Abstract : Artificial Generative Intelligence (AGIs) are currently being developed on a massive scale, particularly in higher education. The many educational promises they hold for both teachers and students raise several questions.
In this article, we examine the integration of AGIs into university teaching. We use an empirical-inductive approach based on quantitative data collection (student survey) and qualitative data collection (in situ pedagogical experiments), which we pass through the sieve of statistical analysis (for quantitative data) and thematic content analysis (for qualitative data).
In terms of results, this survey enables us to identify various assets and challenges inherent in integrating AGIs into university courses. In terms of assets, we note the modernization and revitalization of teaching, as well as student awareness and education. In terms of challenges, we identify the management of students who are "resistant", "fractured", "disoriented", or "techno-delegators". Finally, we sketch out five more cross-cutting avenues for reflection: the interest - indeed, the necessity - of integrating AGIs into university teaching, of establishing a consultative and circular dynamic between students and teachers, and of encouraging and inculcating critical reflection and scientific research on these new tools. Ultimately, these avenues provide the keys to guiding teachers and students toward enlightened, critical, responsible, and sustainable use.
Keywords : AI (Artificial Intelligence), AGIs (Artificial Generative Intelligence), university teaching, student representations, pedagogical advantages/challenges
INTRODUCTION
Durant les dernières décennies, la société a été profondément transformée par le développement des Intelligences Artificielles (IAs) et, plus récemment, par l’expansion des Intelligences Artificielles Génératives (IAGs), entendues comme des IAs dans lesquelles les modèles sont entraînés pour générer du contenu original, sur la base d’une entrée de données en langage naturel.
Ces technologies offrent aux sociétés contemporaines une multitude d’opportunités. Elles s’avèrent capables de réaliser des tâches réservées jusque-là à l’être humain, voire, dans certains domaines, de surpasser l’intervention humaine, au moyen de programmes particulièrement puissants. Les IAGs transforment et “augmentent” notamment les processus d’information, de compréhension, d’analyse, et remodèlent les concepts de création, de production et de réception. Elles bouleversent ainsi la plupart des secteurs qui structurent nos sociétés, qu’ils soient économique, social, culturel ou technologique (emploi, éducation, recherche, santé, transports, divertissement…). Ainsi, à différentes échelles (macro/méso/micro), les IAGs s'immiscent dans le quotidien des sociétés et transforment les situations et les expériences.
Toutefois, les promesses d’innovation dont les IAGs sont porteuses ne vont pas sans soulever, dans le même temps, différentes interrogations sur les risques que peuvent introduire des outils aussi nouveaux (et donc encore peu maîtrisés) (Julia, 2019 ; Petit, 2021). En effet, les principes algorithmiques des IAGs peuvent notamment être sources d’informations erronées ou de déductions trompeuses. En outre, les IAGs peuvent être à l’origine de dérives, de manipulations, de dépendance ou d’isolement et laisser craindre, en cela, une mise à mal des normes, des valeurs et des droits qui prévalent dans nos sociétés (liberté, vie privée, équité…).
Dans le champ plus spécifique de l’enseignement supérieur, les IAGs sont à l’origine de nombreuses transformations, que cela soit dans les pratiques des enseignants (conception des ingénieries pédagogiques, élaboration des supports de cours, personnalisation des apprentissages, renouvellement des modalités d’évaluation…) ou dans celles des étudiants (recherche d’informations, réalisation de travaux, production de documents…). Dans ce contexte, il semble intéressant, voire nécessaire, de mener des expériences, des recherches, des études pour interroger comment les IAGs peuvent être intégrées - de façon maîtrisée, responsable, éthique et durable - dans les pratiques pédagogiques à l’université. Dans la présente contribution, nous situons dans un premier temps le contexte de notre recherche. Nous présentons plus spécifiquement les secteurs de l’éducation et de l’enseignement contemporain, particulièrement concernés par l’arrivée des IAGs. Puis, dans la continuité de cette contextualisation, nous précisons l’aspect que nous avons choisi d’interroger : l’intégration des IAGs dans l’enseignement supérieur. Dans un deuxième temps, nous exposons le canevas méthodologique que nous avons mis en place pour explorer cette question. Ce canevas repose sur la combinaison de deux techniques de recueil de données : un sondage (questionnaire) réalisé auprès d’étudiants en L1 information-communication ; deux expérimentations pédagogiques consistant à tester l’intégration d’une IAG dans deux enseignements. Enfin, dans un troisième temps, nous présentons les résultats de notre étude. Nous esquissons différentes pistes d’intégration des IAGs dans l’enseignement supérieur. Ces pistes constituent des clés pour les enseignants universitaires qui souhaitent sensibiliser et éduquer les étudiants à cette nouvelle technologie.
CONTEXTE
De nombreux débats et réflexions ont émergé, durant les dernières années, au sujet des IAs (Chartron et Raulin, 2022 ; Kiyindou et al., 2021 ; Kiyindou et al., 2022). Parmi ces débats, nous pouvons évoquer la question de l'assistance des humains par les IAGs, soit la faculté des outils d’IAG à assister les humains (Julia, 2019) comme des adjuvants. Dans la même perspective, des réflexions sont apparues autour de la question d’empowerment : ces dernières ont interrogé “la capacité des IA en encapaciter les humains” (Ganascia, 2017) et à accroître leurs facultés, qu’ils s’agissent de facultés fondamentales (calculer, percevoir, mémoriser) ou de facultés plus complexes, telles que la capacité au raisonnement scientifique, la créativité, artistique ou rationnelle.
