N°9 / Les enjeux et les défis de la fonction d’évaluation en sciences de l’information et de la communication

L’analyse des processus métier dans une perspective de gouvernance informationnelle : stratégies d’évaluation des actifs informationnels

Inge Albert

Résumé

Le rapprochement nécessaire entre les pratiques de gestion de l’information et les pratiques propres à l’évaluation des performances soulève de nouvelles questions quant au rôle du spécialiste de l’information et à l’étendue de ses champs d’expertise. Ceux-ci doivent non seulement porter sur l’évaluation archivistique des documents dans une perspective de conformité, mais également comprendre des compétences en analyse d’affaires. Cet article introduit une méthodologie de gouvernance de l’information permettant d’examiner les mécanismes de génération de la valeur inhérente à l’information, au moment de sa création au sein des processus métier. Cette méthodologie comprend quatre étapes ; 1) l’analyse des besoins et de la capacité organisationnelle ; 2) l’analyse fonctionnelle ; 3) la représentation et la description des processus métier 4) le développement de l'architecture de l'information. Avec en main une méthodologie unique fondée sur l’analyse d’affaires, les spécialistes de l’information disposent d’une approche concertée pour implanter un programme de gouvernance de l’information axée sur les performances de l’organisation.

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Abstract : The necessary reconciliation between information management practices and performance evaluation practices raises new questions regarding the information specialist role and the extent of his fields of expertise. This expertise should not only focus on archival appraisal to fulfill the compliance requirements, but also includes skills in business analysis. This article introduces an information governance methodology to examine the mechanisms that generate the value associated with information, at the time of its creation within the business processes. The methodology comprises four steps: 1) needs and organizational capacity analysis; 2) functional analysis; 3) representation and description of business processes; 4) information architecture development. With a unique business analysis methodology in hand, information specialists have a concerted approach to implement an information governance program focusing on organizational performances.

Keywords : Information governance, information architecture, business process analysis, performance measurement, archival appraisal

 

CONTEXTE ET PROBLÉMATIQUE

La gouvernance de l'information (GI) est définie comme un « cadre stratégique et interdisciplinaire composé de normes, de processus, de rôles et de paramètres qui tiennent les organisations et les individus responsables de la bonne gestion des actifs informationnels » (ARMA, 2018, p.1, traduction libre). Selon ce cadre, établir de saines pratiques de gestion documentaire est essentiel car celles-ci garantissent la sécurité et la confidentialité de l’information, l'efficacité de la prestation des programmes et des services ainsi que des méthodes fiables pour gérer de manière cohérente les données et les documents d’archives (Hagmann, 2013). En tant que « super-discipline » qui emprunte ses principes à plusieurs domaines clés tels que le droit, la gestion des documents administratifs, les technologies de l'information, la gestion de la sécurité et la gestion des affaires, la gouvernance de l'information nécessite une « nouvelle génération de professionnels de l'information qui présentent des compétences issues de ces domaines complexes déjà bien établis » (Smallwood, 2020, p.xvii, traduction libre).

Aujourd'hui, la profession assiste à une évolution du rôle traditionnel du spécialiste de l’information, qu'on le nomme « gestionnaire des documents administratifs » ou « archiviste d’entreprise », dont les tâches se concentrent désormais sur l'ensemble du continuum de l'information - du point de création à la fin du cycle de vie - en incluant également des responsabilités relevant de la planification stratégique, l’analyse d’affaires et l’évaluation du rendement. Par conséquent, les professionnels de l’information doivent acquérir des compétences supplémentaires afin que la gestion documentaire contribue efficacement à la réalisation de la mission de l’organisation. En cela, l'optimisation des processus métier et la valorisation de l’information constituent les deux côtés d'une même médaille. Pour parvenir à cette optimisation, l’évaluation archivistique des documents administratifs durant leur phase active doit aujourd’hui tenir compte des stratégies d’évaluation des performances des processus qui génèrent ces documents.

