locaux pouvant être appropriés par les citoyens dont les écosystèmes territoriaux de la région Nouvelle-Aquitaine peuvent être divers (culture, économie, politique…). L’appropriation par les citoyens d’outils financiers locaux solidaires et participatifs n’est pas aussi spontanée. La rupture est forte dans l’organisation de Jadopteunprojet.com : obligation d’impulser une nouvelle gouvernance reflétant le périmètre Nouvelle-Aquitaine, redéfinition du concept de mutualisation entre les outils financiers locaux avec la plateforme www.jadopteunprojet.com, questionnement autour de la présence territoriale à redéfinir… L’objectif est d’impulser des démarches citoyennes de dimension Nouvelle-Aquitaine dans le financement de projets entrepreneuriaux de ce nouveau territoire (ces citoyens sauront-ils se mobiliser dans le financement de projets innovants socialement, malgré des histoires et des cultures divergentes de ces sous-territoires ?).

 

La recherche d’un encastrement social renouvelé où la dimension territoriale peut devenir le « fait social » dans la recherche d’une « identité sociale » est opérationnalisée par cette chaine de don contre don au sein de Jadopteunprojet.com. Ces propositions, qui s’inscrivent dans la théorie du don contre don de Mauss (2003), permettent d’expérimenter pour esquisser par cette étude de cas les relations socio-économiques tant dans l’activité participative de la plateforme (don contre don) que dans sa relation aux autres parties-prenantes locales (écosystème local). L’application des éléments composant cette chaine de dons permettra à Jadopteunprojet.com d’adapter son modèle organisationnel pour affiner son implication le plus finement possible sur le territoire de la Région Nouvelle-Aquitaine. Cependant, les propositions émises dans la recherche d’un ancrage territorial légitimé comme « fait social » et donc participant in fine à l’identité sociale dans la construction d’un encastrement social renouvelé obligent néanmoins à se poser sur les questions suivantes (tableau 6) :

 

  • Quelles modalités de gouvernance démocratique (échelons locaux et régionaux) convient-il de mettre en place afin d’être représentatif des parties-prenantes de la Région Nouvelle-Aquitaine tout en gagnant en proximité/flexibilité (permettant par la suite de faire évoluer le collectif des acteurs de la finance solidaire ainsi que des adhérents/administrateurs de Jadopteunprojet.com)  ?

 

  • Quel est le maillon le plus adéquat entre les écosystèmes territoriaux de la Région Nouvelle-Aquitaine dans l’animation et l’appropriation d’une finance locale et citoyenne (permettant par la suite d’adapter la présence et l’animation territoriale de la plateforme participative de don contre don avec ses partenaires via des actions ciblées comme des clubs jadopte)  ?

 

  • Quels sont les outils financiers en local qu’il est possible de mutualiser dans une approche d’appropriation des citoyens-donateurs auprès des organisations-bénéficiaires via la plateforme de finance participative (permettant par la suite d’adapter l’offre financière disponible aux citoyens pour une appropriation socio-économique de leur territoire)  ?

 

  • Quelles places/présences auprès des outils numériques (internet) des acteurs du financement de proximité dans la Nouvelle-Aquitaine (permettant de conforter ou non le rôle de Jadopteunprojet.com) ?

 

Tableau 6. Les freins potentiels et les alternatives pour répondre à un encastrement social territorialisé et renouvelé par une activité de don contre don

Freins identifiés

Moyens à mettre en œuvre

Manque d’implication d’acteurs portant des dispositifs financiers (notamment des ex-régions Aquitaine et Limousin) ;

Sollicitation de ces acteurs en amont du lancement de ce projet afin d’intégrer leurs attentes vis-à-vis de ce projet ;

Manque d’implication des citoyens dans l’appropriation d’outils financiers locaux via le nouveau périmètre régional Nouvelle-Aquitaine ;

Soutiens des services de la Région Nouvelle-Aquitaine (visibilité institutionnelle) afin de gagner en lisibilité auprès des citoyens ;

Mise en place de projets/outils concurrents au niveau régional (dispositifs non portés par les parties-prenantes de ce projet) ;

Coordination nécessaire entre l’ensemble des collectivités locales et laboratoires de recherche sur cette thématique (schéma régional économique) ;

Manque de moyens financiers nécessaires à la bonne réalisation de ce projet (financement moins important que souhaitait initialement) ;

Stratégie de mutualisation entre les acteurs de la finance solidaire dans les territoires (renforçant l’inclusion dans les écosystèmes territoriaux de la Nouvelle-Aquitaine) ;

Source : Auteur.