De par ces différentes facultés, les IAGs ont transformé, de manière fulgurante, la plupart des sphères et activités de la société contemporaine, qu’il s’agisse des activités quotidiennes, professionnelles (Alcantara et al., 2020), sociales (Petit, 2021), culturelles (Ganascia, 2017), créatives, cognitives ou intellectuelles, Ainsi, et progressivement, ce phénomène, récent et total, a interrogé l’ensemble des acteurs du corps social, sur la place à accorder à ces nouveaux outils, la connaissance à en avoir, la régulation à en opérer, afin que ces derniers soient compris, appropriés et mobilisés le plus efficacement, le plus sûrement et le plus éthiquement possible, par les usagers qui décident d’y recourir.
Dans le présent propos, nous avons choisi de nous centrer sur un secteur particulièrement touché par les IAGs : le secteur de l’éducation (Balacheff et Vivet, 1994 ; Holmes et Tuomi, 2022; Romero et al., 2023 ; UNESCO, 2023) et plus précisément celui de l’enseignement universitaire (Bruneault et al., 2022). En effet, dans ce milieu, les IAGs (telles que ChatGPT, MidJourney, Google Bard, Dall-e) ont généré de profonds bouleversements (Balacheff, 1994 ; Holmes et Tuomi, 2022). Elles ont introduit, dans l’enseignement supérieur, un certain nombre d’opportunités (transformation des méthodes et supports d’apprentissage, personnalisation des parcours éducatifs, automatisation de certaines tâches pédagogiques, analyse de données massives…) et de défis pratiques et éthiques (confidentialité des données, fiabilité des informations générées par des IAGs, reproduction d’inégalités…) (Chen et al., 2022 ; Selwyn, 2022). En outre, les IAGs ont relancé un certain nombre de questionnements, tels que le taux de financement et d’équipement (matériel) des universités, les disparités entre les étudiants (Collin et Marceau, 2021) ou la nécessité de formation des enseignants, pour une adoption informée et critique des outils numériques. In fine, l’arrivée des IAGs - et leur développement exponentiel - a interrogé la place des enseignants, leurs pratiques (formatives, évaluatives…), le rôle qu’ils souhaitent donner aux technologies et la façon dont ils souhaitent les intégrer dans leurs scénarios pédagogiques.
Dans cette perspective, nous proposons, dans la présente contribution, de sonder le point de vue des étudiants sur ces nouveaux outils, et d’interroger la façon dont les enseignants peuvent mobiliser les IAGs. En outre, et plus largement, nous désirons questionner les enjeux que les IAGs peuvent porter dans l’enseignement supérieur, les incidences qu’elles peuvent avoir et les changements de paradigmes qu’elles peuvent impulser. Nous souhaitons esquisser un ensemble de pistes permettant aux enseignants universitaires d’intégrer les IAGs de façon pertinente, constructive et durable. Nous ambitionnons ainsi de livrer différentes recommandations sur l’intégration des IAGs dans l’enseignement supérieur, permettant de répondre aux réflexions des enseignants et aux attentes des étudiants.
MÉTHODOLOGIE
Approches convoquées
Approche micro-sociale
Afin d’étayer notre propos, nous avons déployé deux recueils de données (questionnaire et expérimentations dans deux de nos enseignements) permettant de sonder le point de vue des apprenants, puis d’expérimenter l’intégration d’IA en classe. Nous avons ainsi pris le parti de nous placer à un niveau micro-social d’observation et d’analyse. En effet, nous nous sommes concentrées sur les pratiques développées par des groupes d’acteurs relativement restreints, dans des contextes spécifiques, afin de saisir les points de vue et les dynamiques, individuels et collectifs, qui pourraient être perdus dans des analyses plus globales.
Approche info-communicationnelle
Nous avons en outre choisi d’adopter les principes de l’approche info-communicationnelle, qui préconise l’étude des phénomènes dans leur ensemble, dans leur épaisseur et leur complexité. Cette approche se caractérise par une conception constructiviste des phénomènes sociaux, qui postule que le sens d’une situation est co-construit par les acteurs et les objets qui y prennent part. Cette conception argue en outre que les processus se structurent à travers les affordances, soit les interactions des acteurs avec les objets et le monde qui les entourent, et la capacité des objets et systèmes à suggérer des usages possibles. Dans cette perspective, nous avons choisi de questionner à la fois les pratiques des étudiants et celles des enseignants, et nous avons appréhendé ces acteurs et leurs pratiques comme des éléments fondamentalement inter-reliés. Nous avons ainsi privilégié une grille de lecture info-communicationnelle, prenant en compte « amont et aval, dans une dynamique où la modification de l’un entraîne des effets, voire des modifications de l’autre » (Boukacem-Zeghmouri et Dillaerts, 2018).
Approche mixte
Nous avons par ailleurs opté pour une approche mixte, qui repose sur l’articulation de méthodes quantitatives et qualitatives, afin de tirer parti des forces de chaque type de données, et d’obtenir une compréhension plus complète et nuancée du phénomène étudié (Creswell et Plano Clark, 2017 ; Tashakkori et Teddlie, 2010 ; Bryman, 2006 ; Hesse-Biber, 2010). En effet, nous avons choisi de recourir à une approche mixte, en combinant : un questionnaire (permettant de faire émerger des données chiffrées et des données qualitatives concernant le rapport des étudiants aux IAs) et des expérimentations en classe (consistant à mettre les étudiants en situation de recours à une IA, et permettant de collecter des données qualitatives, telles que les usages, les réactions, les propos et les réflexions ayant émergé durant cette mise en situation). Notre démarche a ainsi consisté à articuler plusieurs techniques afin de nous adapter aux besoins spécifiques de notre étude et à nos questions de recherche. Nous avons cherché à combiner les forces de chaque approche (portée et étendue du quantitatif, profondeur et épaisseur du qualitatif) (Anadon, 2006) et à pallier les limites qui se seraient présentées à nous si nous avions mobilisé ces méthodes isolément (manque de profondeur du quantitatif, manque d’objectivité du qualitatif). Nous avons ainsi cherché à renforcer la solidité et la crédibilité de nos conclusions en confrontant les résultats émergeant de notre premier recueil de données (sondage) et ceux émergeant de notre deuxième recueil (expérimentations en classe). Ainsi, notre premier recueil (sondage) a constitué un socle, que nous avons complété par un deuxième recueil (expérimentations en classes) avant d'œuvrer à une interprétation synergique des résultats. La combinaison de ces techniques nous a permis d’obtenir des données diversifiées, complémentaires, et d'œuvrer à une compréhension holistique, plus transversale, de notre terrain.