Dans un contexte archivistique, l'évaluation consiste à établir la valeur de l'information, à qualifier cette valeur et à déterminer sa durée (Duranti, 1994, p.329). Traditionnellement, l'archiviste était responsable de déterminer la valeur des documents, dans le but de préserver les informations d'importance sociétale à la fin de leur cycle de vie (par exemple Schellenberg, 1956; Boles & Young, 1985; Eastwood, 1993; Cox, 2002). Avec la progression de la discipline archivistique vers une approche plus intégrée de la gestion des documents d’archives incluant à la fois les documents utilisés pour soutenir les activités d’une organisation (phase active) et les archives (c'est-à-dire les documents inactifs présentant des valeurs historiques et de recherche à long terme), les théories traditionnelles de l'évaluation sont en cours de réexamen (Couture & Lajeunesse, 2014; Robyns, 2014; Makhlouf Shabou, 2015).

De nombreuses recherches commencent à remettre en question le « choc des intérêts » (Cook, 2010, p.72, traduction libre) dans les critères d'évaluation entre les gestionnaires de documents et les archivistes, qui interviennent à différentes étapes de la vie de l'information et à des fins différentes (Cook, 2010; Duranti, 2010; Cook, 2011; Bailey, 2013; Cumming et Picot, 2014). À cela s’ajoute la nouvelle nécessité de quantifier les actifs informationnels pour répondre aux besoins de mesurer la performance des pratiques de gestion de l’information (Laney, 2017). C’est ici qu’un programme de gouvernance informationnelle efficace permettra de quantifier les activités de gestion de l’information suivant une perspective holistique (dimensions légales, sécurité et risques d’affaires, conformité aux lois, performance des activités, mesures du rendement, etc.).

OBJECTIFS

Afin de réfléchir à la contribution de l’archiviste d’affaires aux activités d’évaluation des performances en sciences de l’information, cet article présente une méthodologie de gouvernance de l'information qui emprunte des concepts, des outils et des techniques aux domaines de l’architecture de l’information et de l'analyse d’affaires. Cette méthodologie a été développée à partir d'un examen de la littérature, des normes et des méthodologies disponibles telles que Smallwood (2013, 2020), Laney, 2017, DIRKS, ISO 15489 et le modèle de gouvernance de l’information de l’ARMA (2018). Cette méthodologie est également appuyée de résultats obtenus dans le cadre de plusieurs projets de recherche-action et de conseil en gestion de l'information (Mas & Marleau, 2009 ; Alberts et al., 2010, Alberts et al., 2015) ainsi que d'entrevues et d'enquêtes cognitives avec des consultants experts en gestion de l'information et en archivistique d’entreprise (Vellino & Alberts, 2016).

L’objectif premier de la méthodologie est de contribuer au développement d’une stratégie de gouvernance informationnelle ayant une portée « holistique » touchant à ces différents aspects de gestion de l’information. Sans viser le développement des outils spécifiques aux différents domaines d’expertise nécessaires à une saine gouvernance de l’information, la méthodologie se concentre sur l’identification de l’information ayant de la « valeur » pour une organisation (cette valeur étant propre à chaque organisation) et sur le développement d’une architecture de l’information unique (vocabulaire et associations de termes communs à l’organisation). L’analyse de la valeur et le développement de l’architecture de l’information, plus amplement décrits aux points suivants, serviront de véritable point d’ancrage au développement des stratégies spécifiques de GI ; chaque domaine d’expertise aura en main une représentation commune des flux d’information, de la création de la valeur dans l’organisation, des risques d’affaires découlant d’une mauvaise gestion de l’information, des technologies nécessaires au rendement organisationnel, ainsi que du vocabulaire pour décrire l’information de manière cohérente et unifiée. Pour les spécialistes des différents domaines d’expertise, ce vocabulaire commun permettra d’élaborer des stratégies et des outils de gestion de l’information ciblés, tels que des ontologies, glossaires, thésaurus, procédures, calendriers de conservation, schémas de métadonnées, structures de disques durs, etc.

SOLUTION ET MISE EN OEUVRE

La méthodologie représentée à la figure 1 comprend quatre étapes : 1) l'analyse des besoins et de la capacité organisationnelle relative à la gouvernance de l’information ; 2) l’analyse fonctionnelle ; 3) la représentation et la description des processus d’affaires, ou processus métier 4) le développement de l'architecture de l'information. Ces étapes sont décrites aux points suivants.