 

Conclusion

 

Dans le cadre des dynamiques de don contre don qu’apporte une plateforme de finance participative locale et solidaire, la recomposition de l’encastrement social, au sens de Mauss, apparait comme une opportunité de réappropriation citoyenne des dynamiques socio-économiques de proximité. « Éviter le don « de haut en bas », lui substituer la redistribution « dans le respect mutuel et la générosité réciproque », en d’autres termes inventer une forme de don égalitaire ou encore de société où l’égalité serait à la fois un résultat économique et une condition politique, voilà l’utopie positive à laquelle M. Mauss s’est attaché » (Weber, 2000). La numérisation des échanges offre l’opportunité aux citoyens-donateurs d’entrer en contact facilement et simplement avec les organisations-bénéficiaires où les territoires de vie partagés en seront l’élément structurant. Peut-on parler d’encastrement social territorialisé et renouvelé par l’acte de don contre don dans la constitution d’une chaine de don comme le souhaite la plateforme Jadopteunprojet.com ? L’un des arguments forts dans la recomposition de l’encastrement social entre donateurs et bénéficiaires n’apparait pas être une redéfinition théorique de leurs relations (nous sommes toujours sur des rapports de valeurs partagées) mais plus sur des évolutions technologiques actuelles. Le numérique vient faciliter les interactions entre donateur et bénéficiaire dans une relation d’encastrement social territorial. Ainsi, les attentes des donateurs, via les plateformes de finance participative, ne semblent pas remettre en cause le lien d’encastrement social mais plutôt d’offrir une possibilité de financer par le don des organisations plus directement (alors qu’avant il était difficilement envisageable de le faire).

 

La finance participative est plus un nouvel outil permettant de répondre à de nouvelles préoccupations sociétales via le lien direct qu’elle offre entre citoyens-donateurs et organisations-bénéficiaires qu’une réelle remise en cause de l’encastrement social par l’acte de don contre don. Les travaux théoriques portant sur le sujet confortent la similarité des actes de don (qu’ils soient réalisés par la finance participative ou non), par la reconnaissance, la convivialité, l’engagement ou le don de soi, l’entraide, l’écoute et la confiance (Dumond, 2007). Les raisons évoquées dans l’acte de don n’y sont pas différentes fondamentalement : compenser l’arbitrage du destin, une générosité qui transcende les liens familiaux et s’étend aux hommes, remplacer l’Etat déficient en matière d’aide aux personnes dans le besoin, une réponse à un simple principe personnalisé de responsabilité, le bonheur quotidien pour chacun (Bergadaà, 2006). Il y a ici un mixte entre le numérique (où s’inscrivent les plateformes de finance participative) et le physique (où se justifie la sollicitation par les proches). Ainsi, ce n’est pas la nature de l’encastrement social qui est ici remise en cause, mais plutôt la mise à disposition d’outils (ici les plateformes de finance participative) qui redéfinit en le simplifiant l’acte de don entre parties-prenantes dans un territoire.

 

Finalement, et comme nous avons pu le mettre en exergue via l’analyse de Jadopteunprojet.com, c’est plutôt la nature de l’inclusion de cette plateforme participative dans l’encastrement social de écosystèmes territoriaux qui entre en résonnance avec le « fait social » et donc « l’identité sociale » dans l’acte de don contre don qui se pose voire s’impose. Mauss (2003) a cherché à définir le sens de ces relations socio-économiques uniquement entre donateurs et bénéficiaires. « Les théories du don se partagent en deux paradigmes distincts : – Le premier, celui du don-échange, bien connu en France, envisage le don comme un transfert qui appelle une contrepartie, un contre-don (Mauss, 1950 ; Alter, 2009). – Le second, celui du don gratuit, ou sans contrepartie, envisage le don comme un transfert, ou une allocation, au profit de quelqu’un sans contrepartie de sa part (Frémeaux et Michelson, 2011 ; Kolm, Mercier et Ythier, 2006) » dans Masclef (2012). La détermination d’une chaine de dons vient ici conforter ce cadre théorique dans la tentative d’explication d’une réciprocité entre un don puis un contre don dans le sens où il faut bien un écosystème favorable (inclusif) pour que les interdépendances sociales nécessaires à la construction d’une « identité sociale » puissent être effectives. Jadopteunprojet.com est à la recherche de cet écosystème favorable via des stratégies d’inclusion dans la recomposition de l’encastrement social territorial en Nouvelle-Aquitaine.

 

Bibliographie

 

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Bergadaà, M. (2006). Le don d'objets : dimensions centrales et profils de donneurs aux œuvres de bienfaisance. RAM, Recherche et Applications en Marketing, vol.21, n°1, 19-39.

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Evaluer les capacités transformationnelles du commerce équitable. Le cas du territoire de l’arganier

Lahcen Benbihi, Anne Marchais-Roubelat, Khalid Bourma

La communication autour des effets du commerce équitable sur les territoires dans lesquels il s’inscrit joue un rôle essentiel dans son développement. Dans la mouvance des travaux de recherche sur l’impact du commerce équitable et sur ses capacités à transformer durablement les relations socio-économiques, cet article a pour objectif de comparer les effets du commerce équitable à l’échelle des organisations de producteurs et à celle du territoire où ils vivent. La recherche effectuée sur le territoire de l’arganier au Maroc...

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