Approche empirico-inductive
Enfin, nous avons mobilisé une approche empirico-inductive (Glaser et Strauss, 1967 ; Bryman, 2012), qui prône l’ancrage dans le terrain, et plus concrètement la réalisation d’observations et d’expériences, visant à générer une accumulation de données empiriques. En effet, le mode inductif, en “partant de l’observation particulière, [...] en reconstruit la cohérence interprétative de l’intérieur.” (Balslev et Saada-Robert, 2002). Il “consiste à aborder concrètement le sujet d’intérêt et à laisser les faits suggérer les variables importantes, les lois, et, éventuellement, les théories unificatrices” (Beaugrand, 1988). Dans cette dynamique, nous avons ainsi recueilli des données de terrain et nous avons cherché à identifier des constantes au sein de ces données, afin de formuler des généralisations et des théorisations. Ainsi, plutôt que de partir de théories ou d’hypothèses pour tester des prédictions spécifiques (approche hypothético-déductive), nous sommes parties du terrain - et des données du terrain - pour étudier, de façon approfondie et contextuelle, les acteurs et les situations en présence. Notre démarche s’est ainsi très largement ancrée dans le terrain : en effet, et d’une part, nous avons pris appui sur le terrain pour faire émerger nos pistes et nos recommandations. D’autre part, nous avons pris appui sur les résultats émergeant du premier recueil pour nourrir le recueil suivant.
RECUEIL DES DONNÉES
Pour ce qui est des recueils de données, nous avons articulé deux recueils de données complémentaires, au sein du département information-communication de l’université Paul Valéry de Montpellier.
Sondage mené auprès des étudiants
Ancrées dans notre volonté de recueillir les données au plus près des acteurs étudiants et enseignants, nous avons conçu (en janvier 2023) un sondage. Nous avons testé ce sondage, sous la forme d’une version alpha, auprès de 22 étudiants de L1 info-com et nous avons réajusté les questions à l’aune des réactions de ces étudiants. Nous avons ensuite adressé le sondage aux 373 étudiants de L1 info-com (cohorte à laquelle nous avions accès - car nous sommes enseignante référente de cette promotion - et qui nous intéressait particulièrement - car constituée de primo-entrants à l’université -). Le sondage a consisté à interroger les étudiants sur les IAGs en général, et plus précisément sur le recours aux IAGs dans l’enseignement supérieur. Il s’est structuré en quatre sections principales :
(1) Questions signalétiques (promotion, sexe) ;
(2) Rapport aux IAGs (“Avez-vous déjà mobilisé une Intelligence Artificielle Générative (type ChatGpt, Midjourney…) ?” ; “Si oui, laquelle ?” ; “Si oui, pour quelle(s) raison(s) ?”;
(3) Enjeux des IAGs dans l’enseignement (“Selon vous, quels peuvent être les atouts des IAGs pour les étudiants ?” ; “Selon vous, quels peuvent être les limites, les dangers des IAGs à l’université ? ”) ;
(4) Des pistes pour les enseignants ? (“Si vous étiez enseignant(e) à l’université, comment appréhenderiez-vous les IAGs ?” ; “Selon vous, quelle serait la meilleure façon d’intégrer les IAGs dans les cours ?”).
Nous avons transmis (par voie électronique) à tous les étudiants de la cohorte (n = 373 étudiants) un lien vers notre sondage, présenté sous la forme d’un questionnaire Google Forms. 307 étudiants (sur 373 étudiants dans la cohorte) ont répondu à notre sondage, ce qui représente un taux de réponse de 82,3%.
Expérimentations pédagogiques
Outre ce sondage, nous avons réalisé deux expérimentations pédagogiques. En effet, nous avons pris en considération les pistes formulées par les étudiants (via le sondage) pour intégrer une IAG (ChatGPT) dans deux enseignements : “Pratiques de l’Ecrit et de l’Oral” et “Pratiques de la publicité”. Nous avons choisi spécifiquement ces deux enseignements, car dans ces cours, nous demandons aux étudiants de s’informer et de concevoir des productions en un temps relativement contraint (des conditions dans lesquelles les étudiants ont dit recourir aux IAGs). Le premier enseignement, “Pratiques de l'Écrit et de l’Oral” (désormais noté PRÉO), est une conduite de projet-métier dans laquelle nous amenons les étudiants de L1 à s’informer sur un métier et à préparer une interview avec un professionnel exerçant ce métier. Dans ce cours (PREO), l’expérimentation (en octobre 2023) a consisté à proposer aux étudiants (trois groupes de 45 étudiants) d’utiliser ChatGpt durant la séance dédiée à la conception du guide d’entretien. Le deuxième enseignement, “Pratiques de la publicité” (désormais noté PDP) est un atelier publicitaire dans lequel nous amenons les étudiants de L2 à concevoir, chaque semaine, et en équipe, une création publicitaire de format différent : print, audio, vidéo, numérique… Dans ce cours (PDP), l’expérimentation (en février 2023) a consisté à proposer aux étudiants (quatre groupes de 45 étudiants) d’utiliser ChatGpt durant deux séances : l’une consacrée à la conception d’une création publicitaire au format print et l’autre consacrée à la conception d’une création publicitaire au format audio. Durant les deux expérimentations (PREO et PDP), nous avons pris soin de consigner, dans un journal de bord, tous les événements marquant le passage de ces deux enseignements à leur “nouvelle-version-avec-IA” : le scénario pédagogique des deux expérimentations (scénario de l’activité proposée aux étudiants) ; les notes d’observations consignées par écrit immédiatement après les expérimentations (constats, difficultés, questionnements, réflexions, décisions, réajustements, choix didactiques, satisfactions, déceptions…), les propos exprimés par les étudiants (dans le sondage ; durant les expérimentations en classe ; ou lors des évaluations du dispositif administrées en clôture de nos deux dispositifs pédagogiques). Nous avons ensuite pris appui sur ce journal de bord - consignant ainsi toutes les traces et les relevés expérientiels de notre action - pour étudier les incidences que peut avoir l’intégration d’IAGs dans les enseignements universitaires.