Figure 1. Survol de la méthodologie

Analyse des besoins et de la capacité organisationnelle

Chaque organisation devant développer une stratégie de gouvernance de l’information présente un ensemble de facteurs qui auront une influence importante sur le succès de son exécution. Des facteurs tels que la culture organisationnelle et informationnelle, la maturité dans la définition des processus d’affaires, le style de leadership, les exigences de conformité découlant de la réalisation des processus d’affaires, la taille et la complexité des pratiques auront une incidence non négligeable sur les étapes subséquentes de la méthodologie. Dans leur ouvrage, Couture et Roy (2006) insistent sur l’importance de l’analyse contextuelle afin d’obtenir une bonne connaissance de l’environnement organisationnel (incluant sa structure, son fonctionnement, sa culture), de l’environnement législatif (lois qui influencent la réalisation des pratiques d’affaires) et l’environnement informationnel (en termes de forces et de faiblesses des pratiques de gestion des documents d’archives). Il s’agit ici de rapprocher les pratiques de gestion de l’information et les pratiques d’affaires, en demeurant « le plus possible collé à la réalité » des activités de l’organisation (Couture et Roy, 2006, p.154).

L’analyse des besoins vise donc à obtenir un portrait exhaustif de l’organisation, afin de déterminer comment la gestion de l’information peut supporter les pratiques d’affaires tout en mitigeant les risques associés à ces pratiques. À ce stade-ci, plusieurs sources d’information sont consultées, incluant les documents d’affaires (tels que les organigrammes, les représentations des processus d’affaires, les listes de description de tâches effectuées par le personnel, les rapports d’audits internes, les cadres de mesure de la performance, les lois et règlements applicables) et les outils de gestion de l’information (tels que le plan de classification des documents administratifs ou les structures de disques durs partagés). Des entrevues avec les principaux cadres responsables de la gestion des processus et de la mesure de la performance seront également effectuées afin de déterminer le niveau de structuration des processus et les défis rencontrés dans la réalisation de ces derniers. Par expérience, il apparaît qu’un bon système de gouvernance informationnelle, incluant des pratiques de gestion de l’information bien définies, va de pair avec des processus métier clairement articulés.

Au terme de l’enquête préliminaire, le gestionnaire de l’information sera en mesure de déterminer les forces et les faiblesses du système de gestion des documents d’archives déjà en place, et le niveau d’intégration actuel et potentiel avec les pratiques de gouvernance stratégique de l’organisation. L’expérience a ici démontré qu’un projet d’analyse des processus métier en vue d’implanter une stratégie de gouvernance informationnelle sera voué à l’échec si l’organisation concernée n’accorde pas l’importance nécessaire à la gestion de l’information ; il vaut mieux alors miser sur un changement de culture organisationnelle et informationnelle avant de se lancer dans un projet de telle envergure.

Analyse fonctionnelle

Afin de développer un point d’ancrage à l’inventaire des processus métier, une analyse fonctionnelle sera d’abord effectuée. Dans la littérature, on distingue une « fonction » par rapport à un processus comme étant « toute fin, responsabilité, tâche ou activité de haut niveau qui est attribuée au programme de responsabilités d'un ministère ou organisme en vertu d'une mesure législative, d'une politique ou d'un mandat » (LAC, 2006). En 1991, les Archives nationales du Canada ont adopté le modèle de macro-évaluation pour identifier les documents qui ont une valeur durable pour la société (Bailey, 1997, p.89). Basée sur l'analyse des fonctions métier et des activités exercées par l'organisation, la stratégie de macro-évaluation se concentre principalement sur le lien entre le dossier et son contexte de création. Ici, il s’agit d’étudier les fonctions de chaque structure de l’organisme producteur des archives et des unités qui la composent afin de déterminer l’importance ou signification relative de la fonction faisant l’objet d’un examen archivistique (Makhlouf Shabou, 2011, p.51).

Dans la méthodologie, l’analyse fonctionnelle vise à développer une représentation de deux à quatre niveaux hiérarchiques des principales fonctions et sous-fonctions de l’organisation. De manière générale, ces fonctions se distinguent des processus en cela qu’elles sont indépendantes, non chronologiques, et qu’elles se concentrent généralement sur un même objet (par exemple, la gestion des ressources humaines, la gestion des technologies, la gestion des finances, etc.). Loin d’être parfaite puisque certains processus horizontaux traversent les fonctions (voir Alberts et al., 2010 pour une discussion détaillée), cette approche est utilitaire car elle répond aux principes théoriques de la macro-évaluation archivistique tout en permettant à l’analyse des processus d’être divisées par groupes d’activités. De plus, l’expérience démontre que très souvent les fonctions correspondent plus ou moins précisément à la structure de l’organigramme d’une organisation. Il devient alors plus aisé d’orchestrer les entrevues pour analyser les processus métier en fonction de ces sous-groupes, quitte à rassembler des employés appartenant à différentes unités administratives dans le cas des processus transversaux.