ANALYSE DES DONNÉES
Pour ce qui est de l’analyse des données, nous avons combiné dépouillement statistique et analyse de contenu thématique (Paillé et Mucchielli, 2005 ; Bardin, 2013; Miles et Huberman, 2003). Nous avons mobilisé une analyse statistique pour analyser les parties quantitatives du sondage (réponses aux questions fermées : “Avez-vous déjà mobilisé une IAG?” ; “Si oui, laquelle?”). Et nous avons recouru à une analyse thématique de contenu (Paillé et Mucchielli, 2005) pour identifier les éléments récurrents et les points saillants dans les parties qualitatives du sondage (réponses aux questions ouvertes : “Si oui, pour quelles raisons” ; ““Selon vous, quels peuvent être les atouts des IAGs pour les étudiants ?” ; “Selon vous, quelles peuvent être les limites, les dangers des IAGs à l’université ?” ; “Si vous étiez enseignant(e) à l’université, comment appréhenderiez-vous les IAGs ?” ; “Selon vous, quelle serait la meilleure façon d’intégrer les IAGs dans les cours ?”) et dans le journal de bord de nos expérimentations.
Cette analyse thématique de contenu a consisté à identifier, d’abord séparément, les éléments récurrents dans les réponses au sondage et dans le journal de bord. Nous nous sommes donc penchées sur les réponses données par les étudiants aux questions ouvertes du sondage, et nous avons découpé ces contenus textuels en unités, avant de classer ces unités en catégories, selon des regroupements analogiques. Nous avons effectué la même démarche sur le journal de bord. Cette démarche nous a permis d’identifier, de nommer et de classer les thématiques majeures émergeant du questionnaire et du journal de bord, et les principales catégories constituant notre matériau.
Après avoir mené ces analyses de contenu “cloisonnées”, nous avons confronté les points saillants ayant émergé du questionnaire, et ceux ayant émergé du journal de bord. Nous avons ainsi procédé à une analyse de contenu “comparée”, visant à identifier les analogies et les écarts entre nos différents recueils.
Enfin, nous avons confronté les résultats ainsi dégagés à diverses références théoriques. A travers cette double démarche (analyse de contenu et confrontation à des travaux académiques), notre objectif était d’interroger - scientifiquement – les enjeux portés par l’intégration d’IAGs dans les enseignements universitaires.
RÉSULTATS
1 Sondage auprès des étudiants et pistes d’intégration des IAGs à l’université
L’enquête menée auprès des étudiants nous a appris que ces derniers avaient déjà majoritairement utilisé des IAGs (à 92%), et tout particulièrement ChatGPT (à 71%). En outre, en ce qui concerne les motifs de recours aux IAGs, les étudiants ont indiqué qu’ils les mobilisent principalement pour “s’informer”, “trouver des idées”, “de l’inspiration”, et “passer à la rédaction”.
Pour ce qui est des pistes d’intégration (pédagogique) de ces nouveaux outils, les étudiants ont pointé la nécessité de “lever les tabous”. En effet, dans le cadre du sondage, ces derniers ont indiqué qu’“à l’université, l’IA c’est un peu tabou”, “on [n’]en parle pas trop avec les profs, et ce qu’on nous dit le plus, c’est les risques si on s’en sert”. Ils ont indiqué qu’il est “dommage que les profs associent quasi tout le temps l’IA au plagiat et donc à des sanctions”. Les étudiants ont en outre souligné qu’“à cause du tabou qui est autour, on n’apprend pas à bien s’en servir” : “comme on ose pas en parler parce qu’on a l’impression que c’est mal, on s’en sert en cachette”, “et donc [on] les utilis[e] mal, bêtement, [on] fai[t] juste des copier-coller”. A travers ces propos, les étudiants semblent ainsi déplorer que les enseignants n’ouvrent pas le débat (avec les étudiants) sur les IA, et alertent pour l’instant davantage sur les dangers du recours à ces outils et sur le fait que ce recours peut être interprété comme une fraude.
Les étudiants pointent ainsi la nécessité de “lever les tabous” sur les IAs à l’université, “en parlant avec les étudiants”, en “introduisant les IA dans les cours”, “en démarrage” d’activités pédagogiques par exemple. Cette démarche permettrait, selon les étudiants, d’“ouvrir la parole entre les enseignants et les élèves et de “sensibiliser concrètement les étudiants [aux] […] IAs”. Ces différents éléments, formulés par les étudiants, font écho à certaines études (Valluy, 2024) pointant l’importance d’inviter les étudiants à recourir aux IA, pour ouvrir le débat avec les apprenants, déculpabiliser le recours aux IA dans l’enseignement supérieur, et s’affranchir ainsi, progressivement, du tabou social qui se développe dans les universités, et qui se concentre particulièrement sur les utilisations clandestines des IAs par les étudiants, et sur les problèmes éthiques que ces pratiques peuvent introduire.
Les différentes pistes ayant émergé du sondage (et que nous venons de présenter) nous ont peu à peu permis de concevoir une expérimentation pédagogique, centrée sur l’intégration d’une IAG dans un enseignement : en appui sur ces pistes, nous avons en effet choisi d’intégrer ChatGPT (plateforme majoritairement citée par les étudiants enquêtés) dans deux de nos cours, PRÉO et PDP : deux cours mettant les étudiants au défi de produire des contenus en un temps restreint (soit une situation dans laquelle ces derniers ont dit avoir tendance à recourir aux IAGs). Dans ces deux cours, et comme suggéré par les étudiants dans le sondage, nous avons proposé aux apprenants de mobiliser ChatGPT comme starter de séance et de l’utiliser pour trouver des informations et des idées (en PRÉO : des idées pour leur interview-métier, et en PDP : des idées pour leur création publicitaire). Ces expérimentations nous ont permis d’identifier différents atouts et défis inhérents à l’intégration d’IAGs dans un enseignement universitaire.
Atouts liés à l’intégration d’IAGs dans un enseignement universitaire
Les expérimentations que nous avons menées au sein de nos deux enseignements nous ont permis de saisir différents atouts liés à l’intégration d’IAGs dans un enseignement universitaire.
D’abord, cette intégration d’IAG a permis de lever le tabou sur ces nouveaux outils, une attente largement formalisée par les étudiants (57) dans le cadre du sondage. En effet, le fait de mobiliser une IAG en classe, de présenter ce choix pédagogique aux étudiants (en début de séance) a permis d’initier un échange, une conversation, et ainsi de lever le tabou qui pouvait exister autour de cette technologie.
En outre, le fait de pousser les étudiants à devenir usagers d’une IAG, et à mener une réflexion sur leurs usages, les a conduits à prendre la parole et à amorcer un processus critique sur les IAGs en général, et tout particulièrement sur les enjeux portés par les IAGs à l’université.
L’intégration d’une IAG au sein de notre dispositif nous a par ailleurs permis de moderniser notre enseignement. En effet, les étudiants ont indiqué avoir “apprécié d’utiliser des outils modernes”, “des nouvelles technologies” et d’avoir “pu aborder ces outils contemporains”, “qui sont dans l’air du temps”, voire “qui représentent l’avenir”.
En plus de la modernisation de notre enseignement, l’intégration de ChatGPT en starter de séance nous a permis de dynamiser le cours, de créer une situation d’apprentissage stimulante, en utilisant l’IAG comme un incubateur d’idées, débloquant parfois les démarrages difficiles. Sur ce point, les étudiants ont notamment indiqué que le recours à ChatGPT leur a permis de “trouver de l’inspiration”, “des idées”, de les “débloquer” et de leur permettre de “se lancer”.
Enfin, le recours à ChatGPT en classe a constitué une opportunité de sensibiliser les étudiants aux forces et aux limites des IAGs. En effet, nos expérimentations - en invitant les étudiants à mobiliser une IA, puis à s’interroger sur les résultats générés par cet outil - nous ont amenées à débattre, en séance, au sujet des atouts et des faiblesses des IAGs.
Pour ce qui est des forces, nous avons notamment souligné la capacité des IAGs à traiter un grand nombre de données, à offrir en un temps très court une compilation, voire, dans certains cas, une synthèse structurée sur un sujet (en l’occurrence : en PRÉO, des compilations sur des métiers, et en PDP, des compilations sur des marques). Sur ce point, les étudiants ont en effet pointé la capacité des IAGs à “donner des synthèses très claires en très peu de temps”, à “fournir des résumés simples et structurés sur des sujets”.
Pour ce qui est des limites, nous avons pu aborder avec les étudiants le caractère souvent standardisé et superficiel des contenus générés par les IAGs, et la nécessité de mobiliser une capacité de réflexion, un recul critique, pour remettre en question ces contenus, et concevoir des productions plus poussées, plus critiques, plus originales, plus personnalisées. Pour ce qui est de la dimension standardisée, les étudiants ont notamment souligné, en PRÉO, qu’“on obtient quasiment les mêmes guides d’entretien alors qu’on est tous sur des métiers différents” ; en PDP, ils ont indiqué que les supports publicitaires générés par l’IA “sont déjà vus”, “ressemblent à des pubs qui existent déjà”, et n’ont “rien d’original”. Pour ce qui est de la superficialité des contenus produits par IA, les étudiants ont souligné, en PRÉO, combien “les questions proposées ChatGPT [pour l’interview étaient] prévisibles” et “lambda” ; en PDP, ils ont regretté que les contenus générés par l’IA soient “creux et plat[s]” et “[n’aillent] pas très loin, […] reste[nt] en surface”.
Enfin, outre les débats que nous venons de pointer (sur les atouts et les limites des IAGs) le fait d’inviter les étudiants à recourir à ChatGPT en classe nous a donné l’opportunité d’échanger, avec les étudiants, sur les usages d’IAGs qui peuvent s’avérer discutables, voire condamnables : nous avons notamment abordé les questions de “vérification des sources”, de “copier-coller”, de “plagiat” ou de non-respect de “propriété intellectuelle”…
In fine, le scénario de nos expérimentations, en s’ancrant dans une double dynamique d’intégration / questionnement d’IA en classe, a consisté à ne pas assimiler exclusivement les IAGs à des opportunités ou à des dérives. Durant ces expérimentations, nous nous sommes en effet employées à instiller une dynamique de sensibilisation et d’éducation aux IAGs (Alexandre et al., 2023), afin d’aiguiser l’esprit critique des étudiants, et leur permettre de développer des usages éclairés, raisonnés, réfléchis et responsables. Nous avons cherché à leur faire comprendre que les IAGs ne sont ni strictement exemptes d’atouts, ni strictement exemptes de failles, mais peuvent être ou devenir des technologies starters, à utiliser avec prudence et intelligence. Le scénario de nos expérimentations a ainsi consisté à penser une intégration éducative des IAGs dans nos enseignements : nous avons en effet introduit une IA en classe, afin de mettre les étudiants en situation d’usage, et d’impulser une dynamique d’éducation à ces outils : plus précisément, une éducation nuancée, soulignant à la fois le potentiel et les limites de ces nouvelles technologies.