Avant de procéder à des entrevues pour développer le modèle fonctionnel, il s’agit d’abord de produire un modèle préliminaire à l’aide de la documentation disponible, incluant l’énoncé de mandat et de mission de l’organisation, les modèles d’affaires existants, le cadre de mesure de la performance, les rapports annuels, l’organigramme, les descriptions de tâches, les rapports d’audits internes et externes, les politiques et les lois pertinentes. On examinera alors le mandat principal de l’organisation, ainsi que les activités permettant de réaliser ce mandat, incluant les activités métier, les activités administratives et les activités de gouvernance stratégique. Ces activités seront alors regroupées en fonctions autonomes.

Pour faciliter cette analyse, une approche « orientée objet » empruntée à la programmation informatique est utilisée, puisqu’elle permet de regrouper hiérarchiquement des entités plus ou moins concrètes en fonction de leurs propriétés (voir Sage, 2019).  Dans cette approche (voir la figure 2), la racine de la hiérarchie réfère à des groupes d’activités portant sur des entités abstraites (telles que « l’adhésion des membres », « la certification des membres » et le « développement professionnel ») en se décomposant en activités qui produisent des entités plus concrètes. Au terme de la décomposition fonctionnelle, qui comportera deux à quatre niveaux de spécificités, il sera possible d’identifier les processus métier que l’on reconnaîtra grâce aux objets/extrants, par exemple les « inscriptions », les « plaintes » et les « procédures disciplinaires ».

 

Figure 2. Extrait de modèle fonctionnel avec identification des processus

Analyse des processus métier

Dans la littérature d’affaires, on définit généralement un processus métier comme une « collection de tâches structurées et connexes qui génèrent un produit ou un service spécifique pour répondre à un certain objectif pour un acteur ou un ensemble d'acteurs particulier » (Krogstie, 2013, p.1, traduction libre). La manière traditionnelle de considérer les processus est en termes de transformation, selon une approche IPE (intrant-processus-extrant) (Krogstie, 2013, p.1). Parce que ce sont des modèles abstraits et flexibles, il importe de définir les objectifs très précis de l’exercice de modélisation des processus métier. En effet, il est très facile de se perdre au cours de l’exercice, en y consacrant un niveau de détail superflu.

Dans la méthodologie, l’analyse des processus métier se concentre sur l’identification de l’information produite ou reçue dans le cadre des activités de l’organisation. Cette analyse est réalisée durant des entrevues rassemblant les principaux intervenants des processus, qui peuvent provenir de différentes unités administratives ou appartenir à différents niveaux hiérarchiques. Durant ces séances, l’analyste se concentre sur les activités qui génèrent de l’information ; cette prise de position est importante car elle aura une influence sur le résultat de la modélisation. Au terme de ces séances, on aura identifié les avoirs informationnels pour chaque processus, sous forme de carte détaillée ou de formulaire, ainsi qu’une évaluation de leur « valeur » pour l’organisation (nous élaborerons sur le concept de « valeur » dans la discussion).

De manière générale, les cartes détaillées sont utilisées pour les processus qui génèrent davantage de valeur (processus opérationnels directement en lien avec la mission de l’organisation) alors que les formulaires, qui comprennent une liste sommaire de documents associés à chaque processus, sont élaborés pour les processus secondaires administratifs ou de gouvernance. La figure 3 offre un extrait de carte de processus métier résultant de cette approche :

 