A travers cette démarche, nous avons cherché à répondre aux attentes des étudiants enquêtés. En effet, nous nous sommes efforcées de concevoir un scénario pédagogique en phase avec les attentes formulées par les étudiants dans le sondage (ces derniers avaient souligné, dans le questionnaire, la nécessité de former les étudiants aux IAs, d’ouvrir le débat sur ces outils et d’expliciter à la fois les forces et les limites de ces nouvelles technologies).
Nous avons également cherché à proposer un scénario pédagogique en adéquation avec les besoins des jeunes générations d’apprenants. En effet, le scénario de nos expérimentations a concrètement consisté à initier, former, sensibiliser les étudiants à des outils qui font aujourd’hui indéniablement partie du paysage universitaire : permettre à ces étudiants de recourir sereinement à ces nouveaux outils, en favorisant “leur processus d’appropriation et de création de connaissance, leur esprit critique et leur réflexivité” (COSSI, 2024).
Défis inhérents à l’intégration d’IAGs dans un enseignement universitaire
Outre les atouts que nous venons de pointer, les deux expérimentations conduites dans le cadre des cours PRÉO et PDP nous ont permis d’identifier un certain nombre de défis - soit des difficultés - inhérents à l’intégration d’IAGs comme starters de séances et comme soutien à la créativité et à la production de contenus. Nous avons choisi de présenter ces défis à travers une typologie, issue de l’analyse de contenu que nous avons menée (d’abord de façon cloisonnée, puis de façon comparée) sur le sondage et le journal de bord.
Cette typologie esquisse quatre types de réactions aux IAs qui ont particulièrement émergées, chez les étudiants, durant nos investigations, et ont chacune impliqué la recherche et la mise en œuvre d’une stratégie pédagogique adaptée. Ces réactions révèlent à la fois différentes représentations, différents rapports des étudiants aux IAGs, et, dans le même temps, différents profils d’étudiants-usagers des IAGs.
Le premier profil que nous avons identifié est celui des étudiants “réfractaires”. Ces derniers refusent de recourir aux IAGs pour des raisons personnelles, souvent liées à la “confidentialité des données”, aux “risques au niveau des données” et plus largement à l’“éthique des IAs” et à la question de la “privacy”. Nous retrouvons, dans ce profil de “réfractaires”, un large spectre de représentations et de positionnements, relativement hétérogènes, allant des “réfractaires-sceptiques” aux “réfractaires-boycotteurs”. En ce qui concerne les “sceptiques”, nous faisons référence à des étudiants qui s’interrogent et s’inquiètent principalement sur “les risques des algorithmes”, sur “ce que vont devenir nos données”, sur “l’utilisation qui sera faite des données qu’on va donner aux IAs”. Les “boycotteurs”, quant à eux, rejettent plus radicalement le recours aux IAGs. Ces derniers sont convaincus que les IAGs sont “dangereuses” et “vont avoir des effets catastrophiques sur notre société”. Ils font tout pour démontrer qu’elles ne sont d’“aucune utilité”, qu’elles “empêche|nt] de réfléchir”, et qu’elles enferment, “brident les idées”, “la réflexion”, la “créativité” humaines.
Le deuxième profil que nous avons identifié est celui des étudiants “en fracture”. Ces derniers ne s’opposent pas au recours aux IAGs (à l’université ou en dehors), mais ils rencontrent des difficultés pour les mobiliser. Ces difficultés peuvent être liées à des fractures techniques ou fonctionnelles (dysfonctionnements, “problèmes de connexion”, “bugs”...), des fractures socio-économiques (non possession de matériel, d’équipement…) ou des fractures socio-culturelles (non possession des compétences ou des littératies requises pour mobiliser les IAGs).
Le troisième profil que nous avons identifié est celui des étudiants “désorientés”. Ces derniers ne sont pas opposés à la mobilisation des IAGs, et ne rencontrent pas de difficultés particulières (techniques, socio-économiques ou socio-culturelles) ; mais ils “ne [savent] pas quoi faire des résultats”. Dans ce profil d’étudiants “désorientés”, nous retrouvons des étudiants qui peinent à se détacher des contenus générés par ChatGPT, et nous demandent s’ils “[peuvent] recopier les résultats donnés par ChatGPT [et] les garder tels quels ou [s’ils doivent] changer des choses”. Ils éprouvent ainsi une difficulté à penser par eux-mêmes, à prolonger les résultats générés par la plateforme, et à en déduire, voire en produire des nouveaux, en autonomie. D’autres étudiants sont également désorientés, car ils tentent de s’approprier les contenus générés par ChatGPT, mais ils se fourvoient dans des hors-sujets ou des non-sens par rapport aux objectifs que nous avons fixés (conception d’un guide d’entretien en PRÉO ; création publicitaire en PDP). Dans ces différents cas de figure, le recours aux IAGs peut s’avérer contre-productif, dans la mesure où les contenus générés par ChatGPT brident ou déroutent les étudiants plus qu’ils ne les aident. Certains étudiants indiquent à ce titre qu’il “aurait été moins compliqué de chercher des idées nous-mêmes” et qu’ils “aurai[en]t été plus libres, plus à l’aise si on n’avait pas été obligés d’utiliser ChatGPT”.