Figure 3. Extrait de carte de processus métier

La figure 3 illustre comment l’information produite et reçue dans le cadre d’un processus d’avis juridique acquiert de la valeur aux différentes étapes. Dans ce processus, les avoirs informationnels sont identifiés comme intrants ou extrants au-dessus de chaque tâche. L’information en noir a été identifiée par le groupe qui a pris part à l’exercice de modélisation (incluant l’archiviste de l’organisation) comme étant critique, et devant être conservée à long terme dans un système archivistique. L’information en gris a été identifiée comment ayant de la valeur d’affaires pour l’organisation, c’est-à-dire qu’elle est essentielle au quotidien pour compléter le processus et doit être conservée dans un système de gestion documentaire, mais pas à long terme. Finalement, l’information identifiée à l’aide des symboles blancs possède une valeur temporaire ou intermédiaire, c’est le cas ici d’un gabarit de document – le modèle d’avis. Ce qui est intéressant de noter dans cet exemple, c’est la variété des formes des avoirs informationnels recensés (par exemple, la demande d’avis est un courriel, le tableau de suivi une base de données et le projet d’avis un document formel). On constate également que le « projet d’avis » comporte différentes versions ainsi que des commentaires additionnels, qui auront de la valeur à court terme jusqu’à l’aboutissement du processus. Au terme du processus (qui n’est pas visible ici à la figure 3), c’est l’avis juridique signé qui acquiert de la valeur archivistique. La représentation du processus révèle également que ce sont les juristes qui ajoutent davantage de valeur à l’information afin de produire les extrants.

Dans le cadre de la méthodologie, la représentation des processus métier répond ainsi à plusieurs objectifs, qui doivent être alignés aux objectifs stratégiques de l’organisation étudiée. Tout d’abord, l’analyse de processus complète la décomposition fonctionnelle au dernier niveau de la hiérarchie des activités de l’organisation, remplissant les objectifs de conformité en matière de gestion des documents d’archives (dont le développement du calendrier de conservation). En permettant l’identification de l’information produite ou reçue sous toutes ses formes documentaires (courriel, rapport officiel, message texte, données structurées, etc.), la représentation des processus supporte l’identification des avoirs informationnels de l’organisation, en démontrant où, quand et comment l’information acquiert de la valeur. L’analyse des processus permet également d’examiner le point de création de l’information au sein des flux de production et de contrôler les différentes versions documentaires ainsi que leur valeur respective.

Dans une perspective de gouvernance de l’information, la méthodologie génère des processus qui se concentrent sur les « objets » informationnels, en révélant quels systèmes sont nécessaires pour les produire et les gérer, les risques d’affaires associées à certaines pratiques, et les besoins de collaboration entre les différents intervenants. Parce qu’une approche participative est adoptée lors de l’exercice d’élicitation du processus, la méthodologie contribue à conscientiser, former et faire adhérer les employés à l’importance des bonnes pratiques de gestion de l’information. Au cours des entrevues pour représenter les processus, les employés parviennent à négocier ou renégocier certaines approches pour améliorer les flux informationnels, ce qui a une incidence positive sur les performances de l’organisation.

En mettant l’emphase sur les pratiques de production de l’information et sur les objets informationnels résultants à chaque étape, l’analyse des processus métier dans une perspective de gouvernance de l’information révèle quelles pratiques de travail ajoutent davantage de valeur pour une organisation, contribuant ainsi à la mesure de la performance. Dans l’exemple de la figure 3, on pourrait associer au processus de production d’avis juridique différentes mesures d’évaluation de la performance, telles que le nombre d’avis juridiques produits, le temps exigé pour produire un avis, le nombre d’intervenants nécessaires pour formuler l’avis juridique ou le niveau de qualité de l’avis juridique final. De plus, cette façon de représenter les processus métier supporte l’identification des risques d’affaires associés à certaines pratiques de gestion de l’information, en permettant au spécialiste de l’information de concentrer ses efforts sur les pratiques dont le seuil de criticité est élevé. Finalement, tel que nous le verrons au point suivant, l’analyse des processus métier est incontournable pour développer une architecture de l’information cohérente, véritable pierre angulaire d’un programme de gouvernance de l’information.

Développement de l’architecture de l’information

Smallwood (2020, p.26) stipule qu’un programme de gouvernance de l’information réussi dépend de l’utilisation d’un vocabulaire contrôlé et centralisé, découlant d’un effort collaboratif entre les différentes branches de l’organisation. Il s’agit de s’entendre sur la définition et l’utilisation des termes employés dans l’organisation afin d’améliorer les performances lors de la classification et du repérage de l’information à l’aide des métadonnées. Suivant cet objectif, la méthodologie développe, à partir de la décomposition fonctionnelle et de l’analyse des processus métier, une architecture de l’information, définie ici comme un modèle d’information sémantique et conceptuel qui peut être utilisé pour décrire toutes les informations produites dans une organisation sur une base cohérente et contrôlée. La figure 4 situe l’architecture de l’information au sein de la méthodologie.

Figure 4. Architecture de l’information d’affaires

La figure 4 illustre comment le modèle d’affaires, qui comprend la décomposition fonctionnelle et les processus d’affaires, agit comme point d’ancrage de l’architecture de l’information. En effet, c’est à partir du modèle hiérarchique des fonctions et des représentations de processus métier (les cartes ou les formulaires) que le modèle d’information est développé. Le modèle d’information inclut différentes perspectives (ou « facettes ») pour décrire les informations d’affaires à l’aide des métadonnées. Ces facettes regroupent des taxonomies de termes contrôlés qui représentent les facettes nécessaires pour décrire chaque objet informationnel, notamment : 1) la fonction et la sous-fonction métier ; 2) le nom du processus métier ; 3) le rôle du créateur de l’information au sein du processus ; 4) la structure organisationnelle responsable de l'information ; 5) le mode d’organisation du travail (titre du projet, nom du comité, numéro du cas, etc.) ; 6) le type ou genre de document ; 7) d’autres facettes pertinentes relevées durant l’exercice de modélisation du processus (voir Mas & Marleau (2009) pour plus de détails sur ce modèle).

Le modèle d’information établit également des relations sémantiques entre les différents champs de métadonnées et/ou termes contrôlés au sein de ces champs (par exemple, un projet X ne peut être qu’associé au processus X, un rôle Y est toujours rempli au sein de la fonction Y, etc.). En passant par le développement d’un modèle d’affaires pour développer le modèle d’information, la méthodologie contribue à préserver le lien essentiel entre l’objet informationnel et son contexte d’affaires. Puisque les objets informationnels produits ou reçus au sein d’un même processus métier sont définis à l’aide de métadonnées sémantiquement liées, les actions et prises de décision au sein de l’organisation sont documentées de manière transparente et cohérente dans l’ensemble de l’organisation.

Conceptuelle et indépendante des différents systèmes utilisés pour l’implémenter, l’architecture de l’information diffère de l’architecture d’entreprise qui se concentre principalement sur l’intégration des systèmes informatiques. Pour les différents acteurs impliqués dans la gouvernance de l’information, l’architecture de l’information permettra de dériver les différents outils nécessaires à une gestion performante de l’information, comme par exemple les schémas de métadonnées au sein des différents systèmes de gestion documentaire, le développement des bases de données structurées, les taxonomies de sites web, le plan de classification des documents administratifs, la structure de dossiers partagés, la gestion des accès et de la sécurité informatique, les indicateurs de performance, etc.

Avec en main une méthodologie unique permettant de comprendre les mécanismes de génération de la valeur inhérente à l’information, au moment de sa création au sein des processus métier, les spécialistes de l’information, les gestionnaires de stratégies d’entreprises et les responsables des technologies disposent d’une approche concertée pour gérer « la totalité des avoirs de l’organisation, dans une perspective de contrôle et de conformité » (Smallwood, 2020, p.8). Ce défi, au cœur des pratiques de gouvernance de l’information, soulève de nouvelles questions quant au rôle du spécialiste de l’information et à l’étendue de ses champs d’expertise, qui doivent non seulement porter sur l’évaluation archivistique des documents dans une perspective de conformité, mais également comprendre des compétences en analyse de processus d’affaires et en évaluation des performances.

DISCUSSION

Selon l’ARMA qui a récemment publié un manuel sur la gouvernance de l’information, c’est le professionnel de l’information qui doit aujourd’hui jouer un rôle de leadership et de coordination des différentes parties prenantes concernées par une gestion de l’information efficace (ARMA, 2018, p.7). Alors que la gestion de l’information se concentrait principalement sur la supervision du cycle de vie de l’information et le support aux usagers, les professionnels d'aujourd'hui nécessitent des compétences beaucoup plus larges. Ici, la méthodologie révèle qu’en associant la gestion du cycle de vie de l’information à la réalisation efficace des différentes étapes d’un processus, on assure une plus grande efficacité pour les employés, tout en facilitant la reddition de comptes, la transparence et l’application des principes de bonne gouvernance.