Enfin, le dernier profil que nous avons identifié est celui des étudiants “techno-délégateurs”. Ces derniers délèguent entièrement leur capacité réflexive et créative à l’IAG (ChatGPT), le plus souvent par facilité, voire par paresse et par recherche d’un moindre effort. Ils indiquent : (en PRÉO) “pas besoin de se fatiguer, l’interview proposée par ChatGPT est top” ou (en PDP) : “la pub proposée par ChatGPT était vraiment bien: on l’a laissée telle quelle, ça fait gagner beaucoup de temps et d’énergie”. Bien sûr, cette “paresse apprenante” préexistait aux IAGs, et même à la technologie numérique. Mais nous constatons que la sophistication des réponses apportées par les IAGs (à des requêtes fondamentalement diversifiées) peut renforcer cette forme de paresse apprenante. Il convient toutefois d’indiquer que parmi ces “étudiants-délégateurs”, nous pouvons distinguer les “délégateurs-complexés”, qui délèguent parce qu’ils pensent qu’ils “ne saur[ont] pas faire mieux” et les “délégateurs-décomplexés”, qui estiment que “l’énorme avantage de ChatGPT c’est que ça fait beaucoup moins de travail à fournir”. En tous cas, qu’ils soient dans une dynamique de “délégateurs-complexés” ou “décomplexés”, ces étudiants, en léguant le travail de réflexion et de créativité à l’IAG, passent à côté des objectifs principaux de notre scénario pédagogique, qui cherchait à stimuler, justement, leur capacité de réflexion et leur créativité, et à les sensibiliser aux atouts et aux limites des IAGs.
L’analyse du matériau recueilli sur le terrain nous a ainsi permis d’identifier les défis inhérents à l’intégration d’IAGs dans un enseignement universitaire, en pointant différentes réactions, représentations, et profils d’étudiants auxquels les enseignants peuvent faire face lorsqu’ils recourent aux IAGs dans le cadre de leur dispositifs pédagogiques (étudiants “réfractaires”, étudiants “en fracture”, étudiants “désorientés”, étudiants “techno-délégateurs”). Nous constatons que ces réactions - et profils d’étudiants - rappellent les représentations et les positionnements - plus ou moins technophiles, plus ou moins technophobes - qui peuvent émerger, chez les étudiants, face aux outils numériques en général, lorsque les enseignants les mobilisent dans le cadre de leurs dispositifs pédagogiques (Marty, Vasquez, 2021). En outre, les réactions - et les profils d’étudiants - que nous venons de mettre au jour impliquent, selon nous, de la part des enseignants, une attention, une agilité adaptative et une vigilance accrue, pour parvenir à transmettre les savoirs et à atteindre les objectifs pédagogiques tout en composant avec des étudiants “réfractaires”, “en fracture”, “désorientés” et “techno-délégateurs”.
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
Partant du constat que les IAGs ont récemment bousculé tous les champs de la vie sociale contemporaine, et en particulier celui de l'enseignement supérieur, nous avons choisi, dans la présente recherche, d’étudier les incidences que peuvent avoir les IAGs dans l’enseignement universitaire, et la façon dont les enseignants peuvent les intégrer dans le cadre de leurs dispositifs pédagogiques.
Pour explorer ces questions, nous avons mis en place un canevas méthodologique, reposant sur la combinaison de deux techniques de recueil de données : un sondage mené auprès d’étudiants en L1 information-communication ; et deux expérimentations pédagogiques, consistant à tester l’intégration d’une IAG dans deux de nos enseignements (en prenant appui sur les pistes formulées par les étudiants dans le cadre du sondage).
La première phase de l’enquête (sondage) nous a permis de comprendre que les étudiants mobilisent les IAGs, principalement ChatGPT et estiment qu’il serait judicieux de les intégrer dans les enseignements universitaires, comme starters de séances, pour la recherche d’informations et la génération d’idées. La deuxième phase de l’enquête (expérimentations en classes) nous a permis d’identifier différents atouts de l’intégration des IAGs dans l’enseignement supérieur (levée des tabous autour de ces technologies, modernisation et dynamisation des cours, sensibilisation aux forces et aux limites des IAGs…) mais également différents profils d’étudiants, qui incarnent les défis auxquels les enseignants peuvent se trouver confrontés lorsqu’ils intègrent des IAGs dans leurs dispositifs pédagogiques (étudiants “réfractaires”, “en fracture”, “désorientés”, ou “techno-délégateurs”).
Ces différents éléments impliquent des réflexions concernant les rétroactions spécifiques (pédagogiques, techniques, méthodologiques, psychologiques, critiques…) que les enseignants peuvent adopter face à ces différents profils d’étudiants. Pour les étudiants “réfractaires”, qui refusent de mobiliser les IAGs, il pourra s’agir d’insister sur nos objectifs et intentions pédagogiques (recours aux IAGs pour sensibiliser et éduquer). Pour les étudiants “en fracture”, il pourra être pertinent d’apporter un accompagnement - technique et matériel, notamment - capable de réduire les fractures fonctionnelles et socio-économiques. Pour les étudiants “désorientés”, il pourra être opportun d’apporter une aide méthodologique, susceptible de leur donner des clés pour exploiter les résultats générés par les IAGs. Enfin, pour les étudiants “techno-délégateurs”, il pourra être judicieux d’insister sur les limites des résultats générés par les IAGs (caractère superficiel, impersonnel….) et sur la plus-value de la réflexion et la créativité humaines.
Au-delà des atouts et des défis inhérents au recours à une IAG dans un enseignement universitaire, notre travail dresse, plus largement et plus transversalement, différentes pistes de réflexion concernant l’intégration de ces outils dans l’enseignement supérieur.