Dans les dernières décennies, on a heureusement assisté aux aspirations grandissantes d’une culture de la transparence, amenant un accroissement des attentes relatives à l’adoption de saines pratiques de gestion d’entreprise. De plus en plus, la haute gestion subit des pressions afin que la réalisation des processus soit conforme aux normes de performance et aux exigences législatives en vigueur. Ceci a largement contribué au rapprochement nécessaire des pratiques de gestion de l’information et des pratiques propres à l’évaluation des performances. De manière générale, les pratiques d’évaluation des performances consistent à déterminer les objectifs de l’organisation pour ensuite mesurer l’accomplissement de ces objectifs à l’aide des produits résultant des processus d’affaires, mesurables principalement grâce aux avoirs informationnels. Pour le spécialiste de l’information, il s’agit aujourd’hui d’atteindre un haut niveau de transparence organisationnelle en identifiant ces avoirs, ce qui n’est pas différent de son rôle traditionnel. Ce qui importe, c’est l’adoption d’un langage commun permettant aux deux pratiques de communiquer. C’est ici que le concept de processus métier acquiert une importance capitale. À titre de langage commun et éprouvé, le processus facilite l’homogénéisation des pratiques et le transfert des connaissances entre les archivistes et les planificateurs stratégiques.

Ainsi, dans le cadre de la méthodologie, l’archiviste comme gestionnaire de l’information opérationnelle se concentre davantage sur la valeur des ressources documentaires, dès leur point de création dans les processus. Cette valeur peut être envisagée suivant différents critères tels que la « monétisation directe » (par exemple, la vente de données ou de produits et services d’information) (Laney, 2017, p.67) ou la « monétisation indirecte » visant par exemple à améliorer les efficiences, réduire mesurablement les risques, développer de nouveaux produits et marchés, et construire et solidifier les relations avec les partenaires (Laney, 2017, p.68). Cette perspective opérationnelle vient enrichir l’approche fonctionnelle et les principes de la macro-évaluation archivistique qui se concentre davantage sur la valeur sociétale des documents en fin de vie.

Ainsi, l’évaluation des performances propres à un processus est intimement liée à la capacité de mesurer la valeur des actifs informationnels, souvent qualifiée comme étant intangible (Laney, 2017). En adoptant une approche participative et multidisciplinaire dans l’examen des pratiques d’affaires, la méthodologie décrite dans cet article met en œuvre des stratégies d’évaluation des actifs informationnels qui contribuent à l’évaluation des performances des processus, en sciences de l’information ou autre.

CONCLUSION

La méthodologie introduite dans cet article comporte des dimensions qui sont à la fois pratiques et théoriques. D'un point de vue pratique, la méthodologie comprend un ensemble d’étapes, applicables et adaptables à différents contextes organisationnels, permettant de représenter efficacement les processus métier à des fins gestion de l’information et de gouvernance. À l’aide de cette méthodologie, les consultations réalisées auprès des employés supportent efficacement, et de manière holistique, l'identification des ressources informationnelles à valeur opérationnelle au moment de leur création, la représentation des flux d'information internes et externes et le développement des métadonnées nécessaires à leur gestion. De ce fait, la méthodologie agit comme point d’ancrage pour la mise en place d’un programme de gouvernance de l’information, en rassemblant les différents membres de l’équipe consacrée à son établissement, par exemple la sécurité, les technologies, le support légal et la planification stratégique.

D'un point de vue théorique, les concepts traditionnels empruntés à l’archivistique tels que la « macro-évaluation » et « l'analyse fonctionnelle » sont enrichis afin de fournir un cadre tenant compte des nouvelles exigences en matière de gouvernance de l’information. Des concepts issus du domaine des affaires tels que « l’analyse des processus métier », les « indicateurs de performance » et la « valeur opérationnelle de l’information » sont utilisés pour combler les lacunes des méthodes traditionnelles en science de l’information. L’approche introduite ici amène une meilleure compréhension des chevauchements qui existent entre la gestion de l'information et la mesure du rendement en se concentrant sur les dimensions des processus métier qui peuvent être exploitées pour atteindre la conformité en matière gouvernance de l’information.

Selon Smallwood (2020, p.8), la première étape pour justifier l’existence d’un programme de gouvernance de l’information consiste à être en mesure de calculer de manière convaincante les coûts des avoirs informationnels, puis de découvrir les moyens de récupérer ces coûts en générant de la valeur. Pour cet auteur, ce sont des « compétences fondamentales pour les professionnels de l'information dans la nouvelle ère des données volumineuses et de l'infonomie » (Smallwood, 2020, p.132, traduction libre). C’est ici que les compétences traditionnelles du spécialiste de l’information, notamment les pratiques associées à l’évaluation archivistique, constituent un août indéniable.

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