Première piste : notre travail pointe l’importance d’inclure, d’intégrer les IAGs - et plus largement les technologies contemporaines - dans l’enseignement supérieur. Il souligne, en effet, la nécessité de déployer des pratiques pédagogiques qui se montrent adaptatives (et constructives) vis-à-vis des IAGs, et (plus généralement) vis-à-vis du progrès technique et technologique. En effet, notre travail permet de comprendre que comme toujours, dans l’histoire scientifique de l’humanité, il ne serait pas judicieux d’ignorer, de nier ou de diaboliser le progrès technologique, mais il conviendrait, au contraire, de s’en emparer, de faire montre du génie adaptatif propre à l’être humain, afin d’exploiter ce progrès de manière constructive et formatrice. Plus spécifiquement, en ce qui concerne les IAGs, notre propos montre combien il est important de prendre en compte ces nouveaux outils comme une nouvelle réalité pédagogique, de les considérer, d’en tirer bénéfice (les utiliser pour enrichir les enseignements, “augmenter” les apprentissages, former les étudiants aux compétences indispensables dans le monde contemporain) et de faire en sorte qu’ils servent nos objectifs et ceux de nos étudiants, et non l’inverse.
Deuxième piste : notre travail pointe l’intérêt de penser l’intégration d’IAGs dans une dynamique consultative, qui consiste à concerter les étudiants et à prendre en compte leur point de vue, pour proposer des enseignements “IA friendly” en adéquation avec les jeunes générations d’apprenants et leurs attentes. En effet, l’intégration d’IAGs s’avère, pour nous, indissociable d’une concertation des étudiants: nous avons consulté ces derniers (en amont et en aval de cette intégration) afin de concevoir une ingénierie en phase avec leurs expectations. En cela, notre expérimentation a révélé, selon nous, l’intérêt des ingénieries pédagogiques consultatives, dans lesquelles les étudiants ont la parole, sont forces de proposition, et participent, en tant qu’acteurs, à l’élaboration des scénarios de cours, esquissant dès lors une dynamique de co-conception des dispositifs pédagogiques.
Troisième piste : notre travail révèle, à notre sens, la nécessité de penser l’intégration d’IAGs dans une dynamique circulaire, dans laquelle enseignants et étudiants sont interdépendants. En effet, l’éducation des étudiants aux IAGs s’est révélée consubstantielle de notre propre éducation à ces outils : nous avons dû nous y éduquer (former nos connaissances, acquérir des compétences, développer notre esprit critique) afin d’être en mesure d’éduquer, à leur tour, les étudiants. De façon réciproque, les propositions formulées (sur les IAGs) par les étudiants ont alimenté et fait évoluer nos réflexions, nos décisions, et nos expérimentations. Ces différents éléments soulignent l’intérêt de penser l’intégration des IAGs dans une dynamique circulaire, info-communicationnelle (Boukacem-Zeghmouri, Dillaerts, 2018), dans laquelle les pratiques des enseignants et des étudiants s’enrichissent et s’alimentent mutuellement, dans un processus continu, assimilable à une spirale vertueuse. Nous avons particulièrement ancré nos investigations dans cette dynamique : en effet, dans les expérimentations que nous avons menées en classe, les enseignants et les étudiants ont alimenté, de façon concomitante et réciproque, leurs réflexions au sujet de ce que pourraient être de “bonnes pratiques” des IAGs.
Quatrième piste : notre propos souligne l’importance de penser une intégration critique et responsable des IAGs dans l’enseignement universitaire. En d’autres termes, une intégration dans laquelle l’enseignant s’efforce : de se questionner, de se montrer lucide, objectif et nuancé vis-à-vis de ces outils, de considérer à la fois leurs atouts et leurs limites (dynamisation des enseignements, inspiration et sensibilisation des étudiants, biais algorithmiques, protection des données, vie privée des usagers, fractures…) afin, in fine, de se montrer capable de livrer aux étudiants une éducation aux IAGs tout aussi critique et nuancée. Cette dimension critique rappelle la nécessité de former les enseignants aux IAGs, d’introduire ces nouveaux outils dans le programme de développement professionnel des personnels enseignants, afin de leur permettre de penser une intégration des IAGs maîtrisée, cohérente, et intelligente, et leur donner l’opportunité de créer, à leur tour, autour de ces outils, des environnements éducatifs adaptés et formateurs.
Enfin, notre travail livre une cinquième et dernière piste : il rappelle en effet l’importance d’étudier les IAGs, de mener des enquêtes, des expérimentations et des recherches sur ces outils, et plus particulièrement sur les nombreux questionnements introduits par ces outils dans l’enseignement supérieur. Comment préparer et former les enseignants? Comment faire en sorte que les IAGs facilitent le travail des enseignants et des étudiants, tout en améliorant leurs capacités ? Comment utiliser les IAGs pour améliorer les méthodes d’apprentissage et d’évaluation ? Comment contrôler [Benzoubid, Cardon, 2022] et réguler ces nouveaux outils ? Comment garantir un recours équitable et inclusif aux IAGs ? Notons sur ce dernier point que pour cette première investigation, nous n’avons pas questionné les étudiants sur leurs appartenances sociales, mais que cela pourra faire l'objet de prochaines investigations, qui permettraient de savoir si la même enquête, auprès d’étudiants d’une formation plus élitiste, aboutirait aux mêmes conclusions. Enfin, et plus généralement, notre propos souligne la crucialité de déployer des études, de mener des tests et des expériences, d’en livrer des comptes-rendus, pour questionner, décrypter et encadrer, peu à peu, ce phénomène “en cours de constitution”, clarifier des possibles pédagogiques éthiques et durables, et donner des clés aux chercheurs et aux enseignants universitaires qui souhaitent sensibiliser et éduquer à cette nouvelle technologie.